YouTube théorie

Pour un amoureux de la culture web comme moi, YouTube reste, malgré son corporatisme des dernières années (pensons à Vevo, mais n’y pensons pas longtemps) un havre virtuel unique. Celui-ci présente une quantité quasi-infinie de contenu (sublime comme médiocre) et il serait difficile d’étudier ce vaste univers de célébrités instantanées et de nouvelles vedettes vidéo de manière exhaustive.

En gros, Antonio Dominguez Leiva y arrive, de manière élégante et érudite, avec son bref mais condensé YouTube Théorie, premier ouvrage de la collection d’essais Pop-en-stock des Éditions de Ta mère, série vouée à l’analyse de la culture populaire contemporaine. Comme premier ouvrage pour une série, on peut tout à fait le qualifier de succès.

Le discours universitaire de l’auteur est un double tranchant. Bien que les analyses y soient fines, précises, avec des références académiques crédibles (passant par les inévitables Foucault et Lacan), on trébuchera parfois sur des phrases purement universitaires, du genre «…toutes les ramifications (elles-mêmes rhizomatiques) de la réitération youtubéenne (par ailleurs très lacanienne) sont impossibles à énumérer.» Bien que la phrase ait du sens, elle se fait lourde en dehors d’un contexte académique, dans les mains de lecteurs intéressés à une analyse phénoménale et non à une construction théorique universitaire.

La faiblesse reste une force, cependant, puisque l’auteur aborde à peu près tous les phénomènes de cette plateforme gargantuesque sur laquelle s’ajoutent une quantité phénoménale de contenu d’utilisateur chaque minute de chaque jour de l’existence du site. Tout y passe, du phénomène du happy slapping aux tutoriels en passant par les fausses vidéos virales, la culture du remix, les vidéos de chat, la culture de la répétition, la réappropriation d’Hitler, les références inévitables comme Dodson et Star Wars Kid. Page après page, l’auteur illustre une connaissance monumentale de la plateforme, qui n’est jamais présentée dans un étalage narcissique de culture web, mais plutôt présentée dans des contextes spécifiques qui permettent de mieux comprendre les phénomènes qui y sont explorés.

On pardonnera l’asbence de la culture de jeux vidéos (une industrie en pleine expansion sur le site) dûe probablement à la date de rédaction du texte (2013) en contraste avec sa date de parution (2014), mais ces quelques critiques formelles, probablement bien personnelles, ne servent que de petit bémol dans l’appréciation générale d’un ouvrage impeccable. En fait, j’ai une autre réserve, que je me permets de publier juste en bas de ce paragraphe.

Bref, le livre YouTube théorie est en fait une petite bible d’analyse du célèbre site acheté par Google et dont l’importance culturelle est en constante expansion et évolution. Le travail de recherche de Dominguez Leiva est à souligner, tout comme son style littéraire qui, malgré quelques réflexes universitaires relativement rébarbatifs, transmet avec une rare aisance et une réelle éloquence des connaissances d’un monde virtuel qui représente une réelle révolution humaine et technologique. La posture de l’auteur est relativement pessimiste, voyant le site comme un freak show constamment alimenté par des utilisateurs au profit des maîtres anonymes de la plateforme, et c’est en partie vrai, mais le site est tellement énorme qu’une analyse inverse aurait peut-être été possible.

Dans tous les cas, c’est un fabuleux ouvrage qui mérite de tomber dans les mains de tout observateur intéressé par notre époque virtuelle farfelue, riche, et troublante. À lire!

Dominguez Leiva, Antonio, YouTube théorie, publié aux Éditions de Ta Mère, 2014, 105 pages