Pierre et maire tu honoreras

Dans Le Saguenay autrement et Abécédaire de maire de Pierre Demers, la préface de Victor-Lévy Beaulieu est sans équivoque. "Là où le ridicule ne tue pas, écrit-il, tout est possible, surtout la mégalomanie, le délire verbal, la profonde niaiserie et le massacre, pour ainsi dire à la tronçonneuse, auquel le maire de Saguenay se livre, dans toute sa gueloire, dans le bois franc de la langue française. Quel écharognage et quel charabia!"

Voilà la table mise pour un recueil de chroniques citoyennes qui, pour la plupart, dénoncent. "J’en reviens pas comme les médias régionaux parlent toujours des mêmes sujets, lance Demers. Les ski-doos, pis les cabanes à pêche. Ça revient tout le temps en première page du Quotidien, comme s’il n’y avait pas plus d’actualités. Il se passe des choses importantes dans l’actualité locale, dont on n’entend pas assez parler. Je me pose de sérieuses questions sur la conscience populaire, sur le citoyen d’abord. Ça met en doute la culture locale. Est-ce que vraiment, les ski-doos pis les cabanes à pêche, c’est le centre de nos intérêts?"

En page centrale, non pas une photo de nu. "J’ai acheté les droits de cette photo-là, dit Demers. C’est Jean Tremblay sur son trône: la machine à faire de l’asphalte. Si j’ai acheté les droits, c’est que je voulais être libre. Comme pour l’impression de mon livre [qu’il a publié à ses frais]. Ça faisait longtemps que je pensais à ce projet-là. Il a fallu que je m’arrête, parce que j’aurais pu faire 200 pages! Il passe sa vie à tenir des propos stupides sur la place publique, cet homme-là."

Après avoir tourné la page sur cette image épique, on découvre des citations, toutes issues des médias et de sources vérifiables, du maire Jean Tremblay. Leur disposition n’est pas innocente. Regroupées par thèmes, elles illustrent, donnent de la saveur aux précédentes chroniques, font rigoler, mais attention: risque d’indignation élevé.

Ne ratant pas une occasion de souligner l’incompétence du premier magistrat de la ville, Pierre Demers semble intarissable sur le sujet. "Ça fait du bien. Il m’inspire. Ça répond à un besoin de dire tout haut ce que plusieurs pensent tout bas. Personne ne parle, tout le monde a peur de perdre sa job, du pouvoir ou je ne sais quoi d’autre. J’essaie de me tenir tranquille, mais il sort facilement deux ou trois conneries monumentales par semaine. Je marche au maire, on pourrait dire, je marche à l’indignation. Il contrôle tout, il se mêle de tout. Il se prononce sur des dossiers qui lui sont totalement étrangers. Tout ça n’a rien à voir avec la démocratie. Il est populiste et inculte, et les gens sont heureux. Je suis insulté que ce gars-là parle en mon nom comme citoyen."

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire pour réveiller les consciences? "On manifeste, on occupe, on écrit des livres, on réalise des films, on publie des articles. Mais il faut faire quelque chose. Il faut prendre conscience qu’ensemble, on a une force de frappe. C’est en se regroupant qu’on change des choses. J’ai dédié mon livre aux indignés de Saguenay, parce que ça prend absolument une opposition."

Il est surprenant qu’avec ce livre, et dans la foulée de la création d’une poupée vaudou à l’effigie du maire, Pierre Demers n’ait jamais eu vent de poursuites judiciaires. "Il n’a pas eu de réaction à la sortie du livre. Il est sûrement en calvaire, mais je pense avant tout qu’il ne pige pas l’ironie, qu’il ne décode pas. S’il réagit, il me donne de la crédibilité. De toute façon, je m’en tiens aux faits. Je n’invente rien, tout est là, dans l’actualité quotidienne de Saguenay."

Le Saguenay autrement et Abécédaire de maire
de Pierre Demers
Les éditions des Poèmes animés, 2012, 184 p.