Musique

Prise de son : De manière et de matière

Drôle de parcours que celui des Frères à ch’val, qui jouaient jeudi dernier au Café Campus. Drôle de parcours, qu’on avait bien suivi jusqu’à maintenant. Rappelons les faits, pour la petite histoire. Lorsque le groupe s’est formé, il y a quatre ans maintenant, il s’agissait d’une formation bicéphale, représentative de notre dualité. D’un côté, Thibaud da Corta, bédéiste, fan éperdu de Gainsbourg (qu’il chante encore régulièrement), et pendant européen, avec un oil gigantesque sur la France. De l’autre, Polo, aussi bédéiste, amateur de country-rock et de chanson québécoise, penchant dangereusement du côté de l’Amérique.
On les a vus maintes et maintes fois au chic Barouf. Des soirées à trois sets, à la sobriété aléatoire, tant dans la salle que sur la scène. Des soirées bien arrosées, où se développait, entre les musiciens et les spectateurs, une complicté à toute épreuve. Dans ce temps-là, on aurait suivi Les Frères à ch’val à peu près partout, assurés que l’on était de passer une bien bonne soirée.
Puis, Les Frères ont fait un premier album bien sympathique. On l’écoutait de temps à autre, histoire d’avoir une carte postale de ces mémorables soirées au Barouf. Petit à petit, le groupe a commencé à jouer à la radio, à faire des clips, à faire des scènes plus importantes.

C’est lors de leur première médiatique, au Club Soda, il y a déjà quelques années, qu’on a commencé à débander. On avait été déçus parce que Les Frères, malgré l’exiguïté du Soda, n’avaient pas réussi à recréer l’atmosphère endiablée du Barouf. Le contact n’était plus le même. L’avenue du Parc n’est pas la rue Saint-Denis. On ne peut pas transplanter le Quai des brumes sur Parc.
Je vous épargne les détails de la scission, la saga des départs et des arrivées, pour en venir, finalement, à la soirée de jeudi dernier, où j’ai vraiment fait le deuil des Frères que j’avais connus et aimés. Les Frères à Ch’val ont beau avoir su conserver cette attitude de groupe de party, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi devenus un vrai de vrai groupe, avec tous les avantages, mais aussi tous les inconvénients.

Cinq musiciens, menés par Polo, cinq musiciens qui ne sont pas sur scène pour faire la fête, mais pour que la fête soit dans la salle. Cinq musiciens qui marchent tous au pas, et toutjours au même rythme. Et c’est là où le bât blesse le plus sérieusement. A l’époque de Thibaud, celui-ci amenait des variations de thème et de tempo, un deuxième regard sur les chansons du groupe. Thibaud, parti, ne reste plus que Polo, le pied collé au plancher, frappant toujours le même clou, sans grands changements de beat. Ce qui fait qu’à la longue, même si le but du jeu est que le party pogne, à l’écoute, on finit par se lasser un peu.
On se dit qu’une ballade ou deux (et peut-être même préférablement trois…) viendraient briser le rythme. Qu’un jour, il faudrait se brancher et poser la vraie question: Les Frères à ch’val sont-ils les Soldat Louis québécois, ou bien peuvent-ils avoir la trempe de Steve Earle à la glorieuse époque de Copperhead Road?

L’autre question à se poser est plus générale et ne relève plus que des Frères à ch’val: comment bien faire la transition entre les petites scènes des bistros et clubs, et celles, plus officielles, avec disque à l’appui? Comment ne pas dénaturer le groupe, la musique, en passant d’un endroit minuscule à une scène majeure? Comment un groupe peut-il muer tout en restant celui que l’on a jadis aimé?

Une partie de ces réponses je les ai trouvées samedi soir, au Spectrum, au spectacle de Lhasa. Parce qu’elle a bien fait cette transition. Parce qu’elle n’a jamais vraiment changé, elle avait déniché sa voix et l’a conservée, sans changer radicalement. Elle a simplement ajouté des éléments nouveaux, puisque au départ, ils n’étaient que deux (la chanteuse et le maestro Yves Desrosiers à la guitare), puis trois (Mario Légaré ajoutant la contrebasse), puis quatre (avec le batteur François Lalonde, incidemment un ex-Frères à ch’val), pour finir à cinq avec l’accordéoniste Didier Dumoutier. Et, sur la scène du Spectrum, parfois six avec la présence occasionnelle de la violoniste Mara Tremblay.

Ce travail de superposition, il s’est fait tranquillement, au fur et à mesure de l’évolution des chansons et de l’épanouissement des arrangements. Tout ça pour en arriver aujourd’hui à un son unique, qui s’écoutait religieusement au Spectrum, et qui charme quasi intantanément. A cause de la qualité intrinsèque des chansons, mais aussi grâce à la personnalité attachante de Lhasa, qui traite son public en adulte et ne cherche jamais à recréer cette ambiance de petit bar.

Lhasa chante au Spectrum, elle le sait et le fait savoir. Sa voix prend de l’ampleur lorsque le besoin s’en fait sentir. Elle peut aussi chuchoter si la chanson l’exige. Elle sait installer différentes ambiances, différents rythmes, s’amuse à raconter des histoires, et met tout le monde dans sa petite poche d’en arrière. Avec Lhasa, on n’a pas de surprises, mais on n’est jamais déçu.
Dans les deux cas, tout est question de voix, de personnalité, d’approche, d’ordre des chansons, d’attitude; bref, de manière et de matière.