Musique

Prise de son : La tournée du patron

Après avoir passé quelques mois en Europe, voici enfin que la tournée-réunion de Bruce Springsteen & The E Street Band débarque en Amérique du Nord. Première date: le 15 juillet, au Continental Airlines Arena, à East Rutherford, New Jersey. Le premier d’une longue série de quinze spectacles (qui affichent tous complets depuis la journée de mise en vente des billets) dans cet amphithéâtre qui contient dix-neuf mille personnes. Et ça sentait très très fort le homecoming…

Vous vous en doutez, on a eu droit à une grande – très grande – soirée de rock’n’roll. En fait, tous les éléments étaient rassemblés pour ne mettre qu’une chose en valeur: la musique et ceux qui la jouent. La scène était extrêmement dépouillée, ouverte sur les quatre côtés, avec les haut-parleurs suspendus, histoire de ne pas nuire à la visibilité.
Côté éclairages, le strict minimum, sans faire appel aux nouvelles technologies du genre. Comme si le temps s’était arrêté avec la dernière tournée du E Street Band, il y a une dizaine d’années. Comme si on avait voulu reprendre les choses exactement là où on les avait laissées.

Si le spectacle a duré autour des trois heures réglementaires, le répertoire choisi par le Boss ressemblait presque à une soirée de ses plus grands succès: Hungry Heart, Born to Run (que de palpitations dans mon petit cour…), Promised Land, 10th Avenue Freeze-Out, The River (O.K., je peux bien vous le dire: j’étais au bord des larmes…), Darlington County, Working on the Highway, Darkness in the Edge of Town, Badlands, Two Hearts, Streets of Philadelphia, etc. En omettant volontairement toutefois ses deux plus gros succès de 1984: Born in the U.S.A. et Dancing in the Dark.
Ajoutez à ça quelques perles qui valent leur pesant d’or. Comme une version électrique avec tout le groupe de Youngstown, superbe chanson que l’on retrouve sur l’album solo acoustique The Ghost of Tom Joad. Comme Freehold, une chanson sur son patelin natal, qu’il a réécrite pour l’occasion et l’actualité (en ajoutant un couplet sur le fait que la ville a refusé de payer une statue en son honneur!). Comme la superbe Mansion on the Hill, interprétée en duo avec sa choriste-guitariste et blonde Patti Scialfa.

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Si l’électricité était bien présente, c’est qu’il s’agissait non seulement du homecoming de Springsteen, mais aussi du premier concert nord-américain de la réunion du fameux E Street Band, son groupe mythique, après une pause d’une dizaine d’années. Et ils y étaient tous: Clarence Big Man Clemons aux saxophones et percussions, Roy Bittan et Danny Federici aux claviers, Max Weinberg à la (toute petite) batterie, Miami Steve Van Zandt et Nils Lofgren aux multiples guitares, Gary Tallent à la basse solide et, bien sûr, Patti Scialfa à la guitare acoustique et à la voix.
En fait, ils étaient même tous là pour la première fois. Van Zandt et Lofgren, par exemple, n’étaient jamais montés sur scène ensemble pour toute une tournée. Et ce groupe-là, mes amis, c’est du béton armé. Surtout après une saison de tournée européenne, c’est vraiment soudé au maximum.

Mais le meilleur de toute la bande, c’est Bruce. Rarement a-t-on vu showman aussi inépuisable. J’ai beau connaître tous les trucs du métier (depuis le temps, quand même…), lui, il m’impressionne. Parce qu’il en invente de nouveaux. Parce qu’il n’est pas gêné de s’agenouiller devant sa blonde et de crier: «I testify!» Parce que même s’il récupère parfois de vieux trucs, il sait les mettre à sa main et faire comme s’ils étaient uniquement à lui et qu’il les utilisait pour la première fois.

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C’est en le voyant dans sa région natale qu’on comprend encore mieux l’impact des chansons de Springsteen. Le New Jersey, vous vous en doutez, n’est pas le plus réjouissant des États américains. Et le fait que le jeune Springsteen ait tout tenté pour en sortir n’est pas surprenant. Que ses chansons racontent énormément d’histoires de rédemption (ou l’échec de celle-ci) n’a plus rien d’étonnant. Que les Nord-Américains en général – et les habitants du New Jersey en particulier – se retrouvent dans ses chansons n’a rien de surprenant non plus. Il fallait voir cette foule se sentir vraiment concernée par des chansons comme Born to Run, véritablement hurlée par 19 000 personnes.

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Le lendemain du spectacle, dans ce grand périple springsteenesque, je suis allé faire un peu de tourisme rock à Asbury Park (rappelez-vous, le premier album de Springsteen: Greetings From Asbury Park, N.J.). Une ville fantôme. Le fameux Stone Pony, le club où Bruce a commencé sa carrière, est fermé depuis des siècles. Le boardwalk est déserté, abandonné. Les nombreux motels sont placardés. La ville semble pourrir sur place.
Aujourd’hui plus que jamais, Asbury Park aurait besoin de Bruce Springsteen.
Comme quoi le Boss a encore, toujours et malgré tout sa raison d’être.