Lucy Pearl : Ménage à trois
Musique

Lucy Pearl : Ménage à trois

Qui va nous donner l’heure juste sur le r’n’b des années 2000? On n’entend plus parler de Tony!Toni!Tone! ni d’A Tribe Called Quest – des groupes qui avaient refaçonné le son urbain pendant la dernière décennie – et le nouvel album des filles d’En Vogue ne marche pas fort fort. Par contre, la nouvelle coalition formée de membres issus des trois formations précitées a vite trouvé sa clientèle, et ce, sans rien  forcer.

Il est midi à Chicago et Lucy Pearl est en tournée. Nonchalant, détendu comme s’il sirotait dans sa chambre d’hôtel son premier jus d’orange de la journée, Raphael Saadiq a l’air du mec le plus cool qu’on puisse imaginer. «On n’avait pas envisagé le groupe comme ça, lance-t-il, désinvolte. On voulait juste réaliser un album avec plein de trucs qu’on avait envie d’entendre. De plus, je crois qu’on était conscients que les gens auraient tendance à nous considérer comme un "super groupe", donc on ne voulait pas arriver avec exactement à ce à quoi ils s’attendaient… Il fallait que ce soit quelque chose de différent, et que tous les trois on ait du plaisir le à faire.» Plaisir, vous dites? Le mot à lui seul explique la magie qui opère dans ce ménage à trois. C’est très simple, c’est arrivé tout seul ou presque. Bien sûr, comme dans toutes les bonnes histoires, nos trois héros s’étaient croisés avant. Raphael avait invité Ali à travailler sur une chanson de l’album Sons of Soul de Tony!Toni!Tone (1993), lequel l’avait invité pour quelques tracks avec son groupe (A Tribe Called Quest), et il avait aussi travaillé avec la chanteuse d’En Vogue Dawn Robinson pour un remix ou deux. Donc, la connexion était déjà faite… «J’ai commencé la plupart des chansons en fredonnant un petit refrain ou tout simplement en jouant une progression d’accords à la guitare, raconte Saadiq. Ali, lui, démarrait avec un beat, on ajoutait un air par-dessus et on passait une semaine à groover sur le truc.»

Le résultat est épatant. Quinze chansons croustillantes, pleines de fraîcheur et de punch, mais qui sonnent plus comme un démo de garage concocté par des jeunes rookies prometteurs. On est loin du hip-hop hyper-agressif ou de la soul surproduite et ultra-léchée qui habitent les palmarès r’n’b de l’Amérique entière. La première qualité de cet album de Lucy Pearl, c’est peut-être son côté laid-back, relaxe. Et complètement différent du son de Tony!… «C’était la première fois que j’avais l’occsion d’achever ainsi tout un travail», confesse Saadiq. Ce qui n’empêche pas quelques références aux groupes antérieurs des trois complices. «Probablement, avoue le chanteur. Je pense qu’on ne peut pas vraiment y échapper. C’est plutôt difficile à effacer.»

À part l’irrésistible Dance Tonight, une chanson pas très originale mais avec l’allant idéal qui en a fait un des beaux succès de l’été 2000, le premier disque de Lucy Pearl renferme plusieurs petites perles parmi lesquelles Trippin’ (ne serait-ce que pour sa ligne de basse), Don’t Mess with my Baby (le prochain single) et Can’t Stand your Mother!, une chanson décapante sur les belles-mères. «Je me suis dit que si on faisait un sondage porte à porte, on verrait que la plupart des couples ont vécu ce problème, me dit Raphael. J’ai pensé que ce serait cool de mettre ça sur un album. J’en ris, mais ça occasionne parfois des ruptures.» Les vraies choses de la vie, quoi!

Mais que peut-on attendre live d’un groupe qui n’a qu’un disque et qui n’existe que depuis quelques mois? «Pour des gens qui ne sont pas juste des tripeux de studio mais des musiciens qui aiment jouer live, c’est un privilège. On est cinq sur scène, on mixe ça avec quelques hits plus connus de chacun d’entre nous, mais on ne fait aucun cover
Raphael Saadiq n’est pas plus bavard qu’il le faut; mais s’il y a un truc qui le rend vraiment loquace, c’est quand on cite le nom de Sly & the Family Stone. En fait, il a suffi que je mentionne There’s a Riot Goin’ on, titre d’un album paru il y a un quart de siècle, pour qu’il s’emballe. «Sly a été une inspiration pour moi toute ma vie. Ses disques ne sont jamais loin. Je les conserve, je les rachète. Il a amené la pop music à un autre niveau, pas nécessairement commercial, mais il écrivait ce qu’il ressentait. Et il a ouvert des perspectives pour la chanson "urbaine". Même dans le hip-hop, aujourd’hui encore, tout le monde échantillonne son hi-hat, ses beats de batterie, son orgue..» Est-ce à dire que le r’n’b d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était? Les succès actuels vont-ils résister à l’usure du temps s’ils ne sont pas basés sur des boucles de Stevie Wonder? «Je ne veux pas entrer dans ce débat. Il y a des gens qui recherchent tout le temps ce qui vient juste de sortir. Moi, j’écoute la musique comme si rien n’était vieux, comme si tout était nouveau. Si l’on faisait jouer Sly en rotation forte sur les radios aujourd’hui, il serait encore plus big qu’avant. Si l’industrie le permettait, les kids chanteraient du Al Green maintenant.»

Le 26 août
Au Spectrum

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