Chris Cornell : Cris et chuchotements
Musique

Chris Cornell : Cris et chuchotements

Lorsqu’il lança Euphoria Morning, son premier album solo, l’an dernier, on a pu constater que Chris Cornell avait changé. Même après de nombreuses écoutes, on cherche en vain l’intensité sur Euphoria Morning. On y reconnaît l’audace et le travail, mais on s’ennuie de la rage  d’antan.

Vous souvient-il, ami lecteur, des beaux jours du grunge? Du temps où Alice, bien qu’enchaînée, touchait au Nirvana en dégustant de la confiture de perles dans un jardin de sons du Nord-Ouest américain? Durant cette période idyllique, où l’Amérique renouait avec le gros rock dur dans un grand fracas de guitares et de cris, allait fleurir Soundgarden, un groupe qui ferait la conquête du public grâce au charisme de son chanteur, Chris Cornell, véritable bête de scène aux cordes vocales blindées.

Depuis leur séparation en avril 1997, la face du rock a bien changé. Lorsqu’il lança Euphoria Morning, son premier album solo, l’an dernier, on a pu constater que Cornell avait changé lui aussi. «Je n’ai pas cherché consciemment à faire quelque chose de différent, explique le rocker assagi, joint au téléphone au milieu de sa tournée. Je ne me suis pas dit "O.K., je me lance dans un album solo et voici comment ça va sonner; j’ai simplement suivi les chansons. Avec Soundgarden aussi, j’ai fait des pièces dans lesquelles la voix est bien en évidence, comme Black Hole Sun ou Fell on Black Days

Même après de nombreuses écoutes, on cherche en vain des titres d’une telle intensité sur Euphoria Morning. On y reconnaît l’audace et le travail, mais on s’ennuie de la rage d’antan. «Ce n’est pas le genre de disque que l’on écoute distraitement, explique Chris. Il faut y revenir souvent pour bien l’apprécier. Certaines pièces sont denses et d’autres, très dépouillées; il y a une foule de variations et de détails.»

En baissant le volume, Cornell allait forcément attirer l’attention sur les textes de ses chansons. Du coup, Euphoria Morning propose une approche à la fois plus narrative et plus personnelle du songwriting. «Lorsque tu commences à faire des chansons personnelles, il y a une ligne à ne pas franchir: il ne faut pas être trop spécifique dans la description de ses problèmes et assommer l’auditoire avec des détails de sa vie personnelle, sinon ça devient de la psychothérapie. Je ne me censure pas lorsque j’écris; mais, parfois, certaines phrases qui se retrouvent sur le papier me lèvent carrément le coeur. C’est une réaction physique: lorsque j’ai envie de vomir, je sais tout de suite que j’ai traversé cette fameuse ligne.»

En tout cas, Cornell a certainement passé le mur du son. Que ce soit au Spectrum – d’abord en première partie de Voïvod, puis tout seul -, ou encore à l’Auditorium de Verdun, Soundgarden s’est toujours présenté comme l’un des groupes les plus bruyants de la planète. Comment Cornell a-t-il vécu les premiers pas sur scène, sans le soutien de ses compères tapageurs? «Les premiers shows ont été un peu étranges; je me sentais presque nu sans le maëlstrom sonore qui était le propre de Soundgarden, explique Chris. Pour certaines personnes, ce genre de volume peut paraître extrême; mais pour nous, c’était la norme, c’était devenu notre réalité. Peut-être que ça me manquera un jour et que j’y reviendrai, si jamais je n’ai pas oublié.»

Cornell est conscient que certains fans purs et durs de Soundgarden ne le suivront pas dans ses nouvelles aventures, mais il n’en a cure. Ses références sont variées: fan de Nick Drake et des Beatles (deux influences évidentes sur le disque), il a dédié la chanson Wave Goodbye au regretté Jeff Buckley (une autre influence). Si Cornell a appris quelque chose de son ami disparu, c’est qu’une voix peut être intense sans avoir à crier. Même si l’on peut regretter l’absence de l’intensité d’antan, il faut reconnaître que l’homme a encore une voix unique, qui lui a d’ailleurs valu d’être mis en nomination pour un Grammy dans la catégorie «male vocal performance – rock» cette année. «C’est la neuvième nomination que je reçois, alors c’est plus ou moins surprenant, lance Chris d’un air blasé. La première fois, avec Soundgarden, c’était autre chose: ça m’a surpris et enchanté à la fois, parce qu’on était sur un label indépendant, tout comme Faith No More, qui était aussi dans la course cette année-là. À l’époque, on était tellement différents de l’idée qu’on se faisait de l’industrie du disque qu’on ne se sentait pas à notre place. Avec le temps, ça ne me surprenait plus tellement parce que dans cette catégorie (métal/hard rock), on était l’un des rares groupes à jouir à la fois de la faveur du public et de celle de la critique. La nomination de cette année est un peu différente, par contre; c’est une façon de me rappeler que même si j’ai pris une nouvelle direction, il y a encore des gens qui s’intéressent à ce que je fais…» Qui l’aime le suive…

Le 21 février
À l’Olympia

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