Éric Goulet : Le vagabond
Musique

Éric Goulet : Le vagabond

Éric Goulet fête ses 20 ans de carrière avec un concert-événement aux FrancoFolies. Une célébration pour le héros obscur de l’industrie musicale québécoise.

En 20 ans de carrière, Éric Goulet aura fait la une de Voir à trois reprises. La dernière remonte à décembre 1994. Nicolas Tittley, alors en poste, écrivait à propos de Cru, deuxième album de Possession Simple: "Un disque saignant, puissant, qui risque de bouleverser le monde de la musique au Québec. Un triomphe critique… en attendant le succès boeuf."

Née en 1986 et disparue de la carte une décennie plus tard, Possession Simple fut la première formation rock répertoriée d’Éric Goulet. "La même semaine, Voir avait publié trois critiques dithyrambiques de Cru signées par trois journalistes différents, se souvient Goulet. Je n’avais jamais vu ça."

L’eau a coulé sous les ponts et les scribes de la Belle Province utilisent toujours les mêmes qualificatifs pour analyser les disques des Chiens. Seule exception, le terme "puissant" fut remplacé par "mordant".

Si le succès critique dure depuis 20 ans pour Éric (combien d’artistes peuvent se vanter d’un tel accomplissement?), le succès populaire se fait toujours attendre. En compilant les chiffres de ventes de Possession Simple (2 albums), des Chiens (5) et de Monsieur Mono (1), le compositeur de 39 ans a écoulé seulement 20 000 compacts en carrière.

Mais la vie n’est pas qu’une salope pour Éric. D’ailleurs, la célébration qu’il présidera lors des FrancoFolies se veut festive, elle n’a rien d’un coup de gueule revanchard à l’adresse des bonzes du disque. Bien sûr, le grand public ne saura peut-être jamais que l’auteur-compositeur-interprète joue dans la ligue des Rivard et Bélanger, mais aujourd’hui, Goulet vit de sa passion pour la musique. Les ventes de disques des Chiens ne lui permettent peut-être pas de payer le loyer, mais ses réalisations d’albums (French B, WD-40, Vincent Vallières, Yann Perreau, Jean-François Fortier), elles, oui.

L’IMPACT GOULET

Est-ce que l’oeuvre du Montréalais originaire de Sept-Îles aura finalement "bouleversé le monde de la musique au Québec"? Bien sûr que si. Demandez à Dumas, Vincent Vallières ou Yann Perreau, des artistes qui ont largement surpassé le succès de Goulet, à l’instar d’Éric Lapointe qui assurait jadis la première partie de Possession Simple aux Foufounes Électriques. Tous témoigneront avec enthousiasme de l’impact qu’a eu dans leur vie La Nuit dérobée, deuxième opus des Chiens.

"Avec Comme un cave (succès de Possession Simple et, de mémoire, première pièce indépendante diffusée sur les ondes commerciales québécoises en 92), La Nuit dérobée est l’oeuvre dont on me parle le plus souvent." Enregistré pour 2000 $, l’album couronné disque alternatif de l’année en 2001 au gala de l’ADISQ (seul Félix remis à Éric) a remué de nombreux mélomanes par ses compositions chargées d’émotions, de tristesse et de profondeur. Un chef-d’oeuvre, un disque renversant à classer aux côtés de Tu m’aimes-tu? de Richard Desjardins.

Mais au-delà de cet album aujourd’hui épuisé, réédition prévue cet automne, Éric Goulet et son éternel comparse Nicolas Jouannaut incarnent l’indépendance même depuis 20 ans. Celle qui permet d’oeuvrer sans qu’une grosse compagnie vous impose compromis et échéancier, et celle dont se réclament aujourd’hui les Dany Placard, Malajube et autres Navet Confit. D’ailleurs, nombreux sont les jeunes groupes qui consultent Éric pour son expertise.

Les Chiens ont bien signé avec les étiquettes La Tribu et C4, mais ces ententes n’ont guère duré. "Pourquoi donner des sous à un label quand ton groupe n’en gagne presque pas, raisonne Éric. Au départ, je crois que je suis devenu indépendant par défaut. Si une grosse compagnie de disques avait approché Possession Simple avec un beau contrat, nous l’aurions sans doute signé. Dans les années 80, la scène n’était pas organisée comme aujourd’hui, et personne ne pouvait enregistrer un album de qualité devant son ordinateur personnel. Je savais le rock indépendant viable aux États-Unis en voyant les R.E.M. et Pixies, mais ici, il n’y avait aucun exemple. Seul Offenbach, modèle d’un vrai succès rock québécois, me servait de mentor."

De son long périple au monde du DIY (do it yourself ou fais-le toi-même), Éric retient une leçon primordiale: "L’important, ce n’est pas ce que tu as, mais ce que tu en fais. Aujourd’hui, un artiste peut enregistrer et lancer son disque sans trop dépenser. Il peut se servir d’Internet pour pallier les radios et MusiquePlus, trop frileux pour faire jouer autre chose que la recette commerciale. Ce n’est pas toujours facile; une bonne nouvelle vient souvent accompagnée de deux mauvaises, et tu ne deviendras jamais riche. Mais tu feras ce que tu aimes en toute liberté. Ça prend une tête de cochon. Pour être franc, j’ai voulu abandonner presque à tous les jours. Mais être indépendant à 20 ans m’a appris comment réaliser un album, et c’est ainsi que je gagne aujourd’hui ma vie. C’est pour ça que je serai encore là dans 20 ans. De toute façon, à mon âge, j’ai passé la dernière sortie. Et sur la route du rock, les u-turns sont interdits."

Partenaires de route rencontrés au fil des ans, les ex-Possession Simple, Michel Faubert, Yann Perreau, Vincent Vallières, Mara Tremblay, Alex WD-40 Jones et Jean-François Fortier se joindront aux Chiens d’Éric lors du concert-événement Temps de Chien.

Le 11 juillet
Dans le cadre des FrancoFolies
Au Club Soda à 20 h 30

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Musicographie d’Éric Goulet

Possession Simple (1986-1996)
(Éric Goulet, Nicolas Jouannaut, Olivier Rénaldin, Luc Lemire et André Désilets)

Formation rock pourvue de saxophones, le quintette a lancé Guerre d’usure (92) et Cru (94), en plus de remporter le concours Rock Envol en 88. "Pour moi, c’était l’aboutissement. Ado, je rêvais d’avoir un groupe. Je dessinais même des pochettes d’albums pour passer le temps. J’ai énormément appris avec Possession Simple. Un jour, nous avions l’impression d’être les maîtres du monde, et l’autre, tout nous glissait entre les mains."

Les Chiens (1997 à aujourd’hui)
(Éric Goulet, Nicolas Jouannaut, Olivier Rénaldin, Roger Miron, André Papanicolaou et Marc Chartrain)

"C’était une volonté de se réinventer. De tirer un trait sur le passé. À la limite, j’aurais aimé que personne ne sache que nous étions les anciens Possession Simple. Entre 20 et 30 ans, tu changes profondément. Les chansons plus adolescentes de Possession ne nous collaient plus à la peau. Nous cherchions la maturité."

Trompe le Monde (1997-2004)
(Éric Goulet, Nicolas Jouannaut, Olivier Rénaldin, André Papanicolaou et Jean Larocque)

"C’était notre groupe hommage aux Pixies. Nous avons donné quelques concerts sporadiquement, jusqu’au jour où les vrais sont revenus. Les Pixies m’ont toujours inspiré, mais je crois que nous n’avons jamais mis cette influence à l’avant-plan. Du moins, pas avec Possession Simple."

WD-40 (2003-2004)
(Alex Jones, Michel Dufour, Éric Goulet)

"J’ai remplacé le guitariste Jean-Loup pendant environ un an au sein de WD-40. Il faut dire que j’avais déjà réalisé leurs albums Aux frontières de l’asphalte et Fantastik Strapagosse. Ça m’a permis d’être sur une scène sans assumer le rôle de leader. Je réalise en ce moment leur nouveau disque, qui devrait sortir cet automne."

Pilgrim (2003 à aujourd’hui)
(Jean Pellerin, Éric Goulet, Roger Miron, Jean Larocque et Nicolas Jouannaut)

Formation bluegrass où Éric joue du banjo et de l’accordéon. "J’y explore des ambiances que Les Chiens ne me permettent pas d’exploiter. Un album devrait bientôt voir le jour. Peut-être d’ici la fin de l’année."

Les Ringos (2004 à aujourd’hui)
(Éric Goulet, Marc Chartrain, Jean-François Fortier et André Papanicolaou)

"Nous avons formé ce groupe hommage aux Beatles pour le plaisir de jouer leurs pièces plus obscures, celles qui ne se retrouvent pas sur les compilations rouge et bleue. Notre son est un peu plus trash que celui des Fab Four. C’est comme si les Beatles n’avaient jamais quitté Hambourg, mais qu’ils avaient tout de même écrit Abbey Road."

Monsieur Mono (2005 à aujourd’hui)
(Éric Goulet accompagné sur scène de Guillaume Chartrain et André Papanicolaou)

"Au départ, simple projet éphémère, Monsieur Mono a obtenu plus de succès que prévu. Il est devenu le véhicule de mes pièces solo et des compositions plus douces des Chiens. Est-ce que mon prochain disque en sera un de Monsieur Mono? Peut-être, je ne suis pas fixé."