BloguesMouvements sociaux

Mise en Demeure : il pleut des pavés

 

« Pis pendant c’temps, on espère que t’es au chaud

On te promet, qu’on t’enverra des cadeaux

À commencer par le p’tit nouveau, d’la famille Péladeau » 

– « Chartrand », Mise en demeure

 

Ils sont poilus, sales et mal élevés. Mise en Demeure s’est fait connaître du grand public lors de la dernière grève étudiante. Vous vous souvenez? C’était du pur délire. Un délire plutôt inquiétant, en fait. Yalda Khadir a été arrêtée à 6 heures du matin, menottes aux poings, comme si elle était membre d’Al Qaïda. Les policiers, toujours fins renards, ont trouvé une affiche du groupe sur la table de la cuisine. Il s’agissait d’un pastiche d’une peinture de la Révolution française mettant en vedette les membres du groupe, Jean Charest et Amir Khadir. Un montage à la fois réussi et banal. Les policiers, neutres dans leur travail, ont remis l’affiche aux journalistes (qui avaient comme par hasard été mis au courant de l’opération).

Le SPVM Journal de Montréal a fait sa « une » avec ledit pastiche. Toutes les tribunes de la droite populiste en ont parlé, même le premier ministre a commenté l’affaire, et Richard Martineau a eu la pathétique – brillante! courageuse! intelligente! – audace de mettre en demeure… Mise en Demeure.

Mise en Demeure, c’est un peu comme si Plume avait engrossé Michel Chartrand. Des textes baveux, méchants et violents enrobés de musique minimaliste, tout croche et dissonante. Ils incarnent à peu près tout ce que la gauche « progressiste » ne veut pas être. Samedi prochain, ils sortent leur troisième album… Histoire de comprendre de quoi se nourrit la bête, nous l’avons interrogé cette bande de lurons en colère.

*

Parlez-nous un peu de vous. Vous faites quoi dans la vie à part Mise en Demeure?

François Dada aime les promenades en montagne et le fitness. La Bananarchiste aime les couchers de soleil romantiques se terminant par un feu de PDQ [Poste de quartier]. Alain Savard investit à la bourse, et J-S le Tueur n’a aucun loisir, y fait juste cuisiner des lunchs parce que c’t’un vegan.

On n’est pas tellement « people ».

Vous êtes mal engueulés, poilus, méchants: est-ce qu’on peut dire que vous incarnez l’antithèse des porte-paroles étudiants en vestons qu’on a vus sur toutes les tribunes pendant la grève?

Criss, y’a un député, une collabo de Martineau, pis un travailleur syndiqué travaillant dans les syndicats. Y’ont su ben se ploguer pis s’assurer d’un avenir rayonnant. Ça fait que, ouais, d’un côté, on est l’antithèse des porte-paroles parce qu’on a encore des conditions de vie de misère. Nous en sommes encore à téter les fonds de pichets de sangria, à voler à l’épicerie, à sauter le métro, à nous faire insulter par la flicaille. Et ça, c’pas juste notre réalité… C’est aussi vrai pour nos camarades de lutte. À part quelques privilégiés du « printemps érable », pis les flics, qui est-ce qui se retrouve dans une meilleure posture qu’à pareille date l’an dernier? C’est dommage que des gens puissent surfer comme ça sur un mouvement populaire, passer GO pis empocher le capital culturel.

Vous dites que votre album est un bilan musical de la grève, quel bilan, justement, en tirez-vous?

Toute cette effervescence pour ça? Sept mois de grève pour accoucher de ça? Un gouvernement de marde! Une police politique! De la répression systématique! De la peur, de la souffrance, des trous noirs dans le moral de nos amis! […] Pour beaucoup, le moral est à terre. Le climat social s’est refroidi, le retour à la normale a été brutal. Après la rentrée forcée et les élections, y’a eu deux sessions compressées sans temps pour souffler, pour aller jouer dans la neige, pour regarder pousser les fleurs, pour écrire des sonnets ou pour faire l’amour. […] Et c’est un peu ce qu’on veut souligner dans nos chansons : que peu importe la marde qui nous tombe dessus, on va se tenir ben ben fort, pis renverser les oppressions qui nous font courber l’échine. On va leur faire des prises de lutte, les câlisser au sol, pis les achever à coup de « crobar ». Notre bilan? On veut chanter et faire danser sur les cadavres des fantômes qui peuplent nos têtes.

On se souvient de l’histoire de l’affiche, qu’avez-vous retenu de cet épisode?

Sont ben sensibles la bande de fuckers qui égratignent nos vies. Des affiches pis des chansons qui reçoivent des appels à la censure de la part d’un premier ministre, de nombreuses personnes de son cabinet, du maire de Québec, tandis qu’y’a du monde qui perdent leurs yeux, leurs dents, leur dignité… Sont ben capables de faire dérailler ça, une crise sociale, en l’assaisonnant de mépris et de suffisance. Une bande de tartuffes qui sont offensés qu’on puisse songer à rendre les coups. Pire encore, ça se fâche seulement parce qu’on chante qu’on « aimerait ça » rendre les coups.

Ça nous fâche que ces gens-là se posent en victimes du système. C’mon!

Et c’est tant mieux quand la peur change de camp. Malheureusement, ce n’est pas le bilan qu’on peut tirer de l’année qui vient de se dérouler.

Est-ce que vous pensez que votre album va faire autant scandale que le premier?

Le scandale, c’est ce qu’on dénonce dans nos chansons. C’est l’austérité qu’on tente de nous faire avaler, jour après jour, année après année, siècle après siècle. Le scandale, c’est qu’il y a assez de caves qui maintiennent ce système d’oppression en place. À force de cracher dans les airs, ça finit par leur retomber dans la face. Mise en Demeure, on est un criss de gros « morviât ». Tant mieux si des gens s’offusquent!

Au mieux, y vont changer pour le mieux en prenant conscience de la plaie qu’ils et qu’elles sont [rires]. Au pire, ça va servir d’exutoire pour des crottés à qui y reste rien que du rêve dans le compte en banque à la fin du mois.

Pendant la grève, certaines de vos chansons étaient prisées lors des manifestations. Est-ce que vous pensez avoir de l’influence sur le mouvement? Est-ce que c’est votre objectif?

En toute modestie, nous sommes des thérapeutes musicaux. Nos chansons se font reprendre quand il y a répression. On les chante pour se donner la force de résister et de rester debout malgré l’adversité. Ce que nous mettons en musique, notre vécu qui ressemble à celui de milliers de personnes qui donnent le meilleur d’eux et d’elles-mêmes, alimente l’espoir de changement qui est faible en petit ouistiti.

On chantonne notre rage et c’est tant mieux si ça résonne ailleurs. On se sent moins seuls. C’est probablement ce qu’on a retiré de plus fort, en tant que groupe, pendant la grève étudiante : cette prise de conscience du bien qu’on peut faire autour de nous.

La violence est très présente dans vos textes alors qu’en société on a l’impression qu’elle est intégralement commandée, que ce soit en ce qui concerne l’intimidation à l’école, la violence de l’action directe, etc. Est-ce qu’on peut dire que vous êtes en réaction à cette tendance?

La violence est partout. Elle est rendue légitime et presque plus personne ne la conteste. La violence se retrouve chez cette maman de trois enfants qui est monoparentale et qui a deux jobs pour parvenir à creuser sa marge de crédit chaque mois. Elle se retrouve dans les horaires atypiques de tellement de personnes qui vivent sur appel, incapables de s’appartenir même quand y dorment. La violence, c’est le Maxi qui a des containers qui débordent de bouffe dans un quartier où est-ce que y’a des enfants qui se couchent le ventre vide. La violence, c’est de se câlisser des conditions de travail des ouvriers qui ont fabriqué nos t-shirts. C’est aussi le fait d’être au courant de ça, mais de ne pas avoir d’autre choix que d’y participer. La violence, c’est de couper les chèques de B.S., de chômage, de traquer les pauvres. C’est d’acheter des avions de chasse à la place de nourrir les affamés. C’est de crever plus jeune quand tu viens d’Hochelaga.

La violence, c’est de parvenir à te faire aimer ceux qui t’oppriment et haïr ceux qui essaient de brasser la cage. Nous, on vise l’émancipation. L’émancipation pour toutes et tous.

Vous êtes à la fois révolutionnaires et humoristiques. Est-ce que vous pensez que l’un ne va pas sans l’autre? Dans le sens qu’en période de repli comme la nôtre il est difficile de passer un message d’une telle radicalité en se prenant au sérieux?

Oui pis non. Ça fait longtemps qu’il y a des gens qui, avec de l’humour, défendent des causes révolutionnaires. On peut penser à beaucoup de protagonistes du mouvement funk qui, dans les années ’70, voulaient renverser la grisaille de la vie et enlever le pouvoir aux technocrates capitalistes en colorant la société. Ou à Alfred Jarry et son Ubu Roi en dix-huit-cents-quelque chose. Ou aux chansons paillardes que les vagabonds transportaient avec eux et elles, du temps des elfes, des dragons et des châteaux. Pis y’a les carnavals.

Rire des puissants n’est pas nouveau. C’est une façon de les délégitimer. De réduire l’autorité qu’ils détiennent pour l’attirer vers le néant. C’est aussi une forme d’empowerment pour les opprimés.

Peut-être bien qu’il y a eu une fenêtre historique où les artistes se prenaient pour une avant-garde qui pouvait voir et comprendre ce qu’il y avait de mieux pour les autres, mais ce temps est révolu. Nos propos se veulent drôles. Ils sont aussi subjectifs. On ne prétend pas au sérieux de l’universalité de notre vécu. Tant mieux si ça contribue à construire des catapultes qui nous permettront de révolutionner qualitativement le monde, mais, ces armes, nous ne pouvons être les seuls à les manier et on ne pourrait dénigrer toutes les personnes qui font un travail militant et politique « sérieux ». Ce n’est pas qu’avec des chansons drôles et une attitude fendante que les mentalités évoluent. Tant mieux si on fait partie de la solution. Tant mieux si on peut rire et faire rire à propos de ce qui nous contraint.

La meilleure façon d’être révolutionnaire, c’est de se faire confiance et de rester honnête envers soi-même. Pas besoin d’être drôle pour vouloir crisser le vieux monde à terre.

Sur votre dernier album, vous tiriez sur les politiciens et les policiers à profusions. De nouvelles cibles sur « Il pleut des pavés »?

Les noms peuvent changer, les attitudes et problèmes de société qu’on dénonce sont les mêmes. L’hydre du capital a de nombreuses têtes et, sitôt que l’une d’entre elles est coupée, une autre repousse.

*

Ils seront en spectacle le samedi 18 mai prochain au National (1220 Ste-Catherine ouest), dès 19h30, avec les Sofilanthropes.

*

Pour les entendre se foutre de la gueule d’Éric Duhaime : http://www.youtube.com/watch?v=tVqiYlfJB6o&feature=player_embedded