J’ai publié cet automne, chez Poètes de Brousse, un court essai intitulé: Je ne suis pas une PME. Plaidoyer pour une université publique. Il semble avoir été lu et discuté et je m’en réjouis. Il a notamment été commenté dans Le Devoir (fort bref!), fait l’objet d’un entretien ici, est recensé par François Doyon ici et par Le Mouton Noir ici. J’ai également reçu de très nombreux courriels en réaction à cet essai.
J’y exprime de vives préoccupations quant à la mutation que l’université connaît, celles-là même qui, en partie, font que je réclame depuis des années déjà la tenue d’États généraux — je ne dis désormais plus de l’Université, mais de l’enseignement supérieur, pusique je suis mantenant convaincu qu’il est indispensable d’inclure les Cégéps dans cette réflexion collective. (On trouvera ici un appel datant de 2008 à de tels États Généraux signé par mon collègue Jacques Pelletier et moi-même).
L’ACFAS m’a demandé un billet sur ce livre, expliquant commairemnet pourquoi je l’ai écrit et ce que j’y défends. J’ai pensé qu’il pourrait être opportun de reproduire ici le texte que j’ ai fourni en réposne à cette demande. Il me semble que des choses là-dedans éclairent ce que nous vivons en ce moment.
Bonne lecture.
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J’avais une visée toute simple, mais fermement résolue en écrivant ce petit ouvrage : je souhaitais qu’il contribue à nourrir en chacun de nous cette triple conviction qu’une réflexion collective sur l’université s’impose d’urgence à nous, que nous ne pouvons plus l’éluder et que nous devrions nous donner les moyens de la tenir.
Mon point de départ est qu’une profonde transformation de l’université est en cours et que la distinction que proposait le regretté Michel Freitag (Le naufrage de l’université, 1998) entre institution et organisation permet d’en saisir les dimensions les plus saillantes.
À cet égard, notre situation au Québec n’est aucunement inédite et une abondante littérature est désormais consacrée à cette transformation, tant au Canada anglais qu’aux États-Unis ou en Europe — où elle se rattache au Processus de Bologne.
Outre Freitag, Aline Giroux avait, chez nous, tiré la sonnette d’alarme sur la transformation de l’université dans son remarquablePacte faustien de l’université (Liber, 2006). À eux, comme à Noam Chomsky (Permanence et mutations de l’université, PUQ, 2010), ma propre réflexion doit beaucoup; ses insuffisances sont bien entendu miennes, et miennes seules.
L’université transformée dans ses principes
Je soutiens qu’un certain discours, souvent appelé « néolibéral », ainsi que les pratiques qu’il a inspirées depuis plus de deux décennies ont profondément ébranlé l’idéal incarné par l’université, celui d’une institution où s’accomplit « la vie de l’esprit de ces êtres humains qui […] sont portés vers la recherche et l’étude », pour emprunter ces mots à Wilhelm Von Humboldt (1767-1835), et font de plus en plus d’elle un « complexe industrialo-académique ».
L’enseignement, la recherche et la vie universitaire ont ainsi été sommés de s’inscrire dans une logique de rentabilité et d’adaptation fonctionnelle des individus aux exigences de l’économie, toujours présentées comme indiscutables et décisives. L’université tend ainsi à être de moins en moins définie par les exigences internes de son activité spécifique et à l’être de plus en plus par ces critères extérieurs.
Certains vocables devenus d’usage courant à l’université — clientèle, efficience, capital humain, compétence, compétition, rentabilité, investissement, subvention, partenariat public-privé, privatisation, brevet, et ainsi de suite — témoignent de la diffusion et de l’acceptation de ces idées et de certaines pratiques inspirées par l’adoption d’un paradigme commercial et entrepreneurial. Et s’il est vrai qu’historiquement l’université n’a aucunement répugné à entretenir des liens avec diverses institutions sociales, notamment économiques, et à leur apporter diverses contributions souvent appréciables, ce n’est pas la même chose que d’en adopter les normes, les principes et les modes de fonctionnement. Or, c’est cela qui est radicalement nouveau et qu’il s’agit de comprendre au moment où le capitalisme lie son destin à celui de l’économie du savoir et où l’université, tout comme l’éducation en général, est sommée de se repenser et de se remodeler selon les exigences propres à une telle économie.
Je m’efforce ensuite de décrire les aspects qui me semblent les plus remarquables et les plus préoccupants de cette transformation sur les plans de l’enseignement, de la recherche et de la relation que l’université entretient avec la société qui l’abrite.
Voici quelques-unes des idées que je défends à ce sujet et que je tenais tout particulièrement à soumettre au débat public.
1. L’ennemi intérieur
S’il existe bien ce qu’on pourra appeler un ennemi extérieur de l’université, qui cherche à la soumettre à ses propres fins, sa pénétration dans l’institution a été grandement facilitée par ce que j’appelle l’ennemi intérieur, lequel prend typiquement la forme d’un aveuglement volontaire et d’un consentement intéressé qui parfois signent aussi, hélas, le renoncement à ce que l’université et la vie de l’esprit ont de plus unique et irremplaçable.
2. Une analyse différenciée selon les secteurs
Je pense que l’université, riche d’une longue histoire, se présentant sous des formes diverses et abritant des poursuites intellectuelles nombreuses et variées, se prête mal à de hâtives généralisations. C’est pourquoi je précise à de nombreuses reprises que si la tendance lourde que je décris est bien réelle, ce qu’elle implique dans tel ou tel secteur devra être examiné de près et pourra bien souvent se révéler fort différent d’un secteur à un autre.
3. L’enseignement
L’augmentation de la taille des groupes, le recours massif à des personnes chargées de cours, l’exode des professeurs vers les études supérieures, le clientélisme sont, sur le plan de l’enseignement autant d’aspects préoccupants de la crise actuelle de l’université.
Je suggère que l’on devrait y réfléchir (et y réagir) à partir de ce que signifie enseigner à l’université. Je propose la définition suivante : ce qui caractérise l’enseignement universitaire, qu’il s’agisse d’un enseignement à vocation essentiellement professionnelle (le droit, la comptabilité, la médecine) ou essentiellement théorétique (les études littéraires, la sociologie, la philosophie, la physique), c’est son ambition de faire pénétrer chacun des étudiants dans une tradition intellectuelle qui institue une relation critique avec cette activité professionnelle ou cet effort de théorisation, de manière à faire de lui un participant à ce qui, en bout de piste, n’est rien de moins que la grande conversation critique que l’humanité entretient avec elle-même. L’ambition, en bout de piste, est d’inscrire des théories et des pratiques dans une perspective normative et de les organiser en un ensemble harmonieux et cohérent dont on espère qu’il forme un idéal de vie individuelle et collective.
4. Les efferts pervers de la recherche subventionnée
La primauté désormais accordée d’emblée à la recherche subventionnée est préoccupante. Elle participe en certains secteurs d’une inacceptable volonté d’appropriation de la recherche universitaire par des intérêts privés, d’une détermination de l’extérieur de ses objets, d’une privatisation de ses résultats. En d’autres secteurs, notamment les humanités, cela érige en norme (la recherche subventionnée) ce qui n’est pas toujours nécessaire ou possible, et ceci au détriment d’une forme pourtant incontournable de la vie intellectuelle qui est l’étude de la tradition, laquelle ne coûte rien et ne peut guère se poursuivre ailleurs qu’à l’université.
5. Réaffirmer le caractère public de l’université
L’ouvrage défend l’idée d’université publique, mais reconnaît que ce vocable reste vague. Je m’efforce donc de le préciser. Je propose trois grandes séries de questions dont les réponses sont décisives pour déterminer si les relations qu’entretient une université avec la société qui l’abrite font d’elle, ou non, une université publique. Tout d’abord, quelles sont les sources du financement de ses activités? Ensuite, que réalise-t-elle avec ce financement? — autrement dit, quels sont les activités, les biens et les services qu’elle produit ou génère ? Enfin, comment cet ensemble est-il diffusé hors de l’université, et à qui et sous quelles modalités est-il rendu accessible?
6. Des critères pour penser ce caractère public de l’université
Selon quels critères juger du caractère public ou non d’une université, sur ces trois plans? J’en avance trois, que l’on modulera comme il se doit selon les différents secteurs et départements de l’université concernés (médecine, humanités, arts, éducation, ingénierie, etc.), où, à n’en pas douter, ils s’appliqueront chaque fois un peu différemment — mais je ne peux entrer ici dans ces (importantes) considérations.
Ces critères sont : la compossibilité des biens produits, c’est-à-dire le fait qu’en les donnant à autrui on les possède encore (c’est le cas du théorème de Pythagore; pas d’un brevet d’invention); la multiplicité des relations (« Par définition, l’université entretient des relations avec un nombre potentiellement très large de regroupements au sein de la société. La multiplication de la quantité et de la qualité de ces liens librement consentis est un indice du caractère public d’une université. Elle témoigne que l’université et ses riches ressources ne sont pas monopolisées par un groupe et par ses intérêts particuliers. Je soutiens donc qu’une université publique doit encourager dans son enseignement et sa recherche la multiplication de ces relations. »); la liberté universitaire, et en particulier la possibilité de choisir ses objets et ses méthodes de recherche, qui devrait être défendue bec et ongles partout où elle est menacée.
7. Le domaine de la lutte
Ce livre se ferme sur des propositions d’action. J’y prône notamment la lutte contre ce qui mine de l’intérieur l’université dans sa mission fondamentale; je préconise de se porter aujourd’hui à sa défense contre ces nouveaux ennemis, depuis ces programmes bassement utilitaires qui ont été mis en place jusqu’à cette recherche aux visées mercantiles, en passant par les modes de gestion qui rendent possible cette métamorphose et qui la font croire importante, utile et inévitable; je préconise la poursuite et la défense de cette recherche libre, qui est de plus en plus menacée, le refus de prendre part à des activités au contenu intellectuel douteux, mais d’une grande rentabilité, et le refus de se plier aux diktats des entreprises ou de l’État; je prône aussi la création de cours libres, crédités ou non, pouvant se donner au sein de l’université, mais aussi hors et indépendamment d’elle. Je réclame enfin et surtout la tenue d’états généraux de l’université, moment de délibération collective sur ce que nous voulons que soient nos universités.
8. De la sécession
La dernière piste de réflexion que je mets de l’avant reprend une idée qu’exprimait il n’y a pas si longtemps un libertaire américain bien connu, Paul Goodman (1911-1972). Son point de départ était le suivant :
Qu’ont fait, demandait-il, à divers moments de l’histoire de l’université depuis le Moyen Âge, certains universitaires et certains étudiants quand la forme prise par cette institution ne leur convenait plus du tout? Ils ont fait sécession. C’est même souvent à travers cette dissidence que l’université a trouvé de quoi se régénérer.
De telles sécessions ponctuent l’histoire de l’institution. La dernière en date et la plus célèbre est celle de la création de la New School of Social Research, de New York, née de la sécession de professeurs dissidents des universités Stanford et Columbia.
Faisons-le une fois de plus, suggérait Paul Goodman en 1962. Je reprends à mon compte son idée, et j’imagine facilement une cinquantaine de professeurs accompagnés de quelque 300 étudiants fondant tous ensemble un institut universitaire voué au Studium Generale, à l’abri des désormais sclérosants contrôles extérieurs administratifs et bureaucratiques et des ennemis intérieurs aux mille visages, et sortant de la logique de la production et de la croissance à tout prix dans le but de fonder une véritable communauté intellectuelle.
9. Osez rêver
Bien des questions concrètes soulevées d’emblée par pareille proposition demeurent sans réponse, j’en suis pleinement conscient. Mais on a encore, j’ose espérer, le droit de rêver…
Source: BAILLARGEON, N. , Je ne suis pas une PME; plaidoyer pour une université publique, Collection « Essai libre », Les éditions Poètes de Brousse, 2011, Montréal, 91 pages.
Excellent résumé!
«Il a notamment été commenté dans Le Devoir (fort bref!), fait l’objet d’un entretien ici, est recensé par François Doyon ici et par Le Mouton Noir ici.»
Ici aussi!
http://jeanneemard.wordpress.com/2012/01/11/je-ne-suis-pas-une-pme/
Oups. Oublié. Désolé. Vous et Doyon m’avez gâté et lu avec beaucoup de sérieux.
Merci pour votre texte de blogue et celui dans le monde.
Pour le point 4.
« La primauté désormais accordée d’emblée à la recherche subventionnée est préoccupante. »
On peut voir l’importance même en début de carrière et l’ampleur de la crise générée par exemple ici
http://www.dpmms.cam.ac.uk/~bt219/epsrc.html
http://blogs.nature.com/news/2011/09/uk_mathematicians_protest_fell.html
Mais c’est le modele qui est mis en place dès le debut du baccalauréat. Deja a la premiere session l’etudiant doit avoir a l’esprit de faire une demande de bourse en vue de faire de la recherche durant l’été. Et puis dans tout cela les institutions qui organisent des séminaires sur comment remplir les demandes ou on dit en riant que ceux qui évaluent ne vont pas prendre beaucoup de temps et peut etre ne pas etre dans le domaine … Deja entendu a savoir … que dans le fond le législateur doit être en mesure d’expliquer comment on dépense l’argent … ( quand on voit l’ampleur de certains on comprend que c’est pas une bonne nouvelle ).
Et puis dans tout cela je pense qu’on rate ce qu’est la science … la recherche de la connaissance …bien des travaux sont difficilement explicables au public et souvent leur difficultes pas tres spectaculaire …
Et dans tout cela des fondations qui poussent ici et la et qui subventionnent selon leur bon vouloir … la fondation Templeton …. qui comme d’habitude vont révolutionner ceci ou cela …
—
Concernant ceux qui ne comprennent pas … l’actualité est riche en exemple …
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2012/06/07/001-grandprix-clac-classe.shtml
«Je n’y comprends absolument rien!», a lancé en ondes Michael Fortier. Il a précisé que la somme totale versée aux fondations sera dévoilée plus tard. »
Il s’agit d’une soirée caritative ayant pour but d’amasser des fonds pour les fondations du CHU Sainte-Justine et de l’Hôpital Sacré-Coeur de Montréal, a rappelé M. Fortier, évoquant un «partage de richesses». »
»
« Dans l’entrevue avec Anne Marie Dusseault il dit ( pas verbatim )
« quand j’appelle et que des compagnie me prennent des tables a 10000, 15000,25000 je suis tres content c’est comme ca qu’on ramasse de l’argent pour les hopitaux, les musées les soins paliatifs »
On remarque que c’est la meme ligne qu’ici
http://www.lapresse.ca/debats/le-cercle-la-presse/actualites/201206/07/48-477-sattaquer-au-financement-de-sainte-justine-est-tout-simplement-degoutant.php
L’argument du partage de richesse ….
Ca rejoint un peu ces histoires de fondation et de dons aux universités …
Gilbert Rozon (24h en 60 minute dit )
« la premier fois que je rentre chez chez schwartz sans faire la queue arretons de dire qu’il n’y a pas de consequences »
Robert Poeti
« il y a quoi des gens qui amassent 1 millions de trois ans de dollars en trois ans pour aider je comprends pas trop le lien avec le capitalisme »
….
Et puis
« Non mais qu’est-ce qu’ils font?! » lance une jeune femme très bien mise devant un hôtel chic du centre-ville, au passage des manifestants peu, voire pas, vêtus »
Et puis …
« L’ancien pilote de F1 Jacques Villeneuve, l’un des invités, déplore «un manque de réflexion de la part de jeunes individus» »
« jacques villeneuve au sujet des manifs.. «On ne se croirait pas au Canada…» »
http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201206/07/01-4532806-retournez-a-lecole-les-invites-de-la-f1-guere-emus.php
«Ils réclament de la liberté, mais ne se rendent pas compte qu’ils en enlèvent à beaucoup de gens. Je pense qu’ils ont passé leur jeunesse à grandir sans que leurs parents leur disent non. C’est ce qu’on voit dans les rues. Ça passe son temps à se plaindre.»
Un conseil aux étudiants? «Qu’ils retournent à l’école. Parce qu’un jour, ce sont eux qui devront payer leur contribution à la société.»
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2012/06/07/004-villeneuve-manifestation-etudiants.shtml
« « C’est le temps de se réveiller et d’arrêter de faire les fainéants. Ç’a duré assez longtemps », «
Normand, c’est une brillante analyse qui met en lumière et dévoile des tendances toxiques que j’ai constatées lorsque j’enseignais au cégep.
Votre «osez rêver» m’a plu, enchanté et ravi. Cela
Votre «osez rêver» m’a plu, enchanté et ravi. Cet appel au rêve m’a rappelé, de manière labyrinthée et sineuse, un texte de Mikel Dufresne, intitulé OUVRIR L’AVENIR, texte que j’ai souvent fait lire à mes étudiants et étudiantes:
*****«Pour l’imaginaire, oui! Parce que le réel nous pèse, parce que nous ne voulons pas nous soumettre à ce principe de réalité que Freud recommande, parce que nous voulons vivre sans toujours subir la nécessité et sans méditer la mort. C’est l’idéologie dominante qui nous enseigne à coup de tautologies, que le réel, c’est le réel, que nous y sommes pris et que toutes les issues sont bloquées; pas d’avenir, l’idéologie refuse l’histoire parce que les dominants ne veulent pas d’histoires. Et nous ne devons pas savoir non plus que ce réel est truqué.»*****
Ce texte a été publié dans Le Devoir du samedi 24 novembre 1979, dans un cahier spécial intitulé POUR L’IMAGINAIRE.
De toute manière nous savons que «NOUS NE SOMMES PAS SEULS» et que nous refusons tous les «SPEAK WHITE».
JSB
Petit retour en arrière, d’abord Allan Bloom, 1987, The Closing of the American Mind (traduit en français par L’Âme désarmée).
L’UNIVERSITÉ DES ŒILLÈRES
Par ailleurs, l’université a été victime d’un véritable désastre avec la création au cours des quinze (15) dernières années du M.B.A. qui se veut l’équivalent moralement, du doctorat en médecine ou en droit. En effet, ce diplôme assure par lui-même un débouché presque infaillible et un revenu très confortable aux élèves qui l’ont obtenu.
(…) L’effet M.B.A. est de faire entrer dans le premier cycle une horde d’étudiants qui ont l’intention de passer ensuite dans une grande école commerciale (« business school ») et qui, de ce fait, portent déjà des œillères.
(…) L’économie empiète sur les autres sciences humaines et déforme la façon dont les étudiants perçoivent celles-ci en les empêchant de bien voir leurs dessins respectifs et leur poids relatif par rapport à la connaissance des choses humaines. (…) non seulement les élèves qui font leur premier cycle en économie ne s’intéressent ni à la sociologie, ni à l’anthropologie, ni à la politologie, mais ils sont en outre persuadés que ce qu’on leur apprend en économie leur permet de manipuler toutes les notions dont traitent ces sciences.
De plus, ces élèves ne sont nettement pas motivés par l’amour de la science économique, mais par l’amour de ce dont elle s’occupe, à savoir l’argent. Le fait que les économistes s’occupent de la richesse, chose indéniablement réelle et solide, leur confère une espèce de solidité intellectuelle impressionnante, que ne confère nullement par exemple, la culture. On peut être sûr que ces gens-là ne parlent pas pour ne rien dire.
Mais la richesse elle-même contrairement à la science de la richesse, ne constitue certainement pas la plus noble des motivations; et il n’existe rien d’autre, dans toute l’université qui ressemble à cette parfaite coïncidence entre la science et la cupidité (le seul parallèle possible serait, s’il existait une chaire de sexologie, l’enseignement prodigué par de très sérieux professeurs de cette discipline qui assurerait à leurs élèves d’abondantes satisfactions sexuelles).
Allan Bloom, L’âme désarmée, Essai sur le Déclin de la Culture Générale, p. 315-316, Guérin littérature, 1987
Ensuite, 11 ans plus tôt, plus précisément en 1976, Michael Maccobby publie les résultats d’une étude portant sur la structure de caractère de deux cent cinquante administrateurs, directeurs et ingénieurs de douze grosses sociétés les mieux gérées des États-Unis (The Gamesmen : The New Corporate Leaders, Michael Maccobby (1976). Il écrivit sa principale conclusion dans la revue Fortune:
« WHERE WILL THE LEADERS COME FROM »?
The emotional and spiritual underdevelopment or corporate executive is a problem not only for the individual careerist but also for society as whole. Acting through the market, managers serve society’s material needs out of their own greedy self-interest. It they may meet successfully, they will in turn be rewarded. The system has given us what we asked from it: unprecedented wealth and material comfort. In the process, executives must use their heads to analyse demand, to design products, to fashion effective advertising and so on. And at this, they are extremely adept. The trouble is that, in rising to the top, they sacrifice the capacity to develop values that go beyond winning the game. And the larger society, of which business is but a subsystem, depends for a greatness not only on the head by on the heart – the qualities of courage, compassion, generosity, idealism. If the most dynamic sector of society continues to select out these qualities, where will find future leaders who possess the moral strength to know right from wrong and the courage to act on those convictions?
The Corporate Climber Has to Find His Heart / by Michael Maccoby / Fortune, December 1976 : 98-110
Près de 40 ans plus tard, on n’a qu’à constater les résultats catastrophiques de cet horde de barbares sur tous les plans de l’activité humaine, tant politique, qu’économique, sociale et écologique.
Lueur d’espoir, nos jeunes.
À titre d’illustration de votre propos, je vais vous raconter une petite anecdote. Ça s’est passé au cours d’une des grandes manifestations étudiantes du printemps. Je marchais avec la foule sur la rue Sherbrooke. En passant devant le campus de l’Université McGill, j’avise une banderole bilingue qui flottait au sommet d’un poteau. Du côté anglais, il était écrit « Université McGill – Business as usual».
Du côté français, j’ai oublié les termes exacts, mais on y retrouvait l’expression populaire « les vrais afffaires», ( du genre on parle ou on s’occupe des vrais affaires».
Curieux d’en savoir davantage sur cette université d’affaires, je me suis rendu sur le site Web; on y rapportait les propos d’un généreux donateur qui disait en substance que sa contribution financière avait pour but d’accroître la collaboration entre l’université et les entreprises et, prenait-il soin de préciser, qu’elle ne devait pas servir à financer la recherche libre.
Sur la page d’accueil de l’université, on peut lire: « McGill, la plus internationale des universités canadiennes, est établie à Montréal, métropole trépidante de la province francophone de Québec ».
Pour être «trépidante», elle est trépidante, la métropole! Mais peut-être pas au goût des promoteurs de l’Université McGill.
A lire aussi, l’excellent « université inc. » de Éric Martin et Maxime Ouellet, chez Lettres Libres.
Il devient de plus en plus évident que l’augmentation des droits de scolarité n’a rien à voir avec l’économie et tout à voir avec l’idéologie.
Le coût de la grêve pour les institutions et le gouvernement va éxéder les gains obtenus grâce à l’augmentation. Ce n’est certainement pas le résultat d’une bonne gestion de la situation.
Le but ultime de la manoeuvre est de décourager l’accès aux études post secondaires pour forcer plus de jeunes vers les filières professionelles. Ceux et celles qui en sortent sont de plus en plus maltraités par le système actuel: baisse de la syndicalisation, nivèlement vers le bas des conditions de travail, vol des caisses de retraites, quand elles existent.
Pour ceux qui persistent à aller à l’université dans les programmes où ils paieront bientôt plus de 75% de leur formation — on est loin des 17% claironnés par la propagande gouvernementale — sortiront avec de belles dettes qui les rendront bien dociles face aux employeurs éventuels. Si on rajoute les changements à l’assurance chômage du fédéral…. coudon, y se sont-tu parlé ces estis là…. j’dis ça d’même.
@ Arthur Laroche
«Il devient de plus en plus évident que l’augmentation des droits de scolarité n’a rien à voir avec l’économie et tout à voir avec l’idéologie.»
Les recteurs et bien d’autres intervenants qui appuient la hausse, sont tellement impreignés de cette idéologie qu’ils ne la considère même pas comme une idéologie, mais comme la seule façon de faire. Avec ce postulat, le fameux «on n’a pas le choix» des Thatcher et autres, ils ramènent le débat à une question de financement, alors qu’il s’agit en premier lieu d’un débat sur le rôle des universités. Une fois qu’on aura établi ce qu’on veut, là, on pourra parler du financement nécessaire à l’atteinte des objectifs choisis (oui, on a le choix!).
Eh oui! Tous ceux qui défendent une idéologie qui est «naturalisée», consacrée et routinière finissent par penser que ce sont les autres, les «aliens» qui sont de sales idéologues. Eux, ils ont la vérité inébranlable et ils conspuent les maudits idéologues, presque toujours de gauche, bien évidemment.
Quand on «croit» que c’est Dieu ou la nature qui nous donnent raison (ce mot est considéré comme «dangereux» par les fous de Dieu ou par les adeptes de la Mère Nature), toute discussion est close et le débat démocratique devient superflu et vain.
JSB
Si NOUS OSONS RÊVER, nous apprécierons ce propos du romancier et essayiste André Marois (1885-1967):
***«Le monde progresse grâce aux choses impossibles qui ont été réalisées.»***
Ouvrir le champ des possibles, c’est là la tâche de ceux et celles qui n’acceptent pas le désordre solidement établi.
JSB
JACQUES VILLENEUVE, PROLÉTAIRE DU «VA-VITE»
Villeneuve a ajouté une nouvelle corde à son arc. Nous, citoyens du Québec, avons appris avec ravissement que cet homme aux multiples talents est sociologue et analyste social tout en étant musicien, chanteur et adepte du «gros» char «va-vite».
Enfin un homme, un vrai, s’est décidé, dans une formule «un-ique», à réprimander et à «châtier» les gros bébés gâtés appartenant à cette génération «pourrie» qui s’amuse depuis des mois en osant défier le gouvernement, les policiers et les défenseurs inconditionnels de l’ordre (ou désordre) établi. Nous savons tous que ce pauvre Jacques a eu une enfance pénible et qu’il a vécu dans une pauvreté abyssale. Nous comprenons donc sa révolte contre la génération odieuse qui «sévit» dans nos rues, contre cette génération insolente qui ose perturber le cours normal de la vie montréalaise et québécoise et qui n’apprécie pas tellement les gros chars «va-vite», lesquels permettent à une poignée de profiteurs défendant prétendument des valeurs humanitaires.
Ayant formulé toutes ces sottises à prétention «ironique», je dirai que j’admire profondément l’actuelle génération que j’appelle, quant à moi, LA GÉNÉRATION INDOMPTABLE. C’est une génération qui «pète le feu» et qui veut enfin crever certains abcès, pour de bon si possible.
Ayant enseigné au niveau collégial pendant 37 ans, je sais pertinemment que «nos jeunes» ne sont pas tous des enfants-rois ou des enfants gâtés.
J’aimerais que tous les Jacques Villeneuve de cette planète réfléchissent un peu plus ou que, mieux encore, ils se taisent et ne se prennent pas pour des sociologues. S’ils veulent parler des gros chars «va-vite», qu’ils le fassent. Pourquoi pas?
Quand on pratique un métier socialement inutile, on ne peut se permettre de dénoncer et de mépriser ceux et celles qui vont devenir infirmières (ou infirmiers), hygiénistes dentaires, spécialistes en aérotechnique, ingénieurs, avocats, anthropologues, artistes, écrivains, enseignants, et j’en oublie.
Merci à CES JEUNES INDOMPTABLES malgré un certain nombre de maladresses, tout à fait normales.
Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias
Il y a beaucoup de commentaires intéressants et je n’ai pas pu les lire tous ! Par contre j’ai lu ce livre stimulant et cela a engendré plusieurs discussions et réflexions.
J’en suis arrivé à la conclusion personnelle que si par sa mutation l’université ne répond plus aux besoins et aux attentes de ceux qui y participent, elle tombera en décrépitude et sera remplacée par quelque chose d’autre qui saura mieux combler les besoins et les attentes de ses participants ou du groupe de participants qui auront été délaissés.
Car un besoin sera à combler, ouvrant une brèche. Une opportunité sera créé et donnera la possibilité à une nouvelle institution d’émerger, ou à une ancienne de prendre la place béante, dépendamment de celle qui saura le mieux s’adapter. C’est une question d’adaptation et d’évolution que Darwin appelait la sélection naturelle.
Pour cette raison, je suis déçu de la tournure que prend cette institution/organisme, mais je ne suis pas inquiet sur la capacité de la créativité social à rebondir et à combler le vide en cas de naufrage.