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RVCQ 2013 : la découverte du jour

Les manèges humains de Martin Laroche prendra l’affiche ce vendredi, mais rien ne vous empêche de le découvrir ce soir, à 19h30, à la salle Claude-Jutra de la Cinémathéque. En rappel, voici quelques extraits de mon blogue parus le lendemain de la première du film au Festival de Karlovy Vary :

Troisième long métrage de Martin Laroche (La logique du remords, Modernaire), Les manèges humains nous transporte au sein d’une petite bande travaillant dans un parc d’attractions ambulant afin de traiter… de mutilations génitales. Bachelière en cinéma, Sophie (Marie-Évelyne Lessard) y travaille avec sa meilleure amie Geneviève (Stéphanie Dawson), Guillaume (Alexandre Dubois), petit ami de celle-ci, Frédéric (Marc-André Brunet), à qui elle plaît, et Normand (Normand Daoust), la force tranquille du groupe. Lorsque le patron du parc (Michel Vézina) demande à Sophie de tourner un documentaire sur l’établissement, cette dernière, ne pouvant plus se séparer de sa caméra, lèvera le voile sur l’excision qu’elle a subie à quatre ans avant d’émigrer de l’Afrique au Québec.

« J’ai un cousin qui travaille au parc d’amusements où on a tourné, expliquait le réalisateur après la projection de presse du samedi matin. Il m’avait un jour offert d’y tourner. C’est un lieu que je trouve super intéressant où j’ai toujours eu envie de tourner et j’avais aussi lu quelques livres sur l’excision. J’avais donc les deux idées séparées, deux scénarios; à un moment donné, je me suis demandé ce que ça ferait si je les réunissais. C’était bizarre, mais en même temps ça pouvait être intéressant. C’est à ce moment-là qu’est arrivé le personnage de Sophie. »

Film à budget modeste tourné en 15 jours, soit 13 consacrés au tournage de la fiction et 2 à l’aspect documentaire, Les manèges humains est la plupart du temps raconté du point de vue de Sophie qui se cache derrière la caméra afin de traquer ses confrères. Ce n’est que vers la mi-temps du récit qu’elle accepte vraiment de se livrer en toute franchise.

« À la base, il y avait plus de scènes où elle tournait la caméra vers elle, mais ce qu’on aimait de la première partie du film, c’est qu’elle n’est pratiquement pas là jusqu’à temps qu’il y ait le long dialogue avec Geneviève où la caméra est sur elle durant 11 minute alors qu’elle dévoile tout. J’aimais l’idée qu’elle soit derrière la caméra, d’autant plus que la problématique, c’est le corps de Sophie : elle n’est pas là. Il y a donc une petite distance; dans certaines scènes, elle apparaît dans le miroir. C’était super difficile pour Marie-Évelyne de jouer seulement avec sa voix. Pendant ces scènes, je ne la regardais pas pour me concentrer sur sa voix. Il y a aussi la scène de la relation sexuelle où l’on voit son corps mais pas son visage. À cause du rapport de Sophie à son corps, j’aimais cette distance créée par la caméra. »

En plus d’avoir à traiter d’un sujet grave, le rôle impliquait d’être très souvent derrière la caméra plutôt que devant : « Lors des répétitions, on l’a travaillé comme si j’allais être devant la caméra. On voulait être certain que si jamais on décidait que j’allais paraître dans certains plans que je sois prête. J’ai appris toutes mes scènes parce qu’il n’était pas question que je prive les autres acteurs d’un tremplin. Je voulais que la voix fasse sortir les bonnes émotions. Sur le plateau, c’est devenu un travail d’adaptation. Avec Félix Tétreault, merveilleux directeur photo, on a décidé que je me collerais à lui afin qu’il ressente mes impulsions et ainsi donner l’impression que je  tenais réellement la caméra. C’était vraiment particulier comme travail, une drôle d’expérience pour un premier rôle dans un long métrage. »

Défendant avec brio ce rôle exigeant, Marie-Évelyne Lessard explique ainsi l’excision :« C’est un traumatisme psychique et physique extrême. Ces femmes vont souffrir toute leur vie, on les a violées. C’est une cicatrice qui guérit, mais qui va toujours se sentir dans la chair même s’il y a une libération qui s’opère. Par cette pratique que l’on retrouve principalement en Afrique subsaharienne, en Indonésie et au Sri Lanka, elles deviennent amputées, une partie d’elle leur est complètement arrachée, on leur enlève complètement leur sexualité, littéralement et émotionnellement. On leur enlève tout le plaisir potentiel; les relations sexuelles deviennent pénibles apparemment, donc toute leur vie, le plaisir de la chair est une torture.

Tel qu’évoqué à travers le personnage de Sophie, les plus fervents gardiens de la tradition sont très souvent les femmes : « C’est trop ancré dans la tradition et elles veulent être acceptées par la société, sinon ça jette l’opprobre sur la famille si la fille n’est pas excisée. Les jeunes filles ont hâte à leur excision, elles ne savent pas ce qui les attendent parce qu’on leur promet une fête, des cadeaux; on leur tait la souffrance qu’elles vont vivre, les douleurs potentiellement mortelles qu’elles vont subir. Il y a une éducation à faire. Une dizaine de pays se sont dotés de lois pour essayer d’éradiquer l’excision, mais c’est trop fort dans la tradition et tellement tabou qu’on n’en parle même pas entre mère et fille afin de ne pas jeter la honte sur la famille. Il n’y a pas d’évolution possible, mais les pays d’Afrique essaient de s’unir pour éduquer la population sur les conséquences puisque beaucoup de femmes meurent en couches à cause de l’excision, des jeunes filles meurent d’infection, d’hémorragie », conclut Marie-Évelyne Lessard.