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Mouvement étudiant: bloquer la violence

Tout indique que le mouvement étudiant en grève n’aura pas la tâche facile. De nos jours, au Québec comme ailleurs, les mouvements sociaux font face à un appareil répressif de plus en plus puissant [1]. Jamais dans l’histoire on n’avait vu un arsenal de répression et de contrôle aussi efficace, et jamais le consensus autour du respect de la loi et de la légalité n’avait été aussi ferme.

L’État contemporain a entre les mains un appareil répressif historiquement inégalé: les forces de l’ordre sont de plus en plus nombreuses et privatisées [2], les budgets liés à l’armée et à la sécurité atteignent des sommets [3], les technologies de surveillance sont ultra-efficaces [4], etc. Cet été, le Québec s’est même doté d’une nouvelle escouade, le Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes (GAMMA). Cette escouade ouvertement politique (c’est dans le nom!) a déjà procédé à l’arrestation de plusieurs activistes de gauche, dont quelques militants élus du mouvement étudiant [5].

Alors que le monde est en crise (c’est assez clair, non?), les gouvernements comptent bien entendu sur cet arsenal afin de mener à bien leurs politiques d’austérité. Mais cette « toute-puissance » de l’État, puisqu’elle repose au final sur notre auto-aliénation, sera toujours, et malgré tout, relativement fragile. Le danger se trouve en partie ailleurs…

Rétrécissement de la vue

Plus que jamais, la protestation est considérée comme une pathologie sociale associée à la « violence », voire au « terrorisme ». Au-delà de la pétition, du vote et de l’action symbolique (normalement médiatique), l’action collective devient automatiquement suspecte. La violence, et vous remarquerez que cette logique est également celle d’un enfant de quatre ans, c’est toujours l’« autre » qui l’utilise. Et c’est désormais au nom de la « paix » et de la « sécurité » que le grand pacificateur étatique fait la guerre, interdit les grèves, déploie les policiers et réprime les mouvements sociaux.

Ce rétrécissement du droit à la contestation est un phénomène perceptible au Québec. C’est ainsi que le gouvernement a réussi, en 2005, sous de faux prétextes de « grabuge », à éloigner la CASSÉE des pourparlers afin de négocier une entente à rabais avec les représentants de la FEUQ et de la FECQ [6]. C’est pour cette raison que la « nouvelle stratégie » de lutte au terrorisme déposée par le ministre Vic Toews au début du mois amalgame sans gène « anticapitalisme », « environnementalisme » et
« terrorisme ». Et c’est aussi pour cette raison qu’on accuse présentement les étudiants du cégep du Vieux-Montréal de « méfaits », de « voies de fait », d’ « agressions armées » et de « complot » alors qu’ils tentaient de résister à l’éviction brutale des policiers (éviction d’ailleurs commandée par l’administration qui a décrété un « lock-out » à la suite du vote de grève) [7].

L’État sans violence ?

Peu importent l’humiliation, les coups de matraques, les gaz lacrymogènes et les dizaines d’arrestations (qui ont déjà commencé), peu importent les contraintes d’une hausse draconienne des droits de scolarité, les mensonges ou les menaces des administrations, du gouvernement et de certains médias. Pour chaque occupation, pour chaque blocage, pour chaque poubelle renversée, pour chaque graffiti, les étudiants sont accusés d’être « violents ». Pire : ils se doivent de condamner la violence – non pas celle de l’État (franchement!), mais bien celle de leur propre mouvement.

Et malheureusement, plusieurs étudiants, probablement parce qu’ils ont peur de l’ « opinion publique » qui les observe du haut du ciel, cautionnent cette répression. Ce faisant, ils condamnent la violence de ceux qui la subissent et demandent pardon à ceux qui l’exercent.

Cette posture favorise évidemment l’État, qui a toute la marge de manœuvre nécessaire afin de rendre le mouvement de grève totalement inefficace. Car si c’est l’État, et lui seul, qui dicte les règles du jeu, il a présentement tout entre les mains pour rendre la contestation inoffensive. Tout ce qui dérange, littéralement, peut être interdit. Les administrations peuvent obtenir des injonctions interdisant le piquetage (comme ce fut le cas à l’UQAM en 2007 et en 2009), les policiers peuvent réprimer systématiquement toute forme de « désobéissance civile » [8], arrêter massivement les manifestants [9], etc.

Et la violence des étudiant-es ?

À cette question, on est d’abord tenté de répondre: quelle violence? Les actions étudiantes sont dans leur presque totalité festives, pacifiques et respectueuses de la loi. Elles sont d’un calme pratiquement inquiétant. C’est pour cette raison que le Journal de Montréal, toujours à la recherche de faits utiles à sa propagande, n’a rien trouvé de mieux pour prouver l’existence de « violence et d’intimidation » que les propos anecdotiques d’une étudiante qui ne représente absolument personne [10].

Et en ce qui concerne les actions de perturbations, les barricades et les quelques fenêtres cassées, elles ne sont aucunement synonyme de « vandalisme » ou de « grabuge ». Si les étudiant-es utilisent parfois la force et la contrainte, leurs actions ne sont pas pour autant violentes. Elles refusent à la fois de subir et d’exercer la violence. Elles visent à « être libéré » du contrôle et de la contrainte, non à les reproduire. C’est pour cette raison qu’elles s’attaquent aux institutions et non aux individus.

En ce sens, les vitrines cassées témoignent le plus souvent de la distance qui existe entre l’individu révolté et l’institution qu’il dénonce. On ne peut comprendre la signification des éclats de verre sans comprendre la violence qu’ils portaient avant d’éclater. Si notre société semble l’avoir oublié, espérons que ce n’est pas le cas des étudiantes et des étudiants en grève. Car sans désobéissance et sans contestation, notre liberté n’a certainement pas que de beaux jours devant elle.

Notes

[1] Le philosophe Anselme Jappe soutient même que notre arsenal policier rendrait jaloux tous les régimes totalitaires qui ont traversé le 20ème siècle : Anselm Jappe, « La violence pourquoi faire? », Crédit à mort : la décomposition du capitalisme et ses critiques, Paris, Ligne.

[2] Selon Statistique Canada, on compte désormais trois agents de sécurité privé pour
deux policiers, voir : http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2008010/article/10730-fra.htm

[3] Le budget de l’Armée canadienne dépasse de 20% les sommets historiques de la guerre froide, voir : http://www.policyalternatives.ca/newsroom/news-releases/le-budget-de-la-d%C3%A9fense-augmente-%C3%A9clipsant-les-d%C3%A9penses-f%C3%A9d%C3%A9rales-en-environn. En dix ans seulement,  les budgets des Services canadiens de renseignement et de sécurité ont augmenté de 170% source : http://www.ledevoir.com/politique/canada/291792/renseignement-le-budget-du-scrs-a-bondi-de-179-depuis-2000

[4] On pense bien entendu aux nouvelles techniques d’espionnage, mais également à la biométrie, aux tests d’ADN, etc.

[5] Pour en savoir un peu plus sur cette horreur:http://www.ledevoir.com/politique/montreal/327600/guet-des-mouvements-marginaux-profilage-politique-a-montreal

[6] Croyez-le ou non, c’est une histoire de faux « caca » qui a permis au gouvernement d’éloigner la CASSÉE de la table de négociation.

[7] http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201202/17/01-4496916-des-manifestants-arretes-au-cegep-du-vieux-montreal.php

[8] À Sherbrooke, l’an dernier, des étudiants ont été mis en étant d’arrestation parce qu’ils ont chanté un slogan au Premier ministre, voir: http://www.radio-canada.ca/regions/estrie/2011/08/18/002-manifestation-usherbrooke-amende.shtml

[9] Les manifestations « interdites » par la police ne constituent pas un phénomène nouveau. En dix ans, elles se comptent par dizaines. En 2005, l’ONU a d’ailleurs condamné le SPVM pour sa pratique des arrestations de masse.

[10]  Pour lire ce chef d’œuvre http://www.journaldemontreal.com/2012/02/22/intimidation-et-violence