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Radio X : le courage des cowboys

 

Bienvenue à Québec City.

Il fait chaud. Sous sa casquette des Nordiques, Pat Liberty, le cowboy viril, fait friser les poils bruns de sa moustache. La sueur perle sur son front, de sa voix éraillée, il gueule: « Sac à merde. Pourriture. Minable! On ne veut pas des métèques en ton genre à Québec City ». Face à lui, Lucky the Red, son éternel rival, tout petit et menu, le regarde droit dans les yeux. « On ne me parle pas ainsi. C’est assez. Je te provoque en duel.  Tu vas voir de quel bois je me chauffe! ». Pat Liberty fronce les sourcils : « Très bien! Ce n’est pas le courage qui me manque. Œil pour œil, pauvre fillette ».

Lucky the Red bombe le torse et se prépare à dégainer… Mais d’un geste rapide, Pat lui tourne le dos, monte sur son cheval et galope en vitesse jusqu’à son ranch en haute ville…

Le lendemain matin, Lucky recevait une lettre d’avocat le sommant de se taire.

Ces propos, paraît-il, auraient blessé le cowboy…

*

250 000$. C’est le montant de la poursuite envers les militants derrière la campagne de boycott des commanditaires de Radio X. Il faut dire que les images dénonçant la radio-vidange sont fort percutantes. Elles reprennent les propos crapoteux des animateurs pour les attribuer aux commanditaires :

« Les femmes devraient rester à la maison pour qu’il y ait moins de traffic. Charrier des enfants à la garderie ça crée aussi du traffic. » – Couche-Tard

« On fait un mur […] puis on les enferme là-dedans. Tous les itinérants […]. Tu les castres avant. » – Rona

«  Esti de féministes frustrées. » – Ameublement Tanguay

Il est indiqué que ces propos ne sont pas ceux des compagnies, mais bien ceux des cowboys courageux. L’objectif est de boycotter les commanditaires afin qu’ils cessent de soutenir cette propagande haineuse.

Bien entendu, Pat Liberty, le cowboy sensible, n’a pas aimé.

Ça lui a fait de la peine.

*

– Si tu n’es pas totalement vide de dignité, pourquoi ne pas te battre sur le terrain des idées? demande naïvement Lucky.

– Laisse tomber les grands mots, canaille, je me bas sur notre terrain, celui de la droite, réplique Pat Liberty, désormais caché derrière son avocat.

La droite? Tu veux dire, le terrain du droit, larbin.

Droit ou droite… Je te dis de laisser tomber tes grands mots. Tu sauras qu’à Québec City on ne s’embarrasse pas de ce type de détail… pauvre type!

*

Ce n’est pas la première fois que la radio-poubelle entame ce genre de démarche. Simon Jodoin, notre patron au Voir.ca, a lui-même reçu une mise en demeure pour un papier où il traitait les animateurs de « jambon » à toutes les demi-phrases. Histoire de ne pas entraîner son équipe dans la tourmente une nouvelle fois, il avait décidé de retirer sa chronique de la circulation. Au Saguenay, la « Coalition sortons les poubelles » a elle aussi été victime d’une vaste campagne de dénigrement. Les animateurs n’ont d’ailleurs eu aucun problème éthique à s’associer à des collaborateurs d’extrême-droite pour effectuer leur intimidation à l’endroit de ces « gauchistes » du Plateau (en exil au Saguenay)[1].

C’est maintenant au tour des militants appelant au boycott d’être dans la mire de Radio X. Qu’ont-t-ils fait de mal, au juste? En entrevue, Eriku, lui-même mis en demeure, affirme : « J’ai rendu les entreprises imputables des propos tenus en onde. J’ai fait prendre conscience aux gens qu’ils avaient un bien meilleur pouvoir sur Radio X en parlant à ceux qui les financent qu’en les traitant de « jambon » ou de « radio-poubelle » [2]. Cette façon de faire est pourtant en concordance avec les fameuses lois du marché et de la concurrence mis de l’avant par la station, non? « Ils n’oseront jamais avouer que c’est très « libertarien » ce qui se passe… À moins qu’ils n’aient tout simplement pas compris leur propre idéologie ».

Quel est alors le crime dont on l’accuse, lui et ses collègues ? Le problème, selon le directeur général de Radio X, Patrice Demers, est que le but de la campagne est de « fermer les stations de radio ». Soit… Admettons que ce soit vrai, mais en quoi cela est-il illégal? « À partir du moment où on transforme notre contenu pour nous faire mal paraître et qu’on l’associe à nos annonceurs, ça devient complètement illégal et on n’a pas le choix de prendre des mesures » [3].

Nous y voilà. On connait la chanson. Les cowboys virils ne sont pas contre la liberté de leurs détracteurs (non, non…). Ils ne sont pas contre le débat (franchement!). Ils n’aiment simplement pas être cités hors contexte (voilà!). Quand ils parlent de « castration » des pauvres, d’ « enterrer » les Indignés et de « rentrer avec leur char » dans les manifestants; quand ils disent qu’ « Haïti est un trou à marde », que Gabriel Nadeau-Dubois est un « rat » et que les peuples maghrébins sont « profondément tarés », il faut mettre le tout en contexte pour comprendre. Le contexte, c’est important pour saisir une pensée fine et nuancée de ce genre, car comme le dit si bien le cowboy viril Jérôme Landry : « La droite n’insulte jamais la gauche » [4].

Mais pourquoi cette campagne devrait avoir plus de succès que les précédentes ? « Je suis convaincu que ça va fonctionner s’il y a suffisamment de gens qui embarquent dans le boycott et qui, surtout, le font savoir aux entreprises », soutient Eriku. Autrement dit, avec le boycott des commanditaires, on toucherait aux assises mêmes de la radio et de sa raison d’être : l’argent. Radio-Nord Communication, propriétaire de la station, affirme d’ailleurs que la campagne fonctionne bien puisqu’elle aurait engendré la perte de plusieurs dizaines de milliers de dollars en commanditaires.

Jusqu’où ira Radio X pour faire taire la critique? Jusqu’où iront les militants pour faire valoir leur point de vue? La campagne de boycott réussira-t-elle là où l’État et le CRTC ont échoué?

C’est une histoire à suivre… activement.

***

Notes

[1] Collectif Emma Goldamn, Radio X: les vendeurs de haine, Les Éditions ruptures, 2013.

 

[2] Note à nous-mêmes: ne pas les traiter de « jambon » et de « poubelle », ils aiment ça.

 

[3] Isabelle Mathieu, « Les proprios de Radio X veulent fermer des blogues », Le Soleil, 24 mai 2013; voir aussi : Olivier Parent, « Victime d’une poursuite baillon », par CHOI Radio X », Le Soleil, 25 mai 2013.

 

[4]En onde, le15 mai 2013.