Lhasa – La route chante : L’héritage Lhasa
Le monde de Lhasa se réunira le 6 janvier pour lui rendre hommage deux ans après son décès. Mario Légaré, Patrick Watson, Arthur H, Bïa et Brad Barr se souviennent.
Ce jour-là, Mario Légaré s’était arrêté pour acheter des fleurs. Le coeur gros, il marchait dans les rues du Mile End, bouquet à la main, espérant le mieux pour son amie Lhasa, mais craignant le pire. À destination, il prit une grande respiration et ouvrit la porte pour monter les marches menant jusqu’à l’appartement.
"Au milieu de l’escalier, j’ai vu Patrick Watson et sa famille sortir du logement", se souvient le bassiste qui a accompagné Lhasa pendant de nombreuses années. "Il avait l’air complètement dévasté. Je me suis dit: câlice…"
Rendu à l’étage, la famille de Lhasa lui expliqua qu’elle était trop fatiguée pour recevoir d’autre visite. On lui remettrait les fleurs.
"C’est la dernière fois que je l’ai vue, confie à son tour Patrick Watson. Nous étions sur le point de partir pour une tournée australienne, et je me doutais bien que la fin approchait." Quelques jours plus tard, le 1er janvier 2010, Lhasa perdait sa bataille contre le cancer.
La triste nouvelle, Bïa l’a apprise de la bouche d’un journaliste le 2 janvier. "On m’a appelée pour savoir si c’était vrai. Si Lhasa était morte. Je suis devenue hystérique au téléphone. Le journaliste s’est confondu en excuses."
À New York, les frères Andrew et Brad Barr se trouvaient chez des amis où ils avaient séjourné quelques mois plus tôt avec Lhasa. Une autre coïncidence mystique "Lhasa" comme cette neige qui s’est abattue sur Montréal les cinq jours suivant son décès. "Nous sommes sortis de la maison pour faire un feu dans la cour, explique Brad. Exactement là où nous avions chanté avec elle la fois précédente."
À Paris, Arthur H était trop triste pour se rendre à Montréal et participer aux funérailles, une cérémonie organisée à la Fédération ukrainienne pour parents et amis. "Je suis plutôt parti m’isoler en Provence où j’ai enregistré mon disque Mystic Rumba", un album sur lequel il reprend ses succès en formule piano/voix. "Et tu sais, il ne neige presque jamais en Provence, mais pendant qu’à Montréal vous viviez cinq jours de neige, il en est tombé 50 cm."
Les retrouvailles
Deux ans plus tard, les cinq musiciens se réuniront pour rendre hommage à la disparue lors du spectacle La route chante, présenté au Rialto avec une vingtaine d’autres artistes, dont Jérôme Minière, Plants and Animals, Katie Moore, Socalled, Ariane Moffatt, Yves Desrosiers, Thomas Hellman et la harpiste Sarah Pagé.
Selon l’un des organisateurs de la soirée, Dan Seligman du festival Pop Montréal, chaque invité aura carte blanche. "On pourra entendre des chansons de Lhasa, bien sûr, mais aussi des compositions inspirées par Lhasa et des pièces qu’elle aimait beaucoup."
Arthur H y jouera notamment Dis-moi tout, une chanson de son album Baba Love composée en l’honneur de la chanteuse, et On rit encore, un titre que Lhasa interprétait en concert.
Le spectacle permettra également un mélange de deux scènes aux musiciens bien distincts. Celle du Plateau-Mont-Royal que Lhasa fréquenta dès le début de sa carrière avec la parution de La Llorona (1998): les Légaré et Desrosiers. Puis celle du Mile End qu’elle a côtoyée vers la fin des années 2000: Patrick Watson, Miles Perkin, Joe Grass, The Barr Brothers, Esmerine.
"Dès le début, Lhasa savait qu’elle voulait évoluer dans une palette musicale très large", selon sa bonne amie Bïa. "Alors qu’elle était très jeune, Yves Desrosiers l’a amenée dans un registre espagnol parce qu’elle lui donnait des frissons dans cette langue. Les deux trouvaient ça original pour le Québec de l’époque. Elle laissa ainsi ses reprises de Billie Holiday pour donner un nouveau visage à la musique du monde produite à Montréal. Mais à un certain moment, elle s’est sentie prise dans le rôle de la fille mexicaine élevée dans une caravane. Elle était plus que ça. Elle était anglophone aussi, et c’est pour explorer cette facette qu’elle a changé d’équipe. Elle souhaitait trouver une autre énergie."
Pour Mario Légaré, "Lhasa était ouverte sur le monde. Lorsqu’on allait jouer en Europe de l’Est, elle apprenait une chanson en tchétchène. On allait au Portugal, elle apprenait une chanson en portugais. Elle voulait communiquer avec les gens".
Patrick Watson admire d’ailleurs son courage. "Pour un compositeur, changer complètement de musiciens après avoir passé plusieurs années avec la même gang est extrêmement difficile. Mais quand Lhasa savait ce qu’elle voulait, rien ne pouvait l’empêcher d’atteindre son but. Elle m’a déjà "flushé" deux fois de sessions d’enregistrement parce que je ne jouais pas à son goût!"
Bïa: "Elle savait surtout ce qu’elle ne voulait pas. Mais quand ça marchait, elle te regardait avec des étoiles dans les yeux." Mario Légaré se souvient aussi de sessions d’enregistrement difficiles. "Elle dictait où la chanson devait t’amener, et tu lui donnais tout ce que tu pouvais. Ses opinions pouvaient être très tranchées."
Cette détermination aura fait de Lhasa une musicienne en quête constante d’une vérité intérieure. Pas surprenant qu’elle mettait cinq ou six ans avant d’accoucher d’un nouvel album. "Après La Llorona, la maison de disques française Tôt ou Tard a essayé de la faire travailler avec quelques musiciens très réputés. Ils sont allés loin en préproduction, et malgré tout, elle n’a pas hésité à se désister du projet parce qu’au final, elle n’y trouvait pas son compte. La compagnie essayait même de miser sur son corps, de la rendre plus sexy. Elle n’était pas d’accord. Devant une telle intégrité, aucun musicien ne pouvait dire non lorsqu’il se faisait appeler par Lhasa."