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Cinemania 2012 : De rouille et d’os, un must

La 18e édition du Festival de films francophones Cinemania s’ouvre avec force ce soir en offrant en guise de film d’ouverture De rouille et d’os de Jacques Audiard. En guise de complément de lecture aux propos de Matthias Schoenaerts parus ce jeudi dans le Voir, voici, en reprise, les propos de Marion Cotillard, de Thomas Bidegain et de Jacques Audiard, rencontrés au Festival International du Film de Toronto. À voir ce jeudi à 19h30 ou ce samedi à 9h au Cinéma Impérial.

La douce Cotillard chez le dur Audiard

Écrit avec Thomas Bidegain, De rouille et d’os de Jacques Audiard est l’adaptation libre de deux nouvelles de Craig Davidson, écrivain canadien vivant aux États-Unis; l’une d’elles raconte l’histoire d’un boxeur; l’autre, celle d’un dompteur d’orques. Souhaitant raconter une histoire d’amour après le drame carcéral Un prophète, Audiard et Bidegain ont alors revampé ces personnages afin de former un couple en devenir.

Avec un mélange parfait de fougue et de sobriété, Marion Cotillard y campe une jeune dresseuse d’orques victime d’un grave accident qui trouvera réconfort auprès d’un jeune homme (Matthias Schoenaerts) doué pour les sports de combats vivant aux crochets de sa sœur (Corinne Masierro) avec son fils (Armand Verdure).

Dans l’une des plus belles scènes du film, le personnage de Cotillard retourne sur les lieux de l’accident et engage un dialogue silencieux avec l’orque lui ayant arraché les jambes : « Il y a une connexion très forte à cette puissance et à ce silence presque méditatif auxquels elle n’était sûrement pas connectée avant l’accident en fait. C’est un mélange de ce qu’elle est quelque part, ce mélange de force et de douceur. L’amour qu’elle a pour ces animaux est intact parce que c’est fascinant et que c’est plein de surprises, bonnes ou mauvaises. »

L’actrice poursuit :« Il existe une association de survivants à des attaques de requins qui ont développé une espèce de fascination et qui se sont lancés dans la défense de cet animal splendide dont on a une perception totalement faussée par les films. En fait, je pense qu’on ne peut pas en vouloir à l’animal parce qu’il n’est pas responsable à partir du moment où l’on vient dans son milieu. Il n’y a pas de violence ni de méchanceté comme les hommes peuvent avoir envers d’autres hommes. En lui prenant ses jambes, cet orque lui a redonné la vie et elle vient l’en remercier. »

Reconnu pour sa dureté et sa violence, le cinéma d’Audiard semble pourtant l’écrin parfait pour le talent de la délicate actrice :« Je me suis toujours sentie plutôt à l’aise et à ma place dans un univers masculin. J’ai mis plus de temps à avoir de très bonnes amies filles que de garçons. Je pense que c’est l’expérience de vie qui nous change à un moment donné. J’ai été élevée avec deux frères; adolescente, je me sentais plus à l’aise avec les garçons parce que je ne sentais pas très à l’aise tout court, donc la relation masculine me mettait plus à l’aise. Du coup, je m’adapte très vite à l’univers masculin. »

Bidegain et Audiard : pour une troisième fois

On raconte que le métier de scénariste est ingrat, que ce dernier peut se sentir dépossédé de son travail dès qu’il est pris en charge par le réalisateur. Or, il ne semble que ce ne soit pas le cas pour Thomas Bidegain :  « Jacques a été scénariste, alors il sait ce que c’est. C’est le troisième film – De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète et celui-ci – sur lequel on travaille ensemble. Je fais un peu plus que le travail de scénario. D’habitude, j’accompagne vraiment le film. Je fais tout le travail de préparation et ensuite, pendant le film, je vois les rushs avec Jacques, qui n’aime pas beaucoup voir les rushs; ainsi, ça me permet de retravailler certaines scènes. Tous les jours, je fais un compte-rendu. La différence avec les scénaristes qui n’écrivent que le film, c’est qu’avec Jacques, on accompagne vraiment l’idée qu’on n’écrit pas une histoire mais l’idée qu’on écrit un film. Jusqu’au mixage et à l’étalonnage, des éléments qui viennent aussi raconter l’histoire, le film est toujours en train de s’écrire. »

Avouant qu’il touchait aussi un peu au découpage technique après le lui avoir demandé, il a poursuivi du même souffle :« Un scénario n’est pas un document littéral, c’est quelque chose qui est censé donner un peu l’idée de ce que va être le film. Écrire un film, c’est continuer à suivre sa progression. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas sur la page, comme le jeu des acteurs, les costumes, etc. Avec Jacques, on a un dialogue qui se poursuit jusqu’à la fin du film. Et c’est pour ça que je l’accompagne ici, parce qu’on continue de travailler ensemble. »

Le scénario de De rouille et d’os puise sa principale source dans deux nouvelles du recueil de Craig Davidson, Rust and Bone et Rocket Ride. Thomas Bidegain a raconté ainsi la genèse du scénario : « C’est Jacques qui a lu ces nouvelles qu’on lui avait offertes pour son anniversaire. Il me les a fait lire et pendant qu’il faisait le montage d’Un prophète, j’ai choisi certaines de ces nouvelles et j’en ai fait une histoire d’amour. Dans la première nouvelle, celle du boxeur, celui-ci ressemble au personnage du film, mais ce n’est pas lui; dans une autre nouvelle, il s’agit un dresseur d’orques qui perd une jambe. L’idée que j’ai eue, c’est de transformer cet homme en femme et de faire une histoire d’amour entre elle et le boxeur. Jacques a dit que si on n’avait pas lu ces nouvelles, on n’aurait pas fait ce film. Ce qui nous intéressait chez Davidson, c’était ce monde de catastrophes, brut, sans pitié et ensuite, de l’adapter à notre monde. »

Audiard et le discours amoureux

Peu après la projection de De Rouille et d’os à Cannes, plusieurs critiques ont fait des rapprochements entre le couple Devos-Cassel de Sur mes lèvres avec le couple Cotillard-Schoenaerts. Puisque Jacques Audiard parle de son nouveau film, mélodrame romantique porteur d’espoir, comme l’antidote à Un prophète, huis clos sombre et masculin, je lui ai demandé si De rouille et d’os était aussi l’antidote à Sur mes lèvres.

« Dans Sur mes lèvres, le film se terminait au moment où le couple allait baiser, or, dans De rouille et d’os, on a déjà passé ce stade. J’ai réalisé très tardivement qu’il y avait des similitudes entre ces deux films; d’ailleurs, si j’y avais pensé, ça m’aurait sans doute inquiété. Je dirais que c’est un prolongement; en ce moment, j’aimerais faire quelque chose sur le discours amoureux. Chez madame de la Fayette, on parlait, on écrivait comme on faisait l’amour; toute la littérature courtoise et précieuse était de cette nature-là aussi. Entre le XVIe et le XVIIe siècle, il y a vraiment cette jouissance du dialogue amoureux. Aujourd’hui, comme on couche le premier soir, qu’est-ce qu’on se dit après? Qu’est-ce qu’il nous reste dans ce monde où il y aurait une parité sexuelle, où les femmes sont les égales des hommes, est-ce que ce discours ne supposait pas une différence? Je trouve que c’est un sujet intéressant et peut-être que De rouille et d’os est une esquisse de ça, une réflexion sur la délicatesse, sur le fait d’être opé*. »

« Ce dont nous avions besoin, c’est ce que fournissait le matériel des nouvelles de Davidson. Quand on lit des nouvelles, quand on lit de manière générale, on est dans un certain état d’esprit. Et d’abord, on est dans un univers littéraire, qui est beaucoup plus abstrait; quand vous allez mettre ça en film, ça va être la réalité, ça va être des visages, des corps. On ne voulait pas d’un « tragédisme », d’un fatalisme. Il fallait, comme dans un conte, qu’il y ait une fin un peu heureuse, mais naturellement heureuse, sans insistance », a conclu Audiard à propos de la lumière et de l’espoir qu’il a réussi à trouver dans l’univers sombre et sans pitié de Davidson.

*Être opé : expression utilisée par le personnage de Matthias Schoenaerts dans De rouille et d’os pour signifier qu’il est prêt à avoir des relations sexuelles. Pour votre info, Jacques Audiard et le scénariste Thomas Bidegain vous invitent à l’utiliser puisqu’ils n’en ont pas les droits d’auteurs…