L'instant du presbyte enculé : Rien à voir
Musique

L’instant du presbyte enculé : Rien à voir

Installé dans les toilettes, un type se frotte un micro sur la joue devant l’oeil imperturbable d’une caméra vidéo. Simultanément, deux autres performeurs sont occupés à manipuler des consoles électroniques pendant que des micros captent les bruits de pas et les marmonnements des spectateurs. Est-ce de la musique?

Installé dans les toilettes, un type se frotte un micro sur la joue devant l’oeil imperturbable d’une caméra vidéo. Simultanément, deux autres performeurs sont occupés à manipuler des consoles électroniques pendant que des micros captent les bruits de pas et les marmonnements des spectateurs, involontairement intégrés au cafouillis sonore qui les entoure. Voici, en gros, à quoi pourrait ressembler l’événement L’instant du presbyte enculé, présenté à l’Automatic Vaudeville cette semaine.

D’abord, attaquons de front la question évidente (après «où êtes-vous allés chercher ce titre à la noix?»): est-ce de la musique? Bien sûr que non! «Ça relève plus de la non-musique», affirme tout de go Alexandre Saint-Onge, l’un des trois organisateurs-performeurs, avec Sam Shalabi et Roger Tellier-Craig. «Ce n’est pas un concert à proprement parler, puisque les trois solistes jouent en même temps sans pour autant jouer ensemble, et qu’il n’y a pas de scène.»

Comprenez que nous sommes ici dans le domaine de l’installation et de la performance sonores. L’un des maîtres du genre, l’Américain Brendan Labelle, sera aussi de la partie, tout comme les Montréalaises Magali Babin (guitare préparée) et Maryse Poulin (frottements et sifflements d’objets divers), et le patenteux Christof Migone vient compléter le portrait.

Ayant choisi un titre où se croisent des références à Artaud, Heidegger et Maurice Blanchot (vraiment!), tenant un discours où il se réclame des situationnistes et de Marcel Duchamp (son travail pourrait s’apparenter à des sortes de ready-made auditifs), Saint-Onge est le plus intellectuel du lot, mais il passe son temps à s’en défendre. «On n’est pas des académiciens, on pourrait même dire que notre travail est très simple. Même si notre musique peut paraître hermétique, elle est relativement commune. Ce sont des bruits de tous les jours, mais sur lesquels on n’a pas l’habitude de mettre l’accent. On m’a déjà dit que mon disque ressemblait à un bruit de frigidaire et ça me convient tout à fait!» Durant sa performance, Alexandre entend d’ailleurs poursuivre dans la lignée de son récent Une mâchoire et deux trous, dans lequel il a enregistré l’intérieur de sa bouche alors qu’il dormait dans différents parcs de la ville. Une façon comme une autre de pénétrer à l’intérieur de l’artiste…

Tout cela peut sembler bien aride, mais les trois presbytes se refusent à croire que leur démarche fait appel à une quelconque confrontation avec l’auditoire. «Au contraire, on veut toucher les gens. «L’auditeur est une part intégrante de la performance, avance Shalabi. En fait, je pense que dans ce qu’on fait, le rapport entre le public et l’artiste est plus égal. Ce qui est important, c’est l’événement. Le résultat a beaucoup moins d’importance que le processus. Comme les éléments ne sont pas musicaux, c’est beaucoup plus libre; les gens ne savent pas où ça va aller.» L’imprévu semble donc occuper une place de choix dans cette manifestation, où l’interprétation est laiss.e libre à chaque spectateur. «On n’a pas de message important à livrer, et on ne veut pas répondre à des idées préétablies que les gens se font de la musique et du son», lance Roger.

Il va sans dire qu’un tel événement demande au spectateur-auditeur un degré de participation plus élevé que dans la moyenne des concerts pop. D’une part, l’auditeur est appelé à repenser son approche au bruit et, d’autre part, il fait lui-même partie de la performance. «On voudrait que les gens crient, rient, réagissent», affirme Roger. Les trois artistes cherchent-ils à tout prix à provoquer un malaise? «Non, on ne fait pas ça contre les gens, mais pour eux. Les gens ont tendance à nous trouver hautains et élitistes, mais on a quand même beaucoup d’humour et de dérision et on est ouverts au dialogue avec l’auditoire. Mais j’attends le jour où quelqu’un va m’approcher pour me foutre son poing sur la gueule.» De grâce, ne le prenez pas comme une invitation à la violence, mais au dialogue constructif…

Les 25 et 26 février
À l’Automatic Vaudeville
Voir calendrier Jazz, Blues, etc.