BloguesMouvements sociaux

Boston : le refus de penser

18 avril 2013… Monsieur Mathieu Bock-Côté prend son bain. Fidèle à son habitude, il patauge en discutant avec sa prétentieuse personne. Solitaire comme tous les grands de ce monde, il s’amuse avec de petits hommes de pailles imaginaires qu’il fait clapoter dans l’eau. Il peut leur faire dire tout ce qu’il veut : « Je n’aime pas l’Occident. Fuck you! Elle est responsable de tout ! », dit la marionnette gauchiste. « Nous voulons vous anéantir. Mouhahahaha! », dit le terroriste.

Ces petits amis imaginaires lui permettent de passer le temps, tranquillement pas vite. « Ça suffit! C’est immoral! » dit Monsieur, momentanément personnifié par une figurine de Monsieur Patate. « C’est du relativisme. Il faut défendre l’Amérique… »

Et « clap » et « ploutch » et « clap » et « brrrr » et « taratatatow tow! » et « Tiens-toi ennemis de la Nation! » et « clap » et « brrrr » et « taratatata tow ».

Bon, enfin, vous voyez le genre.

Ça dure assez longtemps.

Toujours est-il que le lendemain matin, Monsieur écrit un texte fort pertinent où il met par écrit ses pensées marinées la veille.

Il a trouvé un bon titre : « Boston : le relativise haineux ».

Dès la première ligne, il déploie sa thèse généreuse et surprenante : « Elle est fascinante la capacité de relativisation d’une certaine frange de la gauche radicale ». Aucun exemple, aucun fait ne viendront appuyer ce qu’il affirme. Normal : les hommes de pailles dont il parle n’existent pas. Car personne, mais réellement personne de la gauche – radicale ou non – n’a appuyé les gestes des terroristes. Personne n’a tenté de les défendre de quelque manière que ce soit. Et personne n’a dit qu’il ne fallait pas rendre justice aux victimes de ces attentats.

Autrement dit : tout le monde s’est ligué derrière les victimes de Boston, et pour cause. Mais le Monsieur – c’est qu’il est malin – comprend tout des intentions non avouées de ses amis fantastiques. La gauche porte un « masque » de vertu qui « cache » son « aversion profonde » et son « fantasme d’autodestruction ».

Elle ne le sait pas, lui sait.

Si se poser des questions, c’est relativiser, nous n’avons pas le choix. Il faut « pleurer », d’abord, telle une petite poupée de plastique au fond du bain, et « riposter », ensuite, contre les « agresseurs de la démocratie », tel Monsieur Patate qui bombe le torse du haut du robinet.

Cette discussion, Monsieur ne peut l’avoir qu’avec lui-même. Il se trouve cependant des gens qui, par delà les appels à la peur de l’Autre, tentent de réfléchir aux moyens à prendre afin d’éliminer les conditions de possibilité qui permettent à de telles horreurs de se produire et de se reproduire. Par delà le « patriotisme occidental » qui fait frissonner les chroniqueurs réactionnaires, et qui n’est rien d’autre que le reflet inversé de la haine portée par le terrorisme, il est de notre responsabilité de saisir les causes de cette violence.

Humblement, il nous faut tenter de comprendre.

Se prêter à un tel exercice, nécessairement, revient à identifier les conditions historiques, idéologiques et économiques qui permettent à tels actes, si choquants soient-ils, d’exister. Et par-delà le manichéisme qui oppose l’Occident à l’Autre et qui nous situe – toujours! – du côté du Bien, analyser ces conditions nous mène également à questionner les rapports de force et de domination qui caractérisent notre monde.

Pour finir son papier, toujours un peu accompagné par lui-même, le Monsieur y va d’une réflexion qui semble directement lui être adressée (enfin, à lui et à ses fabuleux amis) : « Et pour tout dire, il n’y a rien de pire que la bêtise qui se prend pour un mélange de courage et de génie. Ces jours-ci, bien franchement, elle est terriblement courante ».

*

En 2001, l’historien québécois Jean-Marie Fecteau réplique à Jocelyn Coulon en l’accusant de participer à l’ « hystérie antiterroriste ». Après 12 ans de ces recettes guerrières, nous croyons que ces mots sont toujours d’actualité – la citation est un peu longue, mais elle en vaut la peine

 « Ces gauchistes affreux, terrés dans les caves du Monde diplomatique ou dans les officines des groupes humanitaires, sont aussi probablement coupables d’avoir dénoncé, les premiers et les seuls, les horreurs des Talibans et de leur suiveurs, bien avant que nos penseurs s’inventent une conscience internationale largement médiatisée. Coupables, avec tant d’autres, d’avoir osé dire et penser que la catastrophe du 11 septembre n’est pas l’horreur atemporelle de la violence sans nom mais celle d’un moment historique. Coupables d’avoir vu, dit et pensé que l’unique n’a de sens que quand il témoigne, parfois avec stridence, de son époque et qu’il est replacé dans la mouvance incessante des choses. Coupables de vouloir changer ce monde qu’ils savent inégal et qui les insupporte, coupables de ne pas avoir la complaisance facile des apôtres du bonheur quotidien. Coupables de penser que quelque part, nous sommes tous responsables, et qu’il faut constamment « nous rappeler qu’aucune société ne peut construire son bonheur en créant un monde qui se bâtit sur le sang des sociétés lointaines » (Mouawad). Coupables de voir dans l’événement autre chose que l’absurdité éternelle de la violence, de saisir cet événement comme occasion et nécessité d’un appel renouvelé à la pensée critique. Coupables finalement de mettre cette intelligence des choses au service du seul absolu qui mérite qu’on y tienne, celui des aspirations au changement pour le mieux. Car l’obligation éthique de penser le réel dans sa survenance même brutale n’est qu’une manifestation du devoir de le changer » [2].

 *

Notes

[1] Monsieur Mathieu Bock-Côté, « Boston: le relativisme haineux », Le blogue de MBC, 19 avril 2013: http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/general/boston-le-relativisme-haineux/

 [2] Jean-Marie Fecteau, « Un certain 11 septembre au matin… », Bulletin
d’histoire politique
, septembre 2001.