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Votera? Votera pas?

Les élections seront semble-t-il déclenchées aujourd’hui. Voterez-vous? Pour qui, le cas échéant?

Pour plusieurs, la question ne se pose même pas: ils et elles iront voter, même si leur choix n’est peut-être pas encore arrêté. Et la question de savoir pour qui voter divise justement une certaine gauche québécoise  en ce moment.

Mais, comme vous le savez, au sein d’une autre gauche (plus ou moins) radicale, on adopte, sur la question électoraliste, une position abstentionniste qui n’a cessé de faire débat. La conclusion à laquelle arrivent bon nombre de personnes appartenant à cette gauche est en effet qu’il faut (presque toujours) ne pas voter et cette position est passée dans le langage courant à travers de slogans bien connus: «Élections, piège à cons!»; «Voter, c’est choisir son maître»; «Si les élections pouvaient changer la vie, elles seraient interdites depuis longtemps».

Ce sont des slogans, bien sûr, à prendre comme tels. Mais on aurait tort de négliger l’argumentaire qui conduit à la conclusion qu’ils expriment.

En un mot, le voici.

Dans une société largement dominée par l’État et par les institutions économiques et leurs acteurs et représentants, le gouvernement est une institution pour l’essentiel au service de ces institutions dominantes et il faut donc, de manière presque constante, pour être élu,  être à leur service. Le gouvernement élu est donc presque nécessairement celui qui convient aux ou que tolèrent le mieux les institutions dominantes et c’est bien ce que sont toujours  les gouvernements élus, qu’ils soient de gauche ou de droite — et les élus eux-mêmes, bien souvent, qui passent sans gêne d’un parti à l’autre.

De plus, nous vivons dans une société où le contrôle de l’opinion joue un rôle très important: dans une telle société  les votards sont donc amenés à approuver ce gouvernement par leur vote par toutes sortes  de moyens pieusement appelés de communication de masse et qui sont explicitement destinés à faire en sorte qu’un public peu informé prenne des décisions irrationnelles.

Voilà pourquoi  nos élections sont un répugnant  festival du mensonge, de le pensée par slogans, d’ad hominem tenant lieu d’argument, de simplification abusive des enjeux, des semi-vérités orchestrée par des firmes de relations publiques relayés par des médias pour la plupart complaisants: ce qui en bout de piste interdit à peu près toute véritable pensée et tout débat en profondeur.

Ce portrait, cruel et noir, me semble globalement juste, même s’il existe, j’en conviens, des contre-exemples, parfois remarquables. Mais ceux-ci n’empêchent pas qu’aux slogans abstentionnistes évoqués plus haut,  on a l’irrésistible envie d’en ajouter un autre, bien de chez nous: «Vous êtes pas tannées  de voter, bande de caves.»

Mais il faut aussi souligner deux choses. La première que cet abstentionnisme  a pour contre-partie une conception élevée de l’action politique; la deuxième, qu’il est fondé sur un idéal de la démocratie au nom duquel on peut trouver tout à fait légitime et justifié de voter.

L’action, politique, pour commencer. À ceux et celles qui ne votent pas, on reproche bien souvent de ne pas faire leur devoir de citoyen. C’est assez piquant, je dois dire. Ce reproche, qui provient en certains cas au moins de personnes qui ne font à peu près que ça, voter aux quatre ans, comme action politique, s’adresse à des gens qui, typiquement, sont engagés dans l’action politique à longueur d’année, mais dans une forme d’action, directe,  qui cherche justement à informer l’opinion et à influencer les institutions dominantes.

La démocratie, ensuite. Car c’est bien au nom d’un idéal élevé de démocratie que plusieurs refusent de participer à la mascarade électoraliste. Soyons prudents, ici, puisque le mot démocratie est un des plus piégés du vocabulaire politique. Mais je dirai au moins ceci: à mon avis, la démocratie mérite qu’on y soit attaché  d’une  part parce qu’elle permet à des personnes informées de délibérer sur des enjeux importants, d’autre part parce qu’elle a, ce faisant, des chances crédibles de parvenir à de bonnes décisions. Nous sommes bien loin du compte, inutile d’y insister. Si loin, en fait, qu’il m’arrive de penser, très sérieusement, qu’à certaines des personnes, parfaitement ignorantes ou manipulées, qui reprochent aux abstentionnistes de ne pas faire leur devoir de citoyens, que leur devoir à elles seraient de s’interdire de voter.

Ceci dit, sommes-nous, cette fois, devant un de ces cas où il convient de voter. Vous même, voterez-vous, cette fois? Avec conviction? Par pragmatisme? Pour sortir les libéraux? Pour le PQ en vous bouchant le nez? Pour QS ou un autre parti, avec enthousiasme. Autre chose encore?  Racontez-moi!