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Stratégie syndicale et tactique de bronzage

Alors que les étudiantes et les étudiants poursuivent leur mobilisation et fourbissent leurs armes en vue d’une rentrée haute en émotion, voyons voir ce qui se passe du côté des grandes centrales syndicales…

Note : les citations que vous trouverez ici sont authentiques. Seuls quelques mots, qui ne sont pas entre guillemets, ont été ajoutés afin de mieux les insérer dans notre petite histoire.

*

Michel Arsenault est confortablement lové dans sa chaise longue. Généreusement couvert de crème à bronzage, lunettes de soleil au nez et bière à la main, il prend du bon temps. Son ami
Louis Roy de la CSN, se tenant à sa gauche, fait de même. Au passage d’un étudiant engagé pour travailler dans son jardin pour l’été, Michel se rappelle les dernières négociations avec les grévistes.

– Tu te souviens, Louis, quand on a reçu le coup de téléphone : « Le premier ministre aimerait vous rencontrer cet après-midi ? Quand t’es président de la FTQ et que le premier ministre te convoque, tu y vas, surtout quand il te demande un service pour le bien du Québec » [1].

Se parlant surtout à lui même, il ajoute : « Je voulais pas jouer au mononcle, mais je leur ai expliqué que négocier, c’est concéder. Ça prend un rapport de force que tu puises dans la mobilisation. J’appelle ça: monter le chat dans le poteau. Mais un jour, il faut être capable de redescendre le chat »[2] .

Écoutant en catimini la conversation, l’étudiant en sueur repasse devant les deux syndicalistes avec une poche de terre sur les épaules. Il n’aime pas du tout ce qu’il entend, mais la chaleur écrase sa volonté de répliquer.

– J’ai même été obligé d’expliquer ça à nos syndicats affiliés au Canada anglais, ajoute Arsenault : « Il faut faciliter une entente négociée au lieu d’alimenter les feux. Des ailes plus radicales appellent à une grève sociale et nous croyons pas que ce soit LA stratégie à promouvoir pour le moment. Nous devons comprendre que, malgré leur force apparente, les associations étudiantes sont épuisées et inquiètes devant ce qui vient »[3]

Louis Roy, assommé par le soleil et la chaleur, se réveille un peu. La bouche molle, il enchaîne. Moi je leur ai dit : « Match nul. Ça veut dire match nul pour tout le monde, le gouvernement accepte d’oublier ce qu’il a fait dans le budget, et doit changer ça, et les étudiants doivent se dire, bien on se reprendra dans un débat public et dans les élections, et on refera le débat tout le monde ensemble, mais dans un autre contexte dans l’année qui vient »[4].

– Dire qu’il y a du monde pour penser que c’est nous autres qui est derrière le mouvement. Je l’ai dit au directeur générale des élections : « La contribution financière que la FTQ a versée aux associations étudiantes l’a été dans le cadre de l’organisation des grandes manifestations des 22 mars et 22 avril… Il n’a jamais été question, de quelque manière que ce soit, de financer l’activité politique d’aucune association étudiante. Et j’ai jamais eu de rencontre avec Gabriel Nadeau-Dubois »[5] .

– « Ouin, ouin » affirme avec éloquence Louis Roy, tout en se rendormant.

– Pis je l’ai dit aux étudiants, ajoute Arsenault décidément emballé par ses propos : « La grève favorisera le Parti libéral. Si les étudiants profitent de la campagne électorale pour durcir encore le ton et braquer les Québécois, ils risquent bien de faire le jeu du gouvernement et de favoriser sa réélection »[6].

L’étudiant, qui n’a pas manqué un mot de la conversation, sent monter en lui une indescriptible colère… La scène est trop enrageante, trop grossière. Après plus de trente ans de défaites, de trahisons, de participation aux déficits zéro et de péquisteries en tout genre, ces gros « syndicalistes » osent nous faire la morale! Alors qu’on a sacrifié notre session, qu’on a marché tous les soirs, tous les jours, qu’on mangé des coups de matraque par centaines et qu’on s’est fait arrêté par milliers, ces bureaucrates, eux qui n’ont à peu près rien fait contre le gouvernement, se permettent de nous faire la leçon ?

La rage lui monte au visage. Il devient rouge. Il faut dire que la chaleur ne l’aide certainement pas à calmer ses esprits. Pas plus, d’ailleurs, que la pelle de jardinier qu’il tient désormais entre ses mains.

Un peu étourdi, il poursuit sa réflexion. C’est logique. Super logique ! Plus on se bat, plus on se fait traiter de « violents » ; plus on se fait traiter de « violents », plus on favorise Charest. Donc la solution est simple : il faut arrêter de se battre. Ça, c’est de la stratégie! Il ne faut surtout pas dénoncer l’instrumentalisation de la violence faite par le gouvernement : surtout pas ! Il ne faut pas dénoncer les délires paranoïaques des médias et la brutalité policière : surtout pas ! Ce qu’il faut faire, selon les bureaucrates à cravate de mes deux, c’est recommencer à fermer sa gueule. C’est vraiment n’importe quoi !

Debout et droit devant les deux syndicalistes ronflants dans leurs chaises longues, l’étudiant tient la pelle de plus en plus fortement entre ses doigts. Lentement, il dit, cette fois-ci à voix haute: « Tu le finiras toi-même ton jardin, Arsenault. Ça va te faire du bien de travailler avec tes mains. Ça te reposera le cerveau. Quant à moi, j’ai des choses plus importantes à faire dans vie que de travailler. J’ai une bataille à finir, une grève à gagner. Good bye ! ».

Il lance la pelle au bout de ses bras et quitte les lieux à grands pas.

Les deux chefs syndicaux n’ont absolument rien entendu. Ils dormaient, et rien n’aurait pu les éveiller. Sinon, bien entendu, un appel du premier ministre.

 

***

Notes

[1] Michèle Ouimet, « La nuit des longues négos » :
http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201205/11/01-4524668-la-nuit-des-longues-negos-trois-acteurs-racontent.php

[2]Ibid.

[3] Martin Croteau, « FTQ : La guerre des clochers sur carré
rouge », La Presse, http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201207/10/01-4542229-ftq-guerre-de-clochers-sur-carre-rouge.php

[4] Entrevue avec Anne-Marie Dussault à 24 h en soixante minutes, émission
du 31 mai 2012 http://www6.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2012/RDI/2012-05-31_19_00_00_24h60m_934_800.asx

[5] Associations étudiantes: la FTQ réplique au Parti
libéral http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201207/26/01-4559553-associations-etudiantes-la-ftq-replique-au-parti-liberal.php

[6] Journal de Québec, « La grève favorisera le parti libéral »
http://www.journaldemontreal.com/2012/07/30/la-greve-favorisera-le-parti-liberal-du-quebec