Musique

Live à Montréal : Zentrifugal/Royal HillArno/Urbain DesboisChris Cornell

Zentrifugal/Royal Hill
Lion d’or, le 17 février

C’est la curiosité qui nous a guidés vers le Lion d’or en ce jeudi soir. Et pour cause: ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’entendre un groupe de hip-hop germanique. On a manqué Rolex Philosoph et on a tout juste eu le temps d’apercevoir une partie de la performance du groupe de Québec Royal Hill, qu’on a déjà connu plus enflammé. À leur décharge, il faut dire que ni la salle ni le public ne semblaient avoir de liens avec la culture hip-hop. Malgré quelques appels de la part des quatre rappers, les membres de l’auditoire n’ont guère bougé de leurs chaises. On ne savait pas trop à quoi s’attendre des stars de la soirée, mais Zentrifugal nous a surpris: beaucoup plus jeunes qu’on ne les imaginait, les deux rappers teutons avaient l’air de véritables gamins. Proprets et enjoués, ces garçons sont visiblement issus d’une banlieue cossue plutôt que d’une version germanique des inner cities, et leur rap n’a pas grand-chose de revendicateur. Léger et très pop (voire éminemment radiodiffusable), à la manière d’un Alliance Ethnik première mouture (en moins funky, les Aryens n’ayant visiblement pas le rythme dans le sang), ce hip-hop guilleret a glissé doucement jusqu’à nous, sans vagues ni remous. Afin de surmonter la barrière de la langue, le groupe a eu la mauvaise idée de faire défiler une traduction simultanée sur écran (comme à l’opéra!), ce qui dérangeait la vue et amputait le plaisir de croire qu’on entendait quelque chose de plus profond. On eût préféré que cette langue garde pour elle les mystères de ses consonnes dures, plutôt que de lire ces phrases étranges et naïves dont la traduction approximative avait des airs de ressemblance avec un manuel d’instructions d’un appareil électronique made in Taïwan. Si on avait pu se concentrer sur le seul flow des deux rappers, le malaise aurait été moins grand. À preuve: le meilleur moment de la soirée fut cette essoufflante séance de slam poetry, livrée a cappella par le leader Bastian Boettcher sans l’aide e sous-titres. (Nicolas Tittley)

Arno/Urbain Desbois
Cabaret, 19 Février
Samedi dernier, au Cabaret, rien, mais alors absolument rien ne laissait deviner que le Belge Arno aura 51 ans en mai prochain. Il y avait même quelque chose d’assez rassurant à le voir mordre à belles dents dans ses textes et à s’époumoner comme un novice du début à la fin d’un spectacle qui nous aura fait voir un Arno plus sombre et heavy que jamais.

Entouré de quatre musiciens (c’était d’ailleurs le dernier concert de son fidèle claviériste-accordéoniste), devant un parterre débarrassé de ses tables et rempli aux deux tiers de fans, Arno n’a négligé aucune des chansons qui ont marqué sa carrière chansonnière bilingue. Les enchaînant en ordre croissant, des plus intenses – High & Dry, Le Bon Dieu, Fantastique, Laisse-moi danser – aux plus festives – une version sensuelle et tordue de Marie tu m’as; Les Filles du bord de mer, qui prenait une étrange tournure amère dans la façon agressive qu’avait Arno de l’interpréter; et la très efficace Oh la la, une chanson aux accents tziganes de l’époque de son ancien groupe TC Matic qui a trouvé une seconde vie sur son dernier album À Poil commercial -, il aura trouvé le moyen de divertir la foule avec ses histoires incongrues, mais aussi d’égratigner au passage son «voisin» autrichien Haider, avant d’entamer la cynique T’inquiète pas, dans laquelle il nous rassure qu’«ils crèvent tous comme toi et moi».

Et comment passer à côté de la magnifique chanson Les Yeux de ma mère, qu’il nous a livrée, comme il l’avait fait lors de son dernier passage au Spectrum, en frissonnante version voix et piano. Un classique en devenir…

En première partie, le sympathique Urbain Desbois (qui lançait la semaine dernière son premier album Ma maison travaille plus que moi) présentait sobrement mais avec assurance ses courtes chansons atypiques (parfois tellement courtes qu’il a voulu nous rassurer sur le fait qu’elles étaient faites comme ça et qu’on n’assistait pas à un soundcheck!). En gros, il s’est acquitté de sa tâche avec un certain succès, mais il sera intéressant d’y revenir lorsqu’il présentera son concert en vedette principale, les 31 mars et 1er avril, au Cabaret.

Chris Cornell
Olympia, le 21 février
Bien avant Chris Cornell, c’est d’abord et avant tout l’ex-chanteur de Soundgarden qu’on était venu voir et entendre, lundi dernier à l’Olympia. Normal, remarquez, Euphoria Morning, le premier disque solo du beau Brummell de la Côte-Ouest n’a pas encore sa place garantie au panthéon des disques-cultes, loin s’en faut. On voulait bien s’émouvoir devant l’une des plus belles voix que Seattle nous ait offertes, mais le capharnaüm sonore qui prévalait en début de spectacle a nettement ralenti nos intentions. Heureusement, la batterie (notamment) s’est finalement faite moins tonitruante pour Seasons, le premier écho de feu Soundgarden, et c’est d’un bloc que l’Olympia, pas très rempli d’ailleurs, s’est levé. Tout le monde se calmera ensuite, pour remanifester pendant Fell on Black Days, que Cornell interprète seul à la guitare électrique. Une belle version, qui nous a tout droit replongés au coeur des années quatre-vingt-dix, alors que Seattle dictait la voie à suivre au reste de l’Amérique.
Les chansons du dernier disque de Cornell auront au moins eu le mérite de proposer un spectre d’atmosphères élargi, empruntant au Moyen-Orient sur Like Suicide, à Led Zeppelin sur un paquet, et même au rock progressif sur Sweet Euphoria, une pièce planante reposant sur des nappes de synthés que n’aurait pas reniées Tony Banks de Genesis. Rendons-nous toutefois à l’évidence: on ne parle pas ici de chansons immenses, et tout le monde sait bien que c’est avec de grandes chansons qu’on fait un grand show. Tirez-en vos conclusions… (Patrick Marsolais)