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Berlinale 2013 :La passion d’Isabelle Huppert

Présenté en compétition plus tôt cette semaine, La religieuse de Guillaume Nicloux, d’après le roman de Diderot, n’est pas un mauvais film en soi. Ainsi, il propose un intéressant décalage entre la joliesse de la photographie, accentuée par la douceur des éclairages à la bougie, et la cruauté du destin de cette jeune Suzanne (Pauline Étienne, étoile montante du cinéma belge), fille illégitime condamnée à expier les péchés de sa mère (Martina Gedeck) en prenant le voile. Durant son noviciat, la religieuse rencontrera trois mères supérieures : la bonne Madame de Moni (Françoise Lebrun), la sadique sœur Christine (Louise Bourgoin), toutes deux du couvent Sainte-Marie, et celle, exaltée, du couvent Saint-Eutrope. Cette dernière apparaissant au troisième est interprétée par Isabelle Huppert, qui ne s’attendait pas à déclencher autant de rires le soir de la première.

« J’ai été très surprise par les réactions du public hier, racontait-elle lors d’une rencontre de presse à l’hôtel Adlon. C’est vrai que le roman de Diderot est un roman satirique; il s’autorise à une certaine distance ironique dans son roman, qui s’exerce surtout dans la troisième partie avec l’arrivée de cette religieuse. Je n’ai pas pensé faire rire, mais je crois que c’est Diderot qui est plus fort que tout le monde et qu’il est très, très présent dans cette partie du film. Comme tous les grands romans, on peut en faire des interprétations différentes, les personnages peuvent raisonner de façon différente au fur et mesure des relectures ou de l’époque. Peut-être aussi y a-t-il une espèce de relâchement à ce moment-là de l’histoire où cette pauvre fille a traversé tellement d’épreuves, alors tout d’un coup, cette dernière épreuve qu’elle affronte, soit l’amour envahissant de cette religieuse, est presque un peu drôle par rapport à ce qu’elle a enduré précédemment. Il y a toute une série d’éléments qui fait que c’est à la fois comique et tragique parce que quand même, elle en meurt! »

Attirée par le projet dans son ensemble et par l’idée de jouer un personnage loin d’elle, soit une religieuse amoureuse, Isabelle Huppert souhaitait aller au-delà de la caricature, explorer la part d’innocence de cette mère supérieure dont les réactions face à sœur Suzanne évoquent les transes mystiques de sainte Thérèse d’Avila en présence de l’une de ses novices à la voix divine.

« Visiblement, c’est quelqu’un qui passe de la normalité à la folie, c’est une folie qui la tue. Ce n’est pas très creusé de ce point de vue là, je trouve qu’elle meurt assez rapidement. On ne sait pas très bien pourquoi la violence de ce sentiment la conduit à la mort. Si on traitait le personnage de manière plus fouillée, plus actuelle, je dirais qu’elle souffre d’une maladie mentale, que ce n’est pas autre chose que le signe d’un dérèglement, de quelqu’un qui ne comprend pas ce qui lui arrive. »

Au milieu des années 60, Jacques Rivette signait une adaptation du roman de Diderot, laquelle mettait en vedette Anna Karina et Micheline Presle. Le film subit hélas les foudres de la censure des autorités religieuses. Si la version de Nicloux prend quelques libertés avec le récit original, lui offrant une fin pleine d’espoir, il n’est pas dit que l’Église ne sera pas choqué par certains passages.

« L’Église catholique s’outre de pas grand-chose, alors pourquoi pas par ce film! Même le livre a été interdit pendant très longtemps, jusqu’aux années 30. Il a été publié, a été retiré. Inconsciemment, Diderot lui-même s’était censuré puisqu’il avait perdu son manuscrit. Dans un premier temps, le livre avait été traduit en allemand par Goethe, donc, la première publication française était la traduction de la version de Goethe. Le manuscrit original a été retrouvé par hasard au 19e siècle. Je trouve ça assez incroyable que Diderot lui-même s’est érigé en auto-censure. Une fois que le livre a été finalement retrouvé, il a été interdit pendant très longtemps. Et on voit quand même vers quelles problématiques malheureuses et actuelles il peut nous ramener. »

Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.