Marc Ribot : Prendre aux tripes
Musique

Marc Ribot : Prendre aux tripes

Guitariste de génie, Marc Ribot ne souhaite qu’un seul fil conducteur à tout son art: que sa musique soit viscérale.

Deux, trois, quatre formations. Autant de pays, autant de concerts sous d’autres appellations contrôlées. Un jour avec T-Bone Burnett, une fin de semaine avec Massada, une soirée à Montréal avec son nouveau trio explosif, Ceramic Dogs… La brillante part d’ombre cachée derrière le meilleur de Tom Waits, John Zorn, ou jadis des Lounge Lizards d’Evan Lurie, des musiques de films pour John Malkovich: Marc Ribot s’enfonce dans un éclectisme plus vaste que jamais en défiant toute redondance. Conversation téléphonique via Beach Heaven, New Jersey.

De la pop illuminée de T-Bone Burnett aux explorations diverses en solo ou en groupe, vous semblez toujours rechercher l’excitation des contrastes.

"Oui, mais l’objectif est le même: jouer des choses qui ont un effet direct et intense sur le public. J’ai d’ailleurs tendance à retourner vers le rock brut."

Comment choisir ses priorités et en faire des choses durables quand on s’éparpille autant que vous?

"C’est une vue de l’esprit… En Amérique, les musiciens ont tendance à vouloir appartenir à des groupes. C’est une certaine nostalgie du collectivisme et de la cellule familiale, je crois… Mais à New York, on travaille bien plus sur des projets qui ne vont pas tous au même rythme."

Il semble aussi que vous fassiez alterner simplicité et complexité émotive…

"Je considère la musique pop comme de l’artisanat (craft), et le jazz d’Albert Ayler, par exemple, comme de l’art. Mais ces frontières ne sont même pas claires. Des groupes avant-gardistes comme les Lounge Lizards avaient des structures très strictes, alors que la pop de T-Bone Burnett me permet d’improviser en masse. Alors… qu’est-ce qui est vraiment expérimental…?"

Les guitares de Rain Dogs de Tom Waits ou celles de Chatterton de Bashung sont devenues des références musicales mythiques pour les gens un tant soit peu critiques et cultivés…

"Je ne m’intéresse ni à la mythification ni à la mystification des artistes, mais beaucoup plus aux rituels de la création. Il y a des disques qui sont en réalité de véritables artéfacts. On sent qu’il s’y passe quelque chose d’important. On les aborde comme des rituels religieux nocturnes. Ce ne sont pas des commodités distrayantes."

D’ailleurs, vous avez flirté avec les structures de musiques ethniques, et même religieuses, avec Massada. Déjà, le nom…

"Zorn, avec ses enjolivements et artifices, flirte plus avec Duke Ellington qu’avec sa judaïcité. Les rites vaudou, charismatiques, hassidiques ou orthodoxes évoquent de puissantes expériences du genre, mais beaucoup de musiques religieuses ont été bridées par la morale et la discipline. Moi, je suis un païen, c’est le sens viscéral du rituel, pas son idéologie, qui m’intéresse. Par exemple, Ceramic Dogs, je veux que ce soit une force brute qui donne envie d’agiter la tête comme dans le temps du punk-rock au cégep."

Une sorte de possession physique… Mais vous savez bien que vous êtes plutôt perçu comme un artiste appartenant à l’élite intellectuelle.

"…Eh oui, personne n’est parfait."

Le 31 août
Au Divan Orange