Prodigy : Gonflés à bloc
Musique

Prodigy : Gonflés à bloc

Le groupe britannique carbure à l’énergie, allie rock et techno, testostérone et danse, n’a pas la grosse tête, et, en bout de ligne, qu’un seul message: «Soyez vous-même.» Comment ne pas être d’accord?

Rarement un groupe aura été aussi populaire sans faire toutefois l’unanimité. Rarement a-t-on vu un groupe vendre au-delà de trois cent mille exemplaires, au Canada seulement d’un album et se faire traiter de tous les noms possibles et imaginables. Rarement a-t-on vu un groupe faire autant de couvertures de magazines à travers le monde, et se trouver devant autant de détracteurs. Pourtant, rarement album avait été autant attendu que The Fat of the Land, le troisième des Britanniques de Prodigy.

Il faut dire que le quatuor avait bien fait monter la sauce, faisant paraître Firestarter presque un an avant la mise en marché de The Fat of the Land. Même Breathe, le deuxième single, est paru plusieurs mois avant que l’album complet soit disponible. Pendant ce temps, Prodigy restait fidèle à son label, XL Recordings, partout dans le monde sauf aux États-Unis, où les multinationales se livraient à une réelle guerre de tranchées pour s’arracher les droits de l’album à venir. Et, rappelez-vous, c’est finalement Madonna, et son Maverick de label, qui a remporté le morceau, mettant une partie de l’électronica sur la carte américaine.

Ce qui étonne, lorsque je joins Maxim Reality, un des deux chanteurs du groupe (avec Keith Flint, l’espèce de cyber-clown), à son domicile londonien, c’est que, malgré le hype, la controverse et la popularité de Prodigy, il n’a aucune «attitude». A côté de Maxim, les deux hommes masqués de Daft Punk ont l’air de Liam Lallagher d’Oasis. Chez Maxim, pas d’«attitude», pas de bullshit. On est loin, très loin, de la star du rock britannique standard qui regarde tout de haut.
Juste pour vous donner une idée de l’ouverture d’esprit de Maxim, lorsqu’il décroche le téléphone, il est en train de travailler sur ce que sera son premier album solo, qui devrait paraître, si tout va bien, avant la fin de l’année. Je lui demande tout bonnement s’il veut bien m’en faire écouter un bout. Sans l’ombre d’une hésitation (sinon celle que «ce morceau ne sera peut-être pas sur l’album, je ne sais pas encore»…), il m’en fait jouer une bonne minute et demie au téléphone. Je suis désolé, mais même Paul Piché n’aurait jamais fait ça!

A l’écoute de The Fat of the Land, une question revient inlassablement en tête: qui est Prodigy? Est-ce le plus rock des groupes techno ou bien le plus techno des groupes rock? C’est autour de cette question fondamentale (et on tient à sa chapelle dans l’univers parfois plutôt clos du techno) que les fans et les détracteurs débattent sans arrêt. «Pour moi, peu importe le genre musical, tout est une question d’énergie. D’emmagasiner l’énergie et de la libérer. Assister à un concert de Prodigy est une véritable libération pour les gens. Je crois qu’ils apprécient ce fait; c’est une des raisons de notre succès.»

Parce que Prodigy (et son principal compositeur et véritable tête pensante du groupe, Liam Howlett) a l’intelligence des métissages. Parce que Prodigy se fout d’être l’un ou l’autre. Parce que Prodigy évolue dans une classe à part, seul groupe techno à faire des spectacles comme des groupes rock. Parce que Prodigy s’en balance, seul groupe rock à utiliser une instrumentation techno. Parce que Prodigy ne cherche qu’une seule chose: être lui-même et faire ce qu’il a envie de faire. «Je ne veux pas classer le groupe, notre musique ou moi-même. Mais, chose certaine, les gens dansent sur notre musique. C’est donc de la musique de danse. Mais le public rock peut très bien comprendre notre énergie.»
Il est inutile, à ce point-ci de la carrière de Prodigy, de faire un retour en arrière. Parce qu’avant The Fat of the Land, à l’époque de Music for the Jilted Generation, par exemple, Prodigy faisait déjà du Fat of the Land. Prodigy mettait déjà de l’avant une rythmique plombée, dure comme du roc(k), mais éminemment dansable. Prodigy intégrait déjà de la guitare ou des échantillonnages de guitares à ses boucles folles de synthés. «C’est aussi de cette façon que nous travaillons. On vit vraiment un moment à la fois. On ne planifie pas grand-chose…»

Les boys
Avec Prodigy (et tous ceux qui, par la suite, ont suivi dans la grande foulée du big beat, des Chemical Brothers à Fatboy Slim, en passant même par certaines pièces des Propellerheads), pour une rare fois, on se retrouve devant une musique de danse qui s’adresse aux gars. Une musique de danse, mais qui n’est constituée que de testostérone, comme une bonne partie du fameux big beat britannique. «J’ai beaucoup aimé le big beat au départ. Mais maintenant, je trouve ça plutôt monotone. J’ai l’impression qu’il y a un grave manque d’originalité dans cette musique. Et ce n’est pas que la faute des artistes. C’est beaucoup à cause des labels qui signent tout ce qui porte l’étiquette big beat.»
Musique de gars, Prodigy l’est jusqu’au bout des ongles. Probablement même juste un peu trop. Juste assez pour effrayer les bien-pensants (et bien-pensantes) en intitulant une chanson Smack My Bitch Up. «Ce qui est drôle, c’est que cette chanson est sur l’album depuis sa parution. Personne ne l’avait remarquée avant qu’on la sorte en single. Donc, elle n’a jamais été composée pour être offensante. Et si les gens veulent quelque chose d’offensant, ils devraient plutôt chercher du côté du hip-hop…»
Et en faisant un clip qui renverse les rôles: plutôt que ce soit un gars qui maltraite la fille, on s’aperçoit, à la fin du clip banni sur toutes les chaînes musicales nord-américaines, qu’il s’agit bel et bien d’une fille qui maltraite l’autre fille. Est-ce excusable pour autant? Probablement que non. «Si on a fait un clip de la sorte, c’est qu’on savait, à cause du titre de la chanson, qu’il serait censuré. D’autre part, les États-Unis devraient mettre un peu d’ordre dans leurs priorités. Notre album a été banni de certains magasins américains. Mais ces mêmes magasins vendent des armes à feu… D’autre part, avec Firestarter et Breathe, nous étions devenus un groupe assez conventionnel. Les parents pouvaient acheter notre album pour leurs enfants. Avec la parution de Smack My Bitch Up, impossible. Nous ne gardons que les vrais fans et éliminons les touristes.»

Mais les qualités du clip résident d’abord et avant tout dans la façon dont il est filmé. Grâce aux trucages et à plein d’autres effets spéciaux indéfinissables, lorsque vous regardez le clip, vous avez l’impression d’être complètement saoul, radicalement stone, et sévèrement amoché.
L’image est, de toute façon, un des points forts de l’univers Prodigy. On aurait fait un casting pour trouver les quatre membres qu’on n’aurait pas mieux choisi. On aurait passé la commande à un styliste pour faire le look d’un groupe à cheval entre le rock et le techno qu’on n’aurait pu mieux faire. L’image, chez Prodigy, semble aussi travaillée que le son. «Honnêtement, nous n’avons jamais vraiment travaillé notre image, assure Maxim. Je suis simplement moi-même. Je ne m’exerce pas pour devenir Maxim. Je le suis. Tu vois, si je jouais un personnage, ça deviendrait assez rapidement beaucoup trop compliqué. Imagine, lorsque tu joues devant des milliers de spectateurs qui s’identifient à toi, mais ce n’est pas vraiment sur toi qu’ils tripent, mais sur ce personnage inventé. Si tu restes toi-même, tu n’as pas à t’en faire. Même dans cinq ans, tu seras toujours toi-même. Si les gens s’identifient à moi, c’est parce qu’ils veulent être eux-mêmes aussi. Ils ne veulent pas d’une société qui mente, ou qui leur dise quoi faire, qui être. Ils veulent être eux-mêmes et s’amuser.»

Le 23 juin
Au stade Jarry