Jay-Jay Johanson : Poison volant
Musique

Jay-Jay Johanson : Poison volant

. Que ce soit au Sonar, à Barcelone, parmi l’élite de l’électronique internationale, ou au Festival de Jazz de Montréal, les explorations post-trip-hop de Jay-Jay Johanson, à défaut de lui valoir un statut de star internationale, lui ont ouvert bien des portes. "Je n’ai jamais tenté de faire une musique indéfinissable; je fais la seule musique dont je me sens capable", avoue le chanteur suédois.

Jay-Jay Johanson

se souvient très bien de son dernier passage à Montréal, à l’occasion du Festival qui l’invite à nouveau cette année. Et s’il garde de bons souvenirs du concert qu’il donna ce soir-là au Spectrum, c’est avant tout de gastronomie qu’il me parle lorsqu’il apprend d’où je l’appelle… "Est-ce que le ChuChai, sur Saint-Denis, est encore ouvert? Tu sais, c’est mon restaurant préféré au monde! J’en ai parlé dans plusieurs entrevues à travers le monde et une fois à Montréal, j’ai l’intention d’y manger matin, midi et soir…"
Au moment de notre conversation, le grand Suédois s’apprêtait à participer à un festival rock à Istanbul, une première pour lui, après avoir été maintes fois découragé par l’ambassade suédoise de jouer au pays de Midnight Express. Faute de pouvoir le classer dans une petite catégorie bien définie, Jay-Jay est partout ces derniers temps. Que ce soit au Sonar, à Barcelone, parmi l’élite de l’électronique internationale, ou au Festival de Jazz de Montréal, ses explorations post-trip-hop, à défaut de lui valoir un statut de star internationale, lui ont ouvert bien des portes. "Je n’ai jamais tenté de faire une musique indéfinissable; je fais la seule musique dont je me sens capable, dit-il. Ceci dit, j’ai toujours été conscient d’être différent, en marge de la musique commerciale. D’une certaine façon, je suis très flatté que les gens aient de la difficulté à classer ma musique, et ça me permet d’être à mon aise un peu partout. Le seul endroit où je me sens vraiment étranger, c’est chez moi, en Suède. Là-bas, hormis quelques D.J., absolument personne ne fait une musique qui ressemble de près ou de loin à la mienne."
Et pourtant, on l’a entendu dire de certaines des chansons de Poison, son troisième et plus récent disque (voir critique en page 36), qu’elles portaient en elles quelque chose d’incroyablement scandinave (Escape, notamment, évoque la relation amour/haine qui le lie à son pays natal). Sur Poison la mélancolie et le fatalisme, si caractéristiques de son oeuvre – et peut-être de sa culture nationale – sont exploités à la puissance mille, sans que l’on sente le détachement et l’ironie que l’on pouvait retrouver sur certaines de ses chansons antérieures. Mais le trait le plus suédois de Poison, c’est qu’il fut, tout comme Whiskey et Tattoo, enregistré chez Jay-Jay, dans ce qui est "probablement le studio le plus moderne de Stockholm", dira-t-il, sans fausse modestie. En effet, malgré des airs beaucoup plus rock que ses prédécesseurs (voir la fougueuse Keep it a Secret, déroutant premier extrait de l’album), Poison est aussi le plus high-tech des trois albums de ce crooner postmoderne. "C’est un disque assez paradoxal, confirme le chanteur. D’une part, je n’ai jamais enregistré de manière aussi live, avec autant d’instruments en studio; mais d’autre part, je n’ai jamais passé autant de temps en post-production, à fignoler les sonorités à l’aide d’une foule de machines. Pour moi, les paroles, la composition, le travail d’arrangement et le mixage sont tous des étapes fondamentales de la création d’un disque. Ce sont des activités fort différentes, mais complémentaires: l’écriture est une activité très solitaire, à la limite de la psychothérapie; la composition marque une période d’explosion créatrice; les arrangements sont un travail de casse-tête tandis que la post-production, c’est un geste mathématique qui s’apparente à l’architecture Tout est important pour moi, et je trouve dommage qu’au cours des dernières années, on a mis beaucoup d’efforts sur le son et la production, aux dépens du songwriting."
On ne s’étonnera pas que ce control freak avoué porte aussi une attention particulière à l’aspect visuel de ses disques et vidéoclips. Ex-étudiant aux Beaux-Arts et fana de cinéma, Johanson s’est inspiré du film noir en général, et de l’oeuvre de Hitchcock en particulier pour le design de la pochette de Poison, mais aussi pour sa musique. "J’adore le cinéma, avoue-t-il. D’ailleurs, la majorité des disques de ma collection sont des trames sonores; il y a quelque chose dans la construction dramatique d’une pièce pour le cinéma qui est complètement différent de ce que l’on peut retrouver dans une chanson pop. Ce que j’essaie de faire dans mon travail, c’est d’inclure ces éléments propres à la musique de film dans un format de chanson plus traditionnel. J’étais un grand fan de John Barry, mais aujourd’hui, je suis obsédé par les musiques de Bernard Hermann."
Il était peut-être normal qu’en retour, le monde du cinéma s’intéresse à la musique de Jay-Jay. L’homme a d’ailleurs passé quelques jours à Cannes, cette année, histoire de discuter avec des producteurs. "J’ai rencontré là-bas le jeune Islandais qui a réalisé le nouvel album de Björk, et que j’aimerais bien inviter à travailler sur mon prochain. J’aimerais aussi collaborer avec Tapioca, un Français dont les explorations électroniques rappellent pas mal Funkstörung. Après trois albums, je pense que je suis prêt à abandonner un peu de contrôle; je suis curieux de voir ce que d’autres personnes feront avec mon travail." Pour le moment, tout ce que Jay-Jay vous demande, c’est de laisser son Poison s’infiltrer lentement dans vos veines. Mais soyez prudent: voilà une drogue qui peut causer une grave dépendance…

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