André Moisan : La clé du succès
Musique

André Moisan : La clé du succès

ANDRÉ MOISAN est un homme éclectique: le clarinettiste en fera la preuve lors des Radio-Concerts du Centre Pierre-Péladeau, qui lui donnent Carte blanche pour un programme diversifié.

Clarinette basse et saxophone solo à l’Orchestre symphonique de Montréal, clarinettiste dans la vie, André Moisan fait de la musique de chambre, du solo, de la direction d’orchestre et enseigne à l’Université de Montréal… On n’est pas étonné quand on apprend que le musicien, qui a commencé comme surnuméraire à l’OSM à l’âge de dix-sept ans, est tombé, enfant, dans la marmite de potion magique. À sept ans, il avait déjà tâté de la clarinette, mais c’est seulement à dix ans qu’il s’y met sérieusement… en cachette! «Mon père était clarinettiste, rapporte André Moisan, et je ne voulais pas qu’il m’enseigne. Je voulais apprendre tout seul. Je crois que c’était par orgueil. Heureusement, il a fini par le savoir, quand j’ai joué dans un concert à l’école. Après ça, il m’a pris en main! Ç’a été mon premier maître, et j’ai bénéficié d’une base extraordinaire, tant en clarinette qu’en saxophone.»

Depuis une vingtaine d’années, André Moisan a dirigé, tout en participant, une quantité effarante d’ensembles. Mais c’est seulement en mai 1999 qu’il devenait membre permanent de l’OSM, après avoir remplacé son père au même poste depuis février 1998. Il y a quelques semaines, il interprétait en solo, avec l’orchestre, la Rapsodie pour saxophone de Debussy. De plus, cette saison, il dirige les matinées scolaires de l’OSM _ qui se sont transformées en tournée dans les tours à bureaux, pour les raisons que l’on sait… L’homme- orchestre, qui a étudié avec Pierre Boulez, rien de moins, reste toutefois très attaché à la musique de chambre. On lui a donc donné carte blanche pour un Radio-Concert au Centre Pierre-Péladeau, le 15 novembre prochain.

Tous azimuts
Au programme, des oeuvres d’époques et, surtout, de couleurs différentes. «J’ai conçu cette soirée comme une fête de la clarinette, souligne Moisan, parce que j’ai beaucoup de difficulté à me cantonner dans un style (talent oblige…). Alors, il s’agit d’un éventail, d’une sorte de panorama de l’instrument. Au début, je vais interpréter une pièce pour clarinette seule, de Béla Kovacs, Hommage à Manuel de Falla. Ensuite, et j’avoue mon faible pour cette formation, ce sera le Quintette pour clarinette et cordes, op. 34 de Weber, une oeuvre flamboyante. Puis, une véritable fête klezmer, avec The Klezmer Wedding, du Canadien Srul Irving Glick. Il y a des thèmes hébraïques, et l’utilisation de la clarinette comme dans la musique klezmer authentique, avec des glissendos et toutes les techniques qui permettent de faire parler l’instrument. On entendra aussi le trio de Schubert Der Hirt auf dem Felsen, puis, élément vraiment unique du concert, le Septuor, op. 40, d’Adolphe Blanc.»

Le Septuor sera donné en première nord-américaine, et peut-être en première radiophonique mondiale puisque le compositeur, né dans la première moitié du XIXe siècle, est très peu connu de nos jours. «C’est un langage à cheval entre le classicisme et le romantisme, explique André Moisan qui ne cache pas son enthousiasme. C’est très riche et très beau.» Pour accompagner le clarinettiste dans cette fête musicale, plusieurs membres de l’OSM, soit les violonistes Jonathan Crow et Marianne Dugal, l’altiste Neal Gripp, le violoncelliste Chang-Zheng Liu, le contrebassiste Jacques Beaudoin, le bassoniste Stéphane Lévesque et le corniste Martin Hackleman. Le pianiste Jean Saulnier et la soprano Aline Kutan, qui ont souvent fait de la musique de chambre avec André Moisan, feront également partie de la fête.

Entouré de musiciens qu’il apprécie et face à un répertoire qui le stimule, André Moisan se sent comme un poisson dans l’eau avec cette carte blanche. Cette soirée concrétisera également la naissance d’un nouvel ensemble à géométrie variable – qui ne porte pas encore de nom -, potentiellement formé de tous ses participants, puisque le musicien désire poursuivre l’aventure. Après les fêtes, il enregistrera avec ses «amis» un disque tout Adolphe Blanc, sous étiquette Atma.

Lundi 15 novembre, salle Pierre-Mercure, 20 h
En direct sur les ondes de la Chaîne culturelle de Radio-Canada

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Plein la vue (1): pari réussi
En plus de ses Rien à Voir consacrés à la musique acousmatique – concerts pour orchestre de haut-parleurs sans sollicitation visuelle -, la société Réseaux s’est lancée cette saison dans une nouvelle aventure, celle de la musique mixte. Les trois fondateurs de l’organisme, Jean-François Denis, Robert Normandeau et Gilles Gobeil, nous en mettaient cette fois-ci Plein la vue. L’événement, qui portait bien son titre, était présenté les 4, 5 et 6 novembre au Théâtre La Chapelle et mettait en scène des interprètes qui associaient leur talent à celui des électroacousticiens Gilles Gobeil, Robert Normandeau et Luc Ferrari _ ce dernier étant l’un des pionniers du genre. Jacques Drouin, pianiste, Julien Grégoire, percussionniste et René Lussier, guitariste et «daxophoniste», ont su, avec brio, intégrer l’urgence de l’interprétation à des oeuvres électroacoustiques pensées pour les accueillir.

En premier lieu, on a pu entendre une pièce de Normandeau intitulée Figures de rhétorique, pour bande multipiste et piano, déjà exécutée par Jacques Drouin à l’occasion de la Semaine de musique québécoise pour le piano en 1998 et parue tout récemment sur disque, chez empreintes DIGITALes – sous le titre Figures, le dernier disque de Robert Normandeau contient également Le Renard et la Rose, Venture et Ellipse. Dans Figures de rhétorique, la partie instrumentale est tributaire de la bande. C’est cette dernière qui injecte sa substance à l’oeuvre, qui l’initie, qui la domine. D’ailleurs, la pièce a d’abord été composée comme une oeuvre acousmatique, intégrant le piano en dernier lieu. Son interprète et commanditaire, Jacques Drouin, y a cependant donné sa propre couleur, certains passages pianistiques lui étant attribuables. Notre habitude longuement cultivée de donner primauté à l’interprète fait que Figures de rhétorique nous laisse perplexes sur le rapport établi entre la bande et l’instrument, malgré une réussite sonore et structurelle indéniable.

Dans Cellules 75 Force du rythme et cadence forcée de Luc Ferrari, pour percussion, piano et bande, au contraire, les interprètes dominent le matériau sonore avec énergie. Ici, point de perplexité. Ferrari nous livre un propos clair, pas toujours concis, mais foncièrement efficace. «Les éléments musicaux de cette pièce représentent l’aliénation des rythmes naturels et sociaux à travers le conflit entre la force instinctive du rythme et l’utilisation de la technologie», écrivait le compositeur. Pièce à teneur politique, pur produit des années soixante-dix, Cellule 75 réussit là où Di Materie de Louis Andriessen a échoué. En transcendant un matériau de départ issu de la musique populaire, en adoptant une attitude différente de celle de ses contemporains par rapport au texte musical, en associant la pulsion «naturelle» du rythme à la bande, incarnation de la technologie et de la fixité du produit musical, Ferrari a réussi une oeuvre possédant un pouvoir intense de communication. Jacques Drouin et Julien Grégoire y ont été admirables.

Pour terminer ce premier Plein la vue, René Lussier venait sur scène afin d’«interpréter» une création conjointe élaborée par lui-même et l’électroacousticien Gilles Gobeil: Le Contrat. Dans le programme, un texte plein d’humour nous fait découvrir deux créateurs surpris par la course du temps, et qui n’ont pas terminé leur oeuvre. Du coup, la création planifiée devenait un work in progress. Difficile, donc, de se prononcer définitivement sur ce travail de très longue haleine – Le Contrat fait déjà plus de quarante minutes et atteindra l’heure – qui devrait aboutir d’ici la fin de l’année 2000. Foisonnement d’imagination, trouvailles humoristiques, complicité évidente des deux musiciens: ce premier Contrat est réjouissant, divertissant, troublant par instants. On le sent par ailleurs très «griffé», portant la marque de Lussier autant que celle de Gobeil. Avis donc aux amateurs du style de ces deux musiciens à l’imaginaire débridé. À suivre.