Jean-Louis Murat : Comme un cheval fou
Musique

Jean-Louis Murat : Comme un cheval fou

Parti à la recherche du Graal musical en terre d’Amérique, le chanteur auvergnat Jean-Louis Murat a accouché d’un disque lumineux, à cheval sur les continents. Bien qu’il avoue préférer la peinture à la musique par les temps qui courent, le chanteur débarque chez nous avec la ferme intention de nous en mettre plein les oreilles.

De Jean-Louis Murat, on avait gardé le souvenir impérissable de Dolorès, l’un des plus brillants albums francophones des dernières années. Objet exigeant mais riche, ce disque de rupture et de regrets était porté par des musiques à la fois langoureuses et mécaniques qui résonnent encore dans bien des oreilles.
Lorsque Murat est reparu, l’an dernier, chevauchant ce Mustango débridé, il avait quitté les paysages intérieurs de son Auvergne natale pour s’aventurer vers de grands espaces américains. Parti voir ailleurs s’il y était, Murat n’a pas nécessairement trouvé de solution claire, mais il a au moins eu le mérite de refuser l’immobilisme. En plus de sa démarche musicale, il tente depuis quelque temps de trouver son vrai visage à travers la peinture, plus particulièrement l’autoportrait.
Jean-Louis Murat n’est pas le genre de type qui se laisse cerner en deux coups de crayon, ou de pinceau. Fan de foot et adepte du bouddhisme, reclus campagnard, puis grand voyageur, solitaire vaguement mégalomane pourtant sensible au monde qui l’entoure, on le devine complexe et tumultueux. Le genre de type dont on aime bien goûter les chansons, mais avec qui on ne voudrait pas passer sa vie.
Pour l’heure, Murat semble serein, presque zen. «Tout va bien: je suis à Pigalle, je viens de manger une tarte aux pommes et de boire une bière. Je ne peux vraiment pas me plaindre.» La voix est traînante, mais enjouée. En tournée depuis l’automne dernier, Murat piaffe d’impatience à l’idée de retrouver le sol nord-américain sur lequel il a concocté son Mustango.
Dolorès avait été fait sur des machines; Mustango, au contraire, repose sur une instrumentation plutôt live, assez traditionnelle, mais la version de tournée se fera presque exclusivement à l’aide de machines. «C’est une version électronique de Mustango, avance le chanteur. Je pourrais jouer ces chansons avec une instrumentation classique, ou même seul, mais j’avais envie d’autre chose. Malgré la présence des machins, ce spectacle est basé sur l’improvisation. Tout est en place pour qu’on puisse changer d’approche selon notre humeur, puisque chacun des musiciens (au nombre desquels on retrouvera le fidèle Denis Clavaizolles) est indépendant du reste, et peut ramasser d’autres instruments, comme une guitare. Je pense que ça laisse beaucoup de gens perplexes; mais c’est le but de la manoeuvre, secouer les gens.»
Pour la première fois, Murat a abandonné un peu de son contrôle, créant des chansons plus libres et permettant aux musiciens invités de s’y greffer. «Avant, j’avais l’habitude de travailler chez moi, et il est toujours possible de trafiquer des trucs pendant des mois. Pour ce disque, j’essayais de travailler le plus rapidement possible, avec une sorte d’abandon face aux autres musiciens. C’est la première fois que ça m’arrive de façon aussi claire. J’y ai pris un grand plaisir; ça m’a permis de redécouvrir mes chansons à travers les autres musiciens.»

Il était une fois dans l’ouest
On a décrit Mustango comme l’«album américain» de Murat, raccourci simpliste auquel, admettons-le, nous avons succombé. Oui, Mustango a été enregistré entre Tucson, Arizona et New York, en compagnie de quelques membres de l’élite musicienne des États-Unis. Dans le Sud-Ouest, l’Auvergnat a croisé le fer avec Joey Burns et John Convertino, les deux cerveaux derrière le génial groupe de country-folk-mariachi-ambiant Calexico. Au nord-est, il a sauté dans le creuset de la bouillante scène du downtown New York: le guitariste Marc Ribot, le claviériste John Medeski, la violoniste Eszter Balint et les membres du groupe Elysian Fields, entre autres, se sont greffés au projet. Entre les deux, quelques noms mythiques, comme Harvey Brooks et Winston Watson, ex-comparses de Dylan, mercenaires de passage, recrutés au hasard d’une rencontre. «J’ai rencontré les gens de façon très spontanée, j’en ai abordé certains lors de leurs concerts, et je leur demandais simplement s’ils avaient envie de jouer ave moi. Idéalement, j’aurais préféré ne pas savoir leurs noms et ne pas connaître leur curriculum vitæ, leurs références.»
Étrangement, la plupart des musiciens ont répondu favorablement à l’appel de ce drôle de Français. Bien sûr, il y a eu quelques rendez-vous ratés, dont la seule mention fait rêver: dans un monde idéal, la chanteuse canadienne Mary Margaret O’Hara et l’auteur-compositeur Mark Eitzel, ex-leader d’American Music Club, auraient aussi fait partie des invités présents sur l’album de Jean-Louis. Mais, contrairement à l’époque suivant le disque Vénus (93) alors qu’il avait lancé, puis abandonné, l’idée d’enregistrer en compagnie du Crazy Horse, le groupe de Neil Young, cette aventure américaine a porté ses fruits.
Comme plusieurs de ses compatriotes avant lui, Murat rêvait d’une Amérique fantasmatique, immense, irréelle. Son Amérique à lui, c’était celle des disques de Creedence Clearwater Revival et de Neil Young, et celle des bouquins de Jim Harrison, qu’il a dévorés avant de prendre l’avion. Mais, contrairement à bien des Français (Johnny ou Eddy, par exemple), il a refusé de rester à la surface de ces clichés, désirant rencontrer l’Amérique à une échelle plus humaine.
«Dans ma situation d’expatrié, j’arrivais à mieux savoir où je me situais. J’ai senti très rapidement qu’il fallait que je sois très courtois et que je développe au maximum les qualités françaises traditionnelles d’esprit, de bienveillance et de politesse. C’est pourquoi j’ai écrit cette chanson, Viva Calexico, comme cadeau de bienvenue. En partant, j’ai écrit un autre morceau, Bye-bye Calexico (qui ne se retrouve pas sur l’album), en guise de cadeau d’adieu, pour les remercier de m’avoir accueilli chez eux.»

«Hey! Joey, John
Are you sure, les gars?
… Oui, je vois mieux
Qui je suis moi là
Avec Calexico…»
– Viva Calexico

Murat s’est-il enfin trouvé, en plein coeur du désert de l’Arizona, entre les guitares de Calexico? «Fair chanteur français, ce n’est pas très épanouissant, lance-t-il. C’est presque une activité nostalgique. En ce moment, cinquante pour cent de la production française ressemble à un ersatz de productions américaines ou anglaises; le reste, c’est du revival de vieille tradition française poussiéreuse. Dans mes rapports humains avec les Américains, je me suis efforcé de représenter la quintessence de l’esprit français du dix-huitième; mais musicalement, il n’y avait pas de barrières. En fait, je ne voulais être ni trop français ni trop américain, mais trouver un juste équilibre où je pouvais être moi-même.»

La grenouille et la baleine
Si l’Amérique mythique est palpable tout au long de l’album, le titre Mustango ne fait pas référence aux chevaux sauvages qui galopaient dans les plaines du Far West, mais au petit royaume du Mustang, territoire méconnu situé tout près du Tibet. Pour ajouter à la confusion, ce disque aux sonorités bien américaines, a failli naître en Afrique! «L’idée de cet album a germé lors d’un voyage en Égypte, explique le chanteur-globe-trotter. C’est là que ma perception de la vie a changé et que j’ai pu envisager de faire un truc comme Mustango. J’aurais aimé enregistrer là-bas, mais ça a foiré, et je suis allé à Manhattan d’abord pour y peindre, ensuite pour faire de la musique.»
En apparence, rien ne pourrait sembler plus éloigné du mystérieux royaume du Mustang que les gratte-ciel de la Grosse Pomme. Et pourtant, c’est dans les extrêmes que Murat semble trouver l’équilibre ces temps-ci. «En fait, ces deux mondes se répondent dans leurs extrêmes. Manhattan, c’était l’opposé absolu du Mustang, mais je crois que les deux arrivent à se rejoindre.»
En fait, plus on y porte attention, plus Mustango ressemble à un disque international. Murat chante le Mont Sans-Souci, louange une chanteuse britannique (Polly Jean), évoque les horreurs de la guerre dans Belgrade. «J’ai même failli chanter Chicoutimi, Québec et Tadoussac!» ajoute ‘Auvergnat. La chanson Québec, qui n’est pas sur le disque, raconte une histoire vraie; c’est une sorte d’hymne au Québec et aux Québécoises. Lors du Festival d’été, j’avais pris le temps d’aller voir les baleines à Tadoussac. Je ne sais pas si c’est parce que j’étais trop impressionné par cette idée, mais j’ai commencé à être malade comme un chien. On a trouvé une pharmacie, on m’a bourré de cachets, et on m’a installé dans une chambre de ce magnifique hôtel rouge et blanc, et on m’a laissé seul dans le noir. Résultat: tout le monde est allé voir les baleines sauf moi. Alors c’est une chanson sur mon fiasco à Tadoussac.» Si Québec est restée sur le plancher au moment du montage de l’album, vous pouvez être sûr qu’elle fera partie du programme lors du passage de Murat chez nous: «Je risque de la chanter seulement trois fois dans ma vie, alors profitez-en.»
Si, comme il le dit, chacun de ses disques offre un polaroid de l’instant présent. Murat semble plutôt bien dans sa peau par les temps qui courent. Comparé à l’éprouvant Dolorès, Mustango respire par moments la sérénité. Sur quelques titres on sent même un émerveillement presque naïf, comme avec Polly Jean, dans laquelle Jean-Louis se laisse aller à une véritable déclaration d’amour à PJ Harvey, aperçue en concert à Saint-Malo. «Pour ce qui est de la musique, je suis une sorte de fan de base, du genre à demander des autographes à ses idoles. Par rapport aux gens que j’admire, je suis une sorte de midinette. Je suis très admiratif, adolescent, et j’espère ne jamais perdre ça.» Si Murat débarque chez nous avec un tel enthousiasme, on n’hésitera pas à jouer les midinettes nous aussi.



Tableau de bord

On n’a qu’à jeter un coup d’oeil à son site Web pour s’en convaincre: Jean-Louis Murat peint comme un maniaque ces jours-ci. «On m’a offert un matos de peinture alors je me suis mis à peindre des autoportraits, pour voir à quoi je ressemble. Je ne suis pas délicat, comme garçon. On m’aurait offert un matosde menuisier, j’aurais fait une commode», a-t-il déjà déclaré à un magazine français. Si vous avez visité son site, vous avez pu découvrir que cette passion n’a rien d’insignifiant. Murat est tombé dans la peinture avec la fougue de celui qui avait quelque chose à rattraper. «La peinture fait travailler l’autre hémisphère que celui qui me sert à faire des chansons. Aujourd’hui, je me sens double, je suis habité par deux passions qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. La passion de la peinture est en train de tuer la passion d’écrire des chansons. J’ai l’impression que le côté peinture a été tellement méprisé durant toutes ces années qu’il est en train de prendre toute la place: ça me fait découvrir une autre partie de moi, parce que je ne tape pas dans le même réservoir de sensations et de plaisirs.»
Lorsqu’il parle de l’enregistrement de Mustango, Murat utilise souvent des métaphores chromatiques: tel titre est plutôt indigo, tel autre est cramoisi. «Lorsque je dicutais avec les musiciens, j’utilisais un langage très coloré; pendant le mixage, j’accrochais toujours une carte postale ou une image sur la console pour donner le ton à la chanson.»
Si l’album est fini, la peinture, elle, poursuit son cours. On pourrait même croire que Murat s’imagine cessant de chanter un jour… «C’est tout à fait possible, lance-t-il le plus sérieusement du monde. En ce moment, il m’arrive un truc bizarre: je n’ai pas écrit une chanson depuis plus d’un an, et ça ne me manque même pas. Depuis que je chante, c’est la première fois que ça m’arrive. Par contre, je ne passe pas une journée sans peindre; dès que j’ai un peu de temps libre, je fais les musées ou je dessine.» Pour découvrir les peintures de Jean-Louis Murat, vous pouvez visiter son site Web www.jlmurat.com/