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Il fera chaud cet été

Les négociations sont terminées…

Admettons-le : nous avons été plusieurs à croire que le gouvernement avait enfin compris l’ampleur de la crise dans laquelle il se trouve. Même les plus pessimistes ont cru un instant que le gouvernement allait plier à nombre des demandes étudiantes. Plusieurs éditoriaux des amis du parti allaient en ce sens…

Nombre de faits témoignent avec éloquence de la faiblesse actuelle du gouvernement : la manifestation « illégale » 22 mai a mené plus de 200 000 personnes à défier la loi 78; les concerts de casseroles qui, au départ, rassemblaient des milliers de personnes de façon spontanée dans les rues de Montréal, se sont vite répandues à travers la province, de même qu’ailleurs au Canada; l’ensemble des juristes et des spécialistes, Amnistie internationale et maintenant l’ONU condamnent cette loi considérée comme antidémocratique…

Ce nouveau souffle de combativité et de solidarité vient s’ajouter aux nombreuses victoires accumulées par les étudiantes et étudiants depuis le début du conflit : contre les injonctions (dont la vaste majorité ont été combattues par des piquets de grèves ou des levées de cours), contre l’offre à rabais du gouvernement (massivement rejetée par les assemblées), contre les tentatives de division du mouvement (qui est resté uni malgré la campagne de démonisation de la CLASSE), etc.

Sans oublier que le calendrier des festivités estivales semble avoir été élaboré pour favoriser le rapport de force des contestataires. Combien de spectacles des Francofolies se termineront en manifestation? Combien d’actions viseront à perturber le Grand Prix de Montréal? Combien de casseroles vont enterrer l’humour parfois douteux du Festival Juste pour rire? Autant de questions qui font trembler le maire et la Chambre de commerce …

Alors pourquoi le gouvernement ne prend-il pas la mesure de la crise et n’agit-il pas en conséquence? Les étudiants ont même proposé au gouvernement un moyen de financer les premières années de la hausse à même les poches des étudiants… Il doit bien y avoir une frontière à cet entêtement et à cette intransigeance, non?

Céder beaucoup?

Un gel, un moratoire ou l’équivalent, en ce qui concerne les frais de scolarité, et un retrait de la loi 78 (ou du moins de ses articles les plus litigieux) auraient sans doute permis au gouvernement d’amenuiser qualitativement le conflit, qui aurait sans doute été chose du passé en septembre prochain.

Mais le gouvernement n’a pas opté pour cette solution. Et cela s’explique…. Nous vivons une crise économique et politique sans précédent. Sans politique d’austérité (comme en témoignent avec éloquence la Grèce et l’Espagne), le capitalisme ne pourrait continuer à assurer sa croissance infinie; croissance qui est le souffle indispensable à cette économie chaotique. Le marché peine de plus en plus à se reproduire sans créer de mécontentement; un mécontentement de plus en plus généralisé qui doit être contenu, pacifié et matraqué par l’État et ses sbires.

Le Guardian disait dernièrement que le mouvement étudiant était le « plus im­por­tant défi pour le néo­li­bé­ra­lisme du conti­nent » [1]. Nul doute que le gouvernement est bien conscient de cette situation et qu’il sait qu’il ne peut céder sans inviter l’ensemble des mouvements sociaux d’Amérique du nord à imiter les étudiantes et les étudiants québécois, dont la combativité et la désobéissance seraient ainsi fortement récompensées. Comme le mouvement fait la une du monde entier depuis quelques semaines, la pression sur le gouvernement doit être énorme et provenir, non seulement d’Ottawa, mais également de Washington.

Cette  pression « extérieure » de la classe économique est cependant doublée de son envers. Si l’économie globale en crise a toujours besoin de nouvelles coupures pour satisfaire les apôtres du profit, les investisseurs de Montréal veulent, pour leur part, que le conflit se règle au plus vite. En ce sens, l’État se doit d’agir, car il ne peut laisser le conflit perdurer éternellement.

Céder un peu?

Le gouvernement aurait pu être tenté de s’allier les fédérations étudiantes avec une offre mitoyenne (une demie poire quelconque). La CLASSE en serait sortie plus isolée; ce qui aurait permis au gouvernement de la stigmatiser et de la rendre seule responsable des perturbations à prévoir cet été. Ceci aurait également permis aux forces de l’ordre de légitimer la poursuite de la répression.

Cette deuxième avenue était déjà plus probable… Le gouvernement aurait d’ailleurs reçu l’appui de nombreux chroniqueurs qui travaillent pour lui en continuant de faire de la CLASSE une organisation « violente » et « contrôlée » par les syndicats.

Cette avenue n’aurait cependant pas permis aux perturbations de prendre fin à court terme. Sans oublier que les fédérations étudiantes semblent bien conscientes que le rapport de force relatif à cette grève a été développé par la CLASSE, qui en jouit d’ailleurs énormément sur le terrain. Elles semblent comprendre que la saignée de ses membres au profit des radicaux n’est pas anecdotique et qu’elles ont en fait très peu à gagner de se dissocier de la frange combative.

Des élections?

Rien n’est impossible – et cela semble être la position du ministre de l’Information du Parti libéral, André Pratte. Si le gouvernement s’aventure dans cette voie, on pourra dire qu’il a sacrifié une saison de tourisme au profit de la poursuite à long terme de l’austérité budgétaire.  Ceci lui permettrait d’affirmer qu’il n’a jamais cédé à la « menace » de la rue – ce qui est manifestement plus grave, en démocratie, que de gouverner pour les banques. Le discours médiatique et gouvernemental, qui ne cesse d’accorder plus d’importance à la crypto-violence étudiante qu’à la brutalité de la répression policière, a d’ailleurs déjà mis la table afin de poursuivre dans la propagation de ces mensonges. Et les menaces venant de la CLASSE d’ « organiser le Grand Prix »  sont déjà instrumentalisées à cette fin.

Ces négociations, au final, auraient donc été la dernière carte à jouer du gouvernement, qui s’en servira pour dire qu’il s’est encore une fois montré très généreux envers les étudiants. Si ce message, compte tenu de la mauvaise foi évidente du gouvernement, semble bien ridicule, il ne faut pas sous-estimer la démagogie des haut-parleurs au service des libéraux.

Ajoutons également, puisque cette crise ne semble pas profiter au Parti québécois plus qu’il ne le faut, que rien n’indique que les libéraux ne seraient pas… encore… une… fois… réélus.

Mais si le gouvernement n’est pas totalement omnubilé par ses lubies, il sait très bien que cela ne mettra pas fin à la crise à court terme.

Autrement dit : il fera chaud cet été… très chaud même.

 

 

[1] Martin Lukacs, « Quebec student protest mark « Maple spring » in Canada », The
Guardian, 2 mai 2012. http://www.guardian.co.uk/commentisfree/cifamerica/2012/may/02/quebec-student-protest-canada