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Rob Ford qui fume d’la coke : savoir tracer la ligne

On évoquait récemment sur ce blogue la progression de l’opinion publique (et politique) par rapport à la consommation de drogues. Essentiellement, on suggérait une tendance vers la décriminalisation du cannabis, sinon de toutes les drogues comme au Portugal.

D’ailleurs, rappelons-le au passage, si un maire quelconque était pris à fumer du crack à Lisbonne, il en serait quitte pour une amende et un suivi avec travailleurs sociaux.

Ce qui nous amène à Rob Ford, maire actuel de Toronto et consommateur allégué de crack dans son temps libre. Malheureusement pour lui, au Canada, outre les répercussions légales de la possession du dérivé de cocaïne (max. 7 ans de prison), c’est l’opprobre qui guette le tumultueux politicien.

Rappel des faits: une vidéo circulerait montrant le maire de Toronto, Rob Ford, en train de fumer du crack avec deux comparses issus du milieu interlope. Des journalistes du Toronto Star auraient vu ladite vidéo et confirmé son contenu. M. Ford a rejeté les allégations en les qualifiant de « ridicules », avant de partir pour le long weekend.

Entre temps, commentateurs se déchainent, incluant la très-de-droite Christie Blatchford du National Post, pour critiquer le maire. En fait, aucun commentateur sérieux n’a pris la défense de M. Ford ou tenté de contextualiser son geste. Au mieux, on agrée aux propos du maire: l’histoire est carrément ridicule.

Plus sérieusement, l’hystérie collective concernant la supposée consommation de M. Ford offre une idée d’où se situe la société par rapport à l’acceptation de la consommation de drogues. Évidemment, mille nuances sont à apporter: drogues dures vs drogues soft; individu-lambda vs. politicien; simple député vs membre de l’exécutif; consommation passée vs. consommation présente, etc. En bref, la ligne n’est pas facile à tracer.

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Qu’est-ce qui est acceptable ou ne l’est pas ?

D’emblée, la consommation passée de drogues ne semble plus attiser les passions. Plusieurs politiciens très en vue ont ainsi indiqué avoir expérimenté des substances illicites.

M. Bloomberg, maire multimilliardaire de New York, a dit avoir apprécié la marijuana dans sa jeunesse. Même chose pour M. Obama, qui a aussi avoué avoir eu un faible pour la cocaïne au collège « quand il avait l’argent pour se la payer« . En ce qui concerne les maires blonds et bedonnants, M. Johnson, maire de Londres, a dit avoir consommé pot et cocaïne (sans effet sur lui) lorsqu’il était étudiant. Plusieurs députés au Royaume-Uni, politiciens et juges aux État-Unis, ont dit avoir pris du cannabis au moins une fois.

Le suave Clarence Thomas, juge à la Cour suprême des États-Unis, s’est dit « avoir été assez intelligent pour fumer du pot plusieurs fois au collège sans se faire prendre ». L’ex-gouvernator de Californie, M. Schwarzenegger a même été un précurseur en la matière: on le voit savourer un petit joint dans son docufiction Pumping Iron, paru en 1977.

Bref, il est rendu de bon ton d’avouer une consommation passée. La majorité des électeurs ont vécu des expériences similaires et se montrent compréhensifs. En fait, c’est plutôt l’obstination à nier qui est gage de moquerie (voir: Bill Clinton qui a dit ne pas « inhaler » quand il fumait un joint à Oxford).

Pour la consommation de l’individu en fonction, c’est plus problématique.

On se rappellera du débat public lorsqu’André Boisclair a dit avoir pris de la cocaïne alors qu’il était ministre.

À Washington, l’ancien maire Marion Barry a fait les manchettes pour avoir été piégé par la police et fumé du crack devant caméra. Après 6 mois de prison, il a été réélu 2 fois. L’année dernière, un député allemand a fumé un joint à la télé (pour le spectacle), sans qu’il y ait de tempêtes sérieuses. On a tout de même critiqué son manque de décorum.

Dans le cas de M. Boisclair, ses détracteurs avaient fait valoir qu’en tant que ministre, il devait pouvoir répondre aux urgences en tout temps, que son temps libre ne lui appartenait pas complètement. Des proches avaient aussi confié l’avoir vu prononcer des discours gelé. Ses supporteurs faisaient valoir sa bonne feuille de route: tant que les résultats sont là, le reste fait partie de la vie privée.

Par ailleurs, les abus alcoolisés de Churchill font maintenant partie du personnage, sans que personne ne remette en doute la qualité de sa gouvernance.

Bon. Et dans le cas de Rob Ford ?

Généralement, il est tentant de dire que du moment qu’il gouverne bien, un politicien peut bien faire ce qu’il veut dans sa vie privée… Je dirais que la qualité de la gouvernance devrait être proportionnelle à la gravité de l’infraction pour que le politicien puisse s’en tirer.

En l’occurence, Rob Ford mérite l’opprobre d’abord pour sa médiocre performance en tant que maire, ensuite pour ses abus personnels.