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Berlinale 2013 : Guillaume Nicloux à la rencontre de Diderot

Il y a une vingtaine d’années, Guillaume Nicloux (Cliente, Cette femme-là) était venu à la Berlinale présenter un film expérimental. À sa grande surprise, certains spectateurs, sans doute choqués parce qu’ils voyaient à l’écran, en étaient venus aux coups. Cette année, le réalisateur français a plus ou moins été décontenancé par les rires provoqués par son adaptation de La religieuse de Diderot, ou plutôt par le jeu grotesque d’Isabelle Huppert en religieuse énamourée d’une jeune novice (Pauline Étienne). « Il n’y a rien de plus chiant que la tiédeur, l’unanimité, concédait-il lors d’une entrevue organisée deux jours après la projection au Berlinale Palast. On en a parlé avec Isabelle, on avait l’impression que l’ironie et la distance qu’installait Diderot nous permettaient de créer des soupapes de décompression. »

Un peu partout à travers le monde, surtout en Europe, on s’apprête à célébrer le tricentenaire de naissance de Diderot. Étrangement, il semble que l’auteur soit tombé en désuétude. « C’est à la fois très curieux, car c’est sans doute le philosophe français le plus connu dans le monde, mais peu de gens l’étudient. Ce qui est troublant, c’est que ses textes sont d’une incroyable modernité. Je n’ai même pas eu à essayer de trouver des subterfuges pour trouver des corrélations. Ce qui est assez saisissant, c’est que le fond de l’oeuvre de Diderot parle de l’ode à la liberté, et que ce thème est non seulement intemporel mais universel. Du coup, par cette histoire, on aborde le thème qui est quelque chose d’assez présent en ce moment, qui est de la parité, de la place des femmes dans la société, de l’hégémonie masculine qui continue d’officier, du régime patriarcal qui continue de diriger les lois et d’opprimer de façon hypocrite la condition des femmes, sans parler de l’extrémisme religieux de toutes les religions monothéistes qui continuent d’imposer une soumission claire et nette sur les femmes. »

Sur sa lancée, Nicloux poursuit : «  Est-ce que les choses que décrit Diderot au 18e siècle ont vraiment changé? Le plus troublant quand j’en parlais avec ma fille, qui s’est mise à lire Diderot alors que je préparais le film, c’est qu’elle me disait que rien n’avait changé. Est-ce que l’Église catholique accepte l’avortement, encourage le port du préservatif? Qu’est-ce qui se passe à trois heures d’avion de Paris lorsqu’un juge autorise un homme à couper les oreilles et le nez de sa femme sous prétexte qu’elle ne veut pas coucher avec lui. Finalement, ce n’est pas une barbarie qui aurait pu se passer au siècle des Lumières et qui s’est pourtant passée il y a trois ans. »

Alors que la Suzanne imaginée par Guillaume Nicloux s’avère une battante plutôt qu’une jeune fille s’érigeant en victime comme chez Diderot ou comme l’avait dépeinte Jacques Rivette, certains ont vu dans cette relecture de La religieuse une version féministe : « Je n’ai pas le droit de me dire féministe, c’est aux femmes de le dire. Je suis pour l’égalité totale entre les sexes. Je continue d’être affligé quand j’entends parler de parité avec cette espèce de saupoudrage. À l’époque de Diderot, il n’y avait pas d’échappatoire possible, à l’exception de la mort. Au bout du chemin du film de Rivette, c’était la censure, d’où sa fin assez pessimiste. Malgré le cynisme ambiant, il y a une combativité et une résistance qui n’ont jamais été aussi existantes. Du coup, il n’était pas envisageable d’aller du point A à la mort. »

Ayant pris des libertés avec le récit original et ayant voulu offrir une image plus opulente qu’à l’accoutumée de la vie monacale, Guillaume Nicloux ne craint certes pas les foudres de l’Église catholique : « Mon film ne pourrait pas subir le même sort que celui de Rivette pour la simple et bonne raison que ce n’est pas un film anticlérical; à aucun moment, le personnage renie sa religion, elle continue d’avoir un amour immodéré pour Dieu. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa religion comme elle l’entend. Dans les années 60, on n’avait pas le droit de le dire. On a brûlé des cinémas dans les années 90 quand Scorsese a sorti La dernière tentation du Christ, alors tout est possible. Cela dit, je ne crois pas que ce film suscite une haine particulière. J’espère qu’on peut poser des questions sur la place de la religion aujourd’hui, mais ce film raconte avant tout une histoire, celui du destin d’une jeune fille qui va se battre contre un système carcéral oppressant. »

Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.