Éric Lapointe : Les ailes d'un ange
Musique

Éric Lapointe : Les ailes d’un ange

En cinq ans, le chanteur montréalais est devenu le rockeur préféré du Québec, en mettant sa vie en musique. Et ça repart cette semaine pour un autre grand tour…

18 h 30, Plateau-Mont-Royal, domicile du chanteur.

Éric Lapointe est de fort bonne humeur lorsqu’il m’ouvre la porte. Il vient d’apprendre qu’il a obtenu un disque de platine, son troisième en carrière. «Je suis le huitième à réussir ça au Québec», précise-t-il, presque surpris par pareil exploit. Honnêtement, on le comprend. Après tout, rarissimes sont ceux qui sont parvenus, depuis une vingtaine d’années, à rester sous le feu des projecteurs via trois albums successifs. Celui qui a soulevé la province avec sa Terre promise, qui l’a chavirée avec Loadé comme un gun, est pourtant toujours bien en selle À l’ombre de l’ange. Insécure, sans doute encore un peu, mais certainement plus épanoui et prêt comme jamais pour le show le plus rock’n’roll de sa jeune carrière.

Ainsi donc, Lapointe est ravi, son succès ne se dément pas, ses salles sont toujours occupées. Le rocker au regard de fer et à l’air frondeur a-t-il craint de voir ses fans le larguer? «Veux, veux pas, t’as toujours peur, répond-il. Mais c’est normal, ça fait partie du métier, tout est toujours à recommencer. On sait tous que le public se tanne vite; que tu peux être une vedette aujourd’hui, et un nobody demain matin. Je suis agréablement surpris de voir qu’il n’y a pas de ralentissement après trois disques, et je suis surtout heureux de constater que mon public évolue. Au départ, c’était surtout des adolescentes, et là, c’est plutôt des gens dans la vingtaine. Ça fait mon affaire de chanter pour des gens de mon âge, c’est plus valorisant.»

Paire d’as
Derrière cette histoire à succès, la musique bien sûr, mais également un gérant, Yves-François Blanchet, l’ombre d’Éric Lapointe, celui qui lui a donné sa première chance et qui aujourd’hui encore est de toutes les décisions, de toutes les stratégies. Parce qu’une carrière dans la musique ne repose pas uniquement sur le simple talent d’un artiste, mais également sur une multitude de choix qui orienteront un plan de carrière. À observer le parcours du petit bum montréalais, force est d’admettre que le tandem Lapointe-Blanchet s’est rarement trompé: «On se parle à peu près quinze fois par jour. À la base, on est deux vieux chums, et sans lui je ne me serais jamais rendu jusque-là. Ça prend un stratège, un gars pour padder les gaffes de l’autre. Lui est cartésien; moi, émotif. Une job de gérant, dans mon cas, c’est pas évident. Faut qu’il soit à la fois le gérant, le père, la mère, le comptable et le psychanalyste.»

«Côté créatif, je le consulte, mais il ne s’en mêle pas beaucoup. Ça, c’est mon rôle, et même que des fois il pourrait garder ses opinions pour lui… En même temps, je ne vais pas lui montrer comment faire son travail. Lui, il prend mes tounes, et à partir de là, il va essayer que le plus de gens possible les entendent.» Ce qui, diraient certains, n’est pas si compliqué, Éric ayant tendance à composer, et à recomposer du… Lapointe. C’est-à-dire des valeurs sûres. Des choix moins risqués, chose certaine, qu’une France D’Amour, dont Le Silence des roses, également son troisième disque, s’est avéré une véritable coupure avec ses deux compacts précédents…

«C’est sûr que j’ai fait un disque qui me ressemble et qui ressemble aux deux autres parce que c’est moi qui chante dessus. Personnellement, je trouve qu’il y a une évolution, bien que, effectivement, il n’y ait pas de cassure comme telle. Je ne ressentais pas le besoin d’effectuer un virage, that’s it. Peut-être que dans deux ans, je vais me tanner et faire du new age, je ne le sais pas. À la base, je fais de la musique pour avoir du fun et pour me faire plaisir. D’une certaine façon, j’écris les tounes pour moi. Je ne me sentirais pas bien si je commençais à me psychanalyser en me demandant ce que les critiques vont penser, ou si j’ai assez évolué. Chose certaine, cependant, je ne ferai pas un autre disque demain matin. J’en ai fait trois en cinq ans, il faut que je me laisse le temps de vivre autre chose, sans quoi je vais tourner en rond. Veux, veux pas, tu racontes dans tes chansons ce que tu vis et ce que tu es, mais je ne peux pas changer du tout au tout à chaque année. Du Lapointe tout craché? Tant mieux. Ça prouve que d’une certaine façon je suis intègre; que je fais ce que je suis.»

S’il chante ce qu’il est et ce qu’il vit, il est donc clair que Lapointe l’a eue un peu plus facile qu’au cours des années précédentes. Attention, on ne parle pas ici d’une vie idyllique, où le héros trottine dans des champs couverts de pâquerettes, mais bien d’un certain espoir retrouvé, après des années éprouvantes: «À l’ombre de l’ange est un disque moins dark que le précédent. Mon ange, c’est un hymne à l’amour; Tendre Fesse et Partir en paix s’inspirent du party; Rien à regretter n’est pas une chanson qui me tord les boyaux, c’est simplement quelque chose que j’ai envie de dire. Dans le deuxième disque, il y avait de la rage, de la dépression. Je ne m’en suis pas aperçu en le faisant, mais c’est certain qu’il transpirait ce que je vivais, et j’étais complètement à terre. J’étais en pleine guerre juridique, je voulais tout casser, je me saoulais la gueule, et je voulais me battre dans les bars… Celui-ci, je l’ai créé ben relax dans mon salon, et ça s’entend.»

Ben relax, et un peu plus stable également. Ce n’est un secret pour personne, Éric Lapointe a une fille dans sa vie, et certaines thématiques d’À l’ombre de l’ange en sont directement inspirées. De quoi mettre un peu d’ordre dans un esprit autrement belliqueux et quelque peu brouillon: «Ça m’a apporté une stabilité affective, c’est clair. Je suis un dépendant affectif et un grand insécure. J’ai toujours eu besoin d’avoir une blonde dans ma vie. Sinon, je deviens tout étourdi, et fatigué émotivement de tourner en rond. C’est comme pour n’importe qui: tu te sens moins seul dans la vie, même si au bout du compte, t’es toujours livré à toi-même uniquement.»

La vraie affaire
Très honnêtement, je n’ai jamais été un grand fan d’Éric Lapointe sur disque. Mis à part pour préparer une entrevue, ou, bien sûr, à sa sortie, il est très rare qu’un de ses disques tourne à la maison. Pourtant, j’ai bien dû le voir une quinzaine de fois en spectacle, et pas uniquement pour le boulot, croyez-moi. Chaque fois, je ressors du Spectrum, du D’Auteuil ou de je ne sais trop où le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Jamais déçu. «Tu sais quoi? Je pense que c’est une maudite bonne affaire d’un certain côté, parce que mes tounes vivent mieux live, et parce qu’à la base, je fais mes chansons pour pouvoir aller les jouer sur un stage. Moi-même, je n’ai pas mes albums chez nous. Je ne les fais pas pour les écouter, mais pour aller les jouer. On a du fun à faire le show, et ça s’entend. Créer un esprit de famille avec mes musiciens a toujours été important. Quand j’étais jeune, mon père était transféré à toutes les années, et il fallait toujours que je me refasse des amis. J’ai dû développer une insécurité à ce niveau-là, si bien qu’aujourd’hui je suis archifidèle à mes chums, à mes musiciens. L’esprit de gang, dans mon équipe, j’y tiens vraiment. Les musiciens qui sont venus jouer avec moi pour le chèque, sans être capables de rentrer dans le trip, je ne les ai pas gardés longtemps…» Quand un hôte tient autant à sa gang, pas surprenant que ses invités se sentent également toujours bien accueillis.

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