Michel Fugain : Partir, revenir
La chanson peut-elle sauver des vies? Il en aura fallu 12 pour sauver Michel Fugain.
"J’étais mort! Je faisais le feu follet! Avant de partir je voulais leur dire bravo et merci pour ces quatre décennies de chemin parallèle et d’émulation."
Début 2003, après le décès de sa fille Laurette, Michel Fugain, complètement abattu, envisage le suicide. La lettre qu’il écrit alors à quelques confrères est équivoque. Y parle-t-il de suicide professionnel ou personnel? Il veut en tout cas sortir par la grande porte, quitter sur quelques chansons écrites pas ces amis remarquables rencontrés au fil de 40 ans de métier. Douze répondent à l’appel des adieux: Aznavour, Lama, Hardy, Gall, Nougaro, Adamo, Sardou, Duteil, Le Forestier, Chedid, Manset, Leprest lui donnent des chansons-bilans sur le thème des souvenirs et du métier. Fugain en fait un disque quatre ans plus tard: Bravo et Merci.
"Je voulais les surprendre, les étonner, leur montrer un autre aspect d’eux-mêmes, avec des musiques et des couleurs différentes. Je l’ai fait pour eux, sans changer un mot", dit Fugain depuis Paris alors qu’il vient tout juste de quitter la Corse où il réside en permanence. Étonner? L’humble ambition est atteinte. Bravo et Merci prend ses auteurs à contrepied. Le sinistre Manset et Leprest l’intello passent pour des auteurs naïfs, Françoise Hardy a des airs d’Antonioni du temps de la Cinecitta, le texte de Serge Lama sonne comme du Souchon reggae, le pompier Sardou vire rétro… Et, moment remarquable entre tous, sur Je parlerai de toi, Aznavour se justifie de n’avoir jamais causé politique en donnant sur un air de bossa nova sa chanson la plus… engagée à vie.
"Je sais… Charles, il est discret; Charles, il parle surtout de lui. C’est un papy", dit Fugain dans un grand éclat de rire: "Ils m’ont tous donné des textes en demi-teinte. J’ai eu envie de faire bouger tout ca, de faire différent. Je ne voulais pas faire référence à la mort de qui que ce soit. On a beaucoup vécu, on s’est beaucoup marré. Ça raconte nos vies. Celles de jeunes artistes qui avaient 20 ans", ajoute Fugain. Débordé de souvenirs, il va articuler une bonne part de son spectacle (qu’il qualifie de parcours) sur ces nouvelles chansons.
Bravo et Merci a aussi le mérite de remettre en lumière les remarquables talents de mélodiste de Fugain. D’évoquer à travers ses amis une carrière passablement plus diversifiée que ce que le commun des mortels en retient: La Moustache, la troupe d’énervés sautillants en salopette blanche, mais surtout, L’Oiseau, Comme un soleil, Pas le temps, Un beau roman, les chansons charismatiques de Pierre Delanoë qui, au regard de l’époque, oscilleront toujours entre le kitsch et le sublime, aux funérailles comme dans les partys de cuisine ou de bureau: "Je sais bien que les étiquettes sont faciles. Fugain, c’est La Fête. Mais il y a des chansons qui n’ont strictement rien à voir avec cet esprit-là. Je n’ai pas cultivé la nostalgie, mais l’attachement des gens va au-delà des chansons. Dans la rue, dans ma bagnole, on me dit merci."
Maintenant, concert et albums sont-ils encore autant d’au revoir? "C’est exactement le contraire. Je voulais partir, j’en avais ras le bol; ils m’ont passé le message inverse. Ils m’ont dit: Ne pars pas! Et ils m’ont sauvé la vie!"
À écouter si vous aimez /
Alain Souchon, Hugues Aufray, Joe Dassin