Elvis Costello : La vieille école
Musique

Elvis Costello : La vieille école

Il est, pour toute une génération d’amateurs de musique pop, une espèce de modèle. Depuis ses débuts, il y a déjà plus de vingt ans, Elvis Costello n’a toujours fait qu’à sa tête: jamais il n’a recherché le succès gigantesque qui aurait fait de lui une idole instantanée (et dont on se ficherait aujourd’hui comme de son dernier Simple Minds); toujours il a su conserver une réelle intégrité face à ses besoins et à ses désirs.

S’il a lancé sa carrière en se faisant surnommer le jeune homme en colère par de nombreux journalistes à travers le monde, Costello s’est depuis consacré à bien d’autres choses: on l’a entendu avec le chic Brodsky Quartet (l’album The Juliet Letters) et, plus récemment, avec le monstre sacré de la musique pop américaine des années 60 et 70, l’imposant Burt Bacharach dans un album en duo, aux arrangements classieux, avec beaucoup de gomme, mais qui ne tombe jamais dans la réelle faute de goût. On en retrouve d’ailleurs un superbe exemple sur la bande sonore du film Austin Powers – The Spy Who Shagged Me, la chanson I’ll Never Fall in Love Again.

En fait, au fil des ans et de sa carrière, Elvis Costello (comme Springsteen et Neil Young, par exemple) est en train de montrer comment vieillir de façon intelligente dans ce milieu où la jeunesse est souvent la seule vertu qui compte vraiment. Costello, sans jamais renier quoi que ce soit de son passé, prend de l’âge (évidemment…), mais aussi de la sagesse (sans devenir ennuyeux…) et de la maturité (sans devenir moralisateur…).

«Je n’ai pas ce problème de vieillir en faisant du rock comme les Rolling Stones, par exemple, dit Costello. Parfois, j’ai l’impression que j’ai toujours été vieux. Je réécoute certains de mes vieux disques à la My Aim Is True ou même les premières chansons que j’ai enregistrées sur l’étiquette Stiff Records, et j’ai de la difficulté à croire que j’ai pu vraiment écrire ça au tout début de la vingtaine. J’ai l’impression d’avoir toujours été vieux. Ou, à tout le moins, d’écrire comme quelqu’un de beaucoup plus mature que mon âge réel de l’époque.»

Le seul autre exemple du même genre, à ma connaissance, est le vénérable Charles Aznavour. Comme Costello, l’Arménien le plus célèbre au monde n’a jamais été vraiment jeune. Ni l’un ni l’autre n’ont glorifié le fait d’être jeune et les penchants de cette jeunesse pour les excès (drogue, alccol, sexe, etc.).

Bizarrement, au moment de faire l’entrevue, je ne savais pas que Costello venait d’enregistrer She, une version anglaise d’une chanson du vieux Charles pour la bande sonore du film Notting Hill. «Je sais que ma version est sur le disque, mais je ne sais pas si elle sera dans la version française de Notting Hill que vous aurez à Montréal. En France, ce sera la version d’Aznavour qui jouera pendant le générique final.»

«Cela dit, je serais bien embêté de comparer mon écriture avec celle d’Aznavour. Ma connaissance du français n’est pas assez bonne pour en saisir toutes les subtilités et ainsi faire une analyse approfondie du sujet. Par contre, je peux certainement te dire que c’est quelqu’un que je respecte beaucoup.»

Lorsqu’on a enregistré avec un monsieur comme Bacharach, il est tout à fait normal de montrer du respect à quelqu’un comme Aznavour. S’ils font presque partie de la même génération, ils partagent également un goût commun pour les grandes mélodies impossibles à oublier, pour les arrangements luxuriants (sans toutefois jamais sombrer dans la grandoliquence). Tous les deux semblent également partager une certaine confiance dans les goûts populaires et ne lèvent jamais le nez sur cette forme aussi inespérée qu’imprévisible de reconnaissance.

Elvis, lui, n’est pas comme ça. S’il respecte son public, il ne cherche pas non plus à lui plaire outre mesure. Ni à l’étendre. Ni à faire en sorte de le conserver. Pour avancer, Costello n’écoute que ses motivations personnelles. S’il a envie de faire une tournée en duo avec son pianiste Steve Nieve, il est le seul à décider. S’il décide de remonter sur les planches avec ses vieux copains des Attractions, c’est qu’il en a personnellement envie. S’il ne voit que Bacharach pour satisfaire ses exigences, il trouvera Bacharach.

C’est beaucoup cette indépendance d’esprit qui a découragé les décideurs de la multinationale Warner qui, il y a quelques années, n’ont pas voulu renouveler son contrat d’enregistrement, suite à une série d’échecs commerciaux. Puis, l’an dernier, il paraphait une entente avec le géant PolyGram, une entente unique, multi-étiquette: un projet d’influence classique serait paru sur Deutsche Grammophon; un projet d’obédience jazz se serait retrouvé sur Verve; un disque pop aurait trouvé preneur chez Mercury, etc. «Ça, c’est ce que j’ai signé l’an dernier, dit Costello résigné. Maintenant, avec l’achat de PolyGram par Universal (donc Seagram), je ne sais vraiment pas si cette entente est toujours valide. À cause de tous ces chambardements, je n’ai même pas eu le temps de rencontrer la personne qui s’occupe de mon cas…»

Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, j’ai l’impression que cela veut aussi dire que mieux vaut profiter de cette rare visite (sa deuxième seulement au cours des vingt dernières années…) de notre Elvis favori…

Le 18 juin
Au Théâtre Saint-Denis