Kim Thúy : Mãn
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Kim Thúy : Mãn

«Je lui montrais comment retenir le riz collant dans les couches superposées de feuilles de bananier en les serrant fermement mais sans étouffer le riz. C’est toujours un équilibre fragile, que les doigts ressentent mieux que les mots ne savent expliquer.» Et si Kim Thúy encapsulait ici, en faisant mine de parler bouffe, ce qui définit le style d’une élégante sobriété qui est le sien? Et si la langue de la Vietnamo-Québécoise se caractérisait précisément par une crainte tout orientale d’écraser sous le poids de l’emphase ces phrases qui portent leur fragilité en bandoulière?

Après la parenthèse À toi, recueil de sa correspondance avec l’écrivain Pascal Janovjak, voici donc le successeur de Ru, premier roman ayant connu le succès retentissant et imprévisible que l’on sait. Librement inspiré du passé de restauratrice de l’écrivaine, Mãn voit sa narratrice, Vietnamienne ayant immigré au Québec pour un mariage arrangé, raconter sa petite éducation sentimentale, puis raconter la vie de ses aïeules et de ses amies, tissant fragment par fragment un singulier roman d’amour (parfois cousu de fil blanc). Un vaste prétexte à de très belles digressions culinaires ou linguistiques, c’est là tout l’intérêt de la manière Thúy, qui ne remonte le fil d’une histoire que pour mieux visiter les petits sentiers qui la bordent.

Malgré une discutable conclusion en forme d’éloge de l’abnégation et le spectre des bons sentiments qui guette, Mãn parvient sans mièvrerie à inventorier toutes les formes de l’amour, des plus raisonnables aux plus passionnelles, prouvant au détour que la pudeur d’une écriture peut nourrir son intensité.

Éd. Libre Expression, 2013, 153 p. 

Mãn
Mãn
Kim Thúy
Éditions Libre Expression