Jacques Higelin : Quatre à quatre
Musique

Jacques Higelin : Quatre à quatre

À cinquante-neuf ans, le père d’Arthur semble démarrer à nouveau: nouveau label, nouveau disque, nouvelle formation inédite. Mais toujours le bon vieux personnage, prêt à tout pour une bonne histoire…

Pour bien réussir une entrevue avec Jacques Higelin, il faut comprendre dès le départ une chose essentielle: c’est lui qui mène. Il ne tente jamais d’embarquer dans notre trip. On doit nécessairement se plier au sien, si on veut qu’il parle, qu’il ne se rebiffte pas. Et s’il ne répond pas vraiment à la question, ce n’est pas si grave: sa réponse sera, de toute façon, à côté de la plaque.

Interviewer Higelin – surtout au téléphone – n’est pas une mince tâche. Il faut se laisser aller, tenter de saisir rapido dans quel état d’esprit il se trouve. On sait d’avance, par exemple, que les questions de business ne sont pas sa tasse de thé. Pourtant, cette fois-ci, on savait qu’il fallait lui parler de la fin de sa longue association avec la multinationale EMI et du début de sa nouvelle entente discographique avec le label Tôt ou tard (sur lequel enregistrent déjà Thomas Fersen, Dick Annegarn ou Lhasa en France), très orienté chanson, qui a lancé son plus récent disque, le très travaillé Paradis païen.

«Avec EMI, c’était devenu une habitude, dit-il de son domicile à proximité de Paris. Il n’y avait plus de défi pour eux. J’avais l’impression de faire partie des meubles, comme si j’avais une carte-fidélité avec cette compagnie. Les gens chez EMI ne s’excitaient plus quand je lançais un nouvel album. Lorsque j’ai rencontré Vincent (Frèrebeau, le patron de Tôt ou tard), nous étions en vacances en Martinique. On s’est mis à parler de musique, et il était vraiment passionné par la musique, mais aussi par ce que je faisais, moi. Ça a fait un grand bien de voir quelqu’un comme ça: enthousiaste face à la musique. Et, il faut aussi le dire, je n’aimais pas le regard que les autres multinationales avaient sur moi.»

Si Paradis païen est un album assez luxueux (orchestre à cordes, chour, cor, luth, accordéon font partie des instruments privilégiés), le nouveau spectacle d’Higelin, lui, tend vers un certain dépouillement: sur scène, il est accompagné par un percussionniste (le fameux Mahut, qui a longtemps travaillé avec Lavilliers et Barbara et «qui est un peintre extraordinaire, même s’il refuse d’exposer ses toiles dans les galeries…»), un violoniste et un violoncelliste. C’est tout. Et c’est bien suffisant. «On se retrouve donc avec une formule où il y a une complicité extraordinaire, dit Higelin. Avec Mahut, c’est une vraie complicité de frères.»

Mais ce qui oblige aussi Higelin à jouer beaucoup plus. Ce qui fait la grande différence avec ses spectacles précédents, alors qu’il touchait un peu le piano, à peine la guitare et parfois l’accordéon. Cette fois, tous ces intruments sont manipulés par le chanteur avec une nouvelle rigueur. «Tout ça m’a rebranché bien fort avec la musique. C’est très exaltant de faire partie de ce genre de quartette. Ça demande de la rigueur, d’accord, mais ça procure aussi vraiment beaucoup de plaisir. Cette rigueur ne me prend pas la tête. Je suis très heureux de pouvoir jouer davantage.»

Cela dit, il ne faut pas croire que le personnage d’Higelin a changé avec cette tournée. Pour avoir vu une partie de son spectacle lors de la dernière édition du Printemps de Bourges, je peux vous assurer d’une chose: l’homme est identique. Il lui arrive encore régulièrement d’arrêter une chanson en plein milieu pour raconter une histoire qui semble n’avoir ni queue ni tête, jusqu’à sa résolution où tout s’éclaircit. De ce côté, ne vous en faites pas, vous allez retrouver votre Higelin préféré. «Le groupe est très ouvert. J’ai une liberté beaucoup grande avec ce quartette, ce qui fait que si j’ai envie de raconter une histoire ou de plaisanter, il y a de l’espace pour ça. On a ménagé, évidemment, une très grande place pour l’improvisation. Et puis, il y a le lyrisme des cordes, par exemple. Et un côté minimaliste qui est loin de me déplaire. La lecture se fait donc plus facilement, nous sommes très à l’écoute les uns des autres.Nous éprouvons un bonheur inouï à jouer ensemble.»

«Tu vois, lorsque je suis sur scène, c’est le bonheur d’être là qui me donne l’énergie de chanter pendant, souvent, trois heures. Et j’oublie ainsi complètement le temps. Ne compte plus que ce qui se passe en ce moment présent. C’est pour ça que j’ai toujours le trac, avant le concert: on ne sait jamais comment ça va se passer. C’est aussi, parfois, ce qui fait la beauté de la chose…»

Si, sur scène, l’écoute est très attentive, on peut en dire autant dans la salle. À jouer en formation réduite comme ça, Higelin s’oblige – et nous oblige, par la même occasion – à réécouter ses chansons, à redécouvrir les arrangements, mais aussi à procéder à une réécoute active de ses textes. «Vrai. L’écoute est extraordinaire. Il y a quelque chose de très fragile, mais aussi de très fort en même temps. C’est un peu comme si le public devenait le chour d’accompagnement. Les gens ont plus de place, ils entendent mieux tout ce qui se dit, toutes les subtilités musicales. Il y a une attention étonnante, des silences incroyables tout en émotion. Je pense d’ailleurs que cette expérience à quatre débouchera sur un compact.» Mais, si vous connaissez un peu Higelin, vous le savez: ne retenez pas votre souffle jusqu’à la parution de ce disque, ça risque, tout de même, de prendre un certain temps…

Le 6 août à 20 h
À l’Olympia
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