Musique

Live à Rennes : Trans-fusion

Plus de cent concerts ont été présentés lors des 21es Transmusicales de Rennes, sans compter plusieurs autres, programmés dans les petits bars de cette sympathique ville de Bretagne. Un «all you can hear» dont le but est de présenter une sélection exhaustive de ce que la musique de cette fin de siècle a à nous offrir.

Au lendemain de la dernière journée des 21es Transmusicales de Rennes, on se réveille avec un gros mal de tête, un bourdonnement permanent dans les oreilles, mais aussi un sourire béat collé au visage… Plus de cent concerts en trois jours, sans compter tous les autres, programmés dans les petits bars de cette sympathique ville de Bretagne. Un «all you can hear» dont le but avoué est de présenter au public français, aux innombrables journalistes locaux et étrangers, et aux programmateurs de festivals à la recherche du bon coup une sélection exhaustive de ce que la musique de cette fin de siècle a à nous offrir. Des découvertes, donc, mais aussi quelques gros noms (Public Enemy, Jungle Brothers, Leftfield, Coldcut), comme pour nous rappeler que le futur n’est que le résultat de ce qui l’a précédé.

Alors, de quoi sera fait le futur sonore, selon les Transmusicales? De hip-hop, d’électronique, de jazz, de funk, de pop, de rock et de world music, bien sûr; mais surtout de la fusion de ces genres. Plus que jamais, on pige dans le grand livre de recettes et l’on tente de nouveaux mariages d’ingrédients. Des mariages de raison, comme le «rock’n’soul» des Californiens The Bellrays, une vraie découverte (le quartette n’a qu’un album indépendant enregistré avec les moyens du bord) qui jette sur le cul pour peu qu’on soit prêt à se laisser toucher par le débordement d’énergie et de douleur exprimé par son extraordinaire chanteuse Lisa Kekaula, une Black à la coiffure afro qui livre son âme en pâture au public. Une vraie, comme on en voit rarement.

Une autre Black, pour qui le soul est beaucoup plus feutré et mâtiné de funk et de hip-hop, et que bien des spectateurs auraient voulu demander en mariage, c’est la déjà très estimée Macy Gray, dont l’album On How Life Is lui a valu des comparaisons vocales avec Billie Holiday. Sur scène, appuyée par une douzaine de musiciens et choristes, la dame manifeste un charisme évident, un sens du groove inné et un professionnalisme qui devraient lui ouvrir toutes grandes les portes du succès. Moins diva qu’Erika Badhu et aussi confiante que Lauryn Hill, elle a laissé des séquelles permanentes dans les mémoires des festivaliers.
L’une des fusions les plus homogènes et pertinentes de la programmation nous fut livrée sans aucun doute par la formation Zuco 103, née de l’association d’un Néerlandais, d’un Allemand et d’une chanteuse brésilienne. Au menu: rythmes électroniques parfois drum’n’bass, scratchs hip-hop, sensibilité jazz groovy, et la chaleur de la samba ou de la bossa-nova. Impeccable.

En plus des vétérans du duo Coldcut, qui ont offert le même genre de prestation multimédia hallucinée et engagée que lors de leur dernier passage au Medley, l’étiquette Ninja Tune avait dépêché ses recrues Cinematic Orchestra, menées par Jonathan Swinscoe, pour une prestation live. Bien que le groove y soit constant, que les échantillonnages aient une place de choix, et malgré la présence d’un D.J., la musique de Cinematic Orchestra est surtout faite pour les amateurs de jazz qui ont besoin de recherche constante pour triper. Compliqué, mais respectable.

Côté D.J., notons le drum’n’bass extrêmement dynamique et efficace du duo London Elektricity; le techno sombre et progressif de Leftfield (représenté par son D.J. Paul Daley) accompagné du M.C. Cheshire Cat; le house deep et hautement festif de Deep Dish; mais surtout, le Japonais Ken Ishii, l’un des principaux représentants du son techno nippon, à la fois métallique, martial et énergique. Voyage interstellaire garanti… surtout à sept heures du mat’.

Mais il n’y a pas eu que des rythmes synthétiques et groovy durant ce tourbillon musical de trois jours. On a pu également faire quelques incursions beaucoup plus roots autour de la planète. À commencer par le Pakistan, représenté par Rizwan & Muazam Qawwali, mettant en vedette deux neveux du regretté Nusrat Fateh Ali Khan. Perpétuant la tradition, les deux chanteurs de vingt et un ans compensent par l’énergie et la fougue ce qui leur manque en aura mystique et en sagesse profonde. La Serbie y était aussi par l’entremise de No Smoking, un orchestre comptant dans ses rangs le réalisateur Emir Kusturica (Chat noir, chat blanc) à la guitare et son fils à la batterie. Sans ambition artistique poussée, le but de cette opération gitane d’Europe de l’Est est avant tout de divertir et de mettre dans l’esprit de la fête. Malgré le style rocker soviétique des années quatre-vingt de son chanteur (gros collier, chemise ouverte et pantalon métallique…), on peut quand même dire qu’ils l’ont atteint.

Côté rock, pas grand-chose mis à part les gros seins nus et la paire de fesses de la chanteuse des Américains Demolition Doll Rods. Si vous croyez avoir tout vu avec les Nashville Pussy, attendez de voir DDR et son rock’n’roll primaire mais néanmoins décapant. Le summum du mauvais goût autant visuel qu’auditif. À ce compte, la jeune formation britannique Brassy, formée de deux gars et deux filles (dont la chanteuse Muffin qui a sûrement hérité des mêmes gènes baveux que son frère Jon Spencer), était beaucoup plus stimulante. Un pop-punk très british agrémenté d’éléments hip-hop et d’une attitude d’enfer qui augure bien pour leur premier album, devant sortir sur la même étiquette que Cornershop.

Si, au départ, les Transmusicales faisaient une large place aux nouveaux talents français, il faut avouer qu’avec les années et l’envergure internationale, cet aspect s’est beaucoup atténué. Ce qui ne m’a pas empêché de repérer quelques noms qu’il serait intéressant de voir éventuellement sur une scène montréalaise: Ezekiel de Tours, avec leur solide ethno-électro-dub qui démontre que la vague asian underground a fait des petits en France aussi; Le Tone, musique électronique assez rigolote et funky fabriquée par un zigoto qui a plus l’air d’un jeune cadre dynamique sur le party que d’un intello de la French Touch; le mélange big beat et hip-hop du groupe breton Ripley mené par un excellent performer; et la formation afro-beat, jungle et dub de Lyon Mei-Tei-Sho, dont les quelques morceaux entendus ont tout de suite suscité mon intérêt.

Mais si une tendance a marqué les Transmusicales par sa forte représentation, outre les musiques électroniques, c’est certainement le hip-hop. Et si de nouveaux venus comme The Arsonists et Quannum (le crew de DJ Shadow, qui compte également les excellents Blackalicious comme membres) ont impressionné par leur fraîcheur, il reste qu’on retiendra surtout les prestations des Jungle Brothers (dont le prochain album a été réalisé par Alex Gifford des Propellerheads) et de Public Enemy, qui ont carrément mis le feu lors de la première soirée. J’aurais bien aimé vous parler des turntablists Beat Junkies, de Freddy Fresh, d’A.D.O.R. et des Parisiens de Saian Supa Crew, mais l’esprit de fête qui régnait lors du dernier soir et la surdose musicale auront finalement eu raison de mon sens critique, parti se coucher bien avant moi…

Encore une fois, les Transmusicales de Rennes ont constitué un événement musical stimulant, convivial, audacieux et avant-gardiste. Tout de même dommage qu’il faille faire six heures d’avion pour en trouver un…