De Lepage à Soutar en passant par Jan Martens et l'Amicale de production: regard sur la nouvelle saison de l'Usine C
Scène

De Lepage à Soutar en passant par Jan Martens et l’Amicale de production: regard sur la nouvelle saison de l’Usine C

L’Usine C souffle 20 bougies cette année en accueillant des spectacles de Robert Lepage, de Jérémie Niel et Catherine Gaudet, du chorégraphe hollandais Jan Martens et des délirants Antoine Defoort et Halory Goerger. Entre autres.

Outre le retour des Chiens de Navarre, du Germinal de l’Amicale de Production, l’incarnation très attendue de Robert Lepage en marquis de Sade et l’opus d’Annabel Soutar annoncés plus tôt ce printemps, cette saison sera marquée par les œuvres d’artistes réputés de la scène nationale et internationale. Explorant les territoires de l’intime, du politique et du social, tous font de la scène un espace de résistance humaniste, à la recherche de nouveaux codes subversifs. Le public pourra ainsi se réjouir de retrouver le théâtre percutant d’Angela Konrad, d’accueillir l’univers singulier de Catherine Gaudet, de découvrir la version décadente d’un Roméo et Juliette revisitée par Jérémie Niel, ou de s’émouvoir du portrait sensible que dresse Anne Marie Ouellet de nos ainés. Jan Martens, l’étoile montante de la danse flamande découvert à l’automne 2013 lors de la semaine NEDERLAND, sera également invité à présenter une œuvre athlétique d’une grande intensité physique, dans un spectacle inédit qui met en scène la guerre des corps.

Cette année marque aussi le retour de Temps d’Images. Mêlant science, arts et technologies Hi-Tech et Lo-Tech, cette 10e édition s’interroge avec humour et poésie sur l’état du monde au travers de propositions exigeantes de corps en mouvements, de projections décalées et de performances exploratoires. Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, le duo créateur du mémorable Kiss & Cry, sèmeront sans doute une fois de plus l’émoi général, en lançant leur nouveau nanoballet en première nord-américaine. À leurs côtés, Liz Santoro, Dustin Harvey, Chad Dembski, Priscilla Guy, Catherine Lavoie Marcus, Zachary Oberzan, Pauline Simon, proposeront des productions hybrides qui célèbrent le métissage des disciplines artistiques.

Danièle de Fontenay, directrice artistique de l'Usine C, et Gilles Maheu, de la défunte compagnie Carbone 14
Danièle de Fontenay, directrice artistique de l’Usine C, et Gilles Maheu, de la défunte compagnie Carbone 14

L’Usine lance aussi l’exposition qui rend hommage à Carbone 14 à travers une série de clichés d’Yves Dubé, photographe exclusif de la compagnie. L’exposition en cours du 20 aout à la fin du mois d’octobre fait partie des célébrations qui souligneront, au cours de l’année, l’apport incontestable de la compagnie fondatrice à l’Usine C.

L’Usine C rendra un hommage cinématographique à Carbone 14. Les 11, 12 et 13 septembre, le public sera convié à une série de projections d’œuvres de la compagnie sous l’égide de son créateur, Gilles Maheu, pour mettre en valeur un passé riche et fécond qui résonne encore dans le paysage théâtral québécois d’aujourd’hui. Afin d’honorer également la mémoire du lieu qui a vu émerger ces créations avant-gardistes, on remontera le temps avec Les Usines Raymond, une exposition hors-les-murs organisée par l’Économusée du fier monde. Présentée dès octobre, celle-ci mettra le focus sur l’histoire de cet édifice, de ses origines industrielles aux différentes étapes de sa transformation. Une collaboration inédite qui rappelle que l’art se crée aussi enraciné dans un quartier, une ville, un pays, une société en convoquant les nouveaux possibles que nous offre l’Usine C depuis 20 ans.

Le grand coup d’envoi attendu sur les planches de cette saison anniversaire est le retour des CHIENS DE NAVARRE. La meute la plus déjantée de la sphère théâtrale française nous présentera son spectacle emblématique Une Raclette, du 23 au 26 Septembre. Huit voisins sont réunis autour d’une table pour partager une raclette lors d’une soirée qui dérape dans le délire collectif. Toujours savamment orchestré entre la farce absurde et un réalisme exacerbé, le théâtre des CHIENS DE NAVARRE refuse la tranquillité.

Angela Konrad
Angela Konrad

En droite ligne de ce théâtre de l’irrévérence, place à Angela Konrad : son Macbeth que l’on pourra voir du 29 septembre au 10 Octobre, déconstruit cette fois-ci un mythe shakespearien pour extraire le meilleur et le pire, dans une relecture capharnaüm-rock, de cette tragédie politico-existentielle. Portée par la puissante traduction québécoise de Michel Garneau, cette création jette une lumière crue sur l’implacable logique néolibérale qui s’incarne dans un couple  aveuglé par la soif de pouvoir.

Découvert en 2013 dans le cadre de la semaine NEDERLAND, Jan Martens, jeune chorégraphe flamand acclamé, reviendra à l’Usine C du 15 au 17 octobre avec The Dog Days Are Over. Invitation éminemment physique à réfléchir sur le rôle de l’art, celui du performeur et du spectateur, The Dog Days Are Over livre une guerre d’usure à ses danseurs pour que tombent les masques. Cette symphonie du saut aussi douloureuse qu’extatique se joue du fil ténu qui lie art et divertissement, et nous plonge dans une expérience aussi physique que philosophique.

Défiant une frontière parfois trouble entre réalité et fiction, Annabel Soutar, pionnière de la dramaturgie documentaire canadienne, débarquera à l’Usine C avec une création aussi politique que poétique et personnelle. Le Partage des eaux mise en scène par le réputé metteur en scène torontois Chris Abraham focalise sur les enjeux que soulève l’exploitation de cet or bleu qui coule en abondance sur nos terres. À travers une enquête-épopée émaillée de rencontres avec certains des plus éminents spécialistes de l’eau douce, des militants acharnés et des individus passionnés par le secteur prometteur du pétrole, Le Partage des eaux actualise le dilemme d’un pays tout entier à devoir choisir entre la croissance et l’écologie. À vivre du 17 au 28 novembre.

Francis Ducharme, Caroline Gravel, Annick Hamel et Dany Desjardins dans Au sein des plus raides vertus / Crédit: Julie Artacho
Francis Ducharme, Caroline Gravel, Annick Hamel et Dany Desjardins dans Au sein des plus raides vertus / Crédit: Julie Artacho

Pour terminer l’année, l’Usine C braquera ses projecteurs sur Catherine Gaudet qui foulera les planches, du 8 au 10 décembre prochains. Navigant dans les zones inconfortables de l’ambivalence, questionnant notre animalité et notre monstruosité magnifique d’humains aux prises avec nos paradoxes, Au sein des plus raides vertus est une œuvre sensible où la chair exaltée laisse battre les pulsions qui l’agitent, sous le vernis des conventions.

Puis, 2016 s’ouvrira sur un élan de liberté avec La très excellente et lamentable tragédie de Roméo et Juliette. Réactualisation osée du mythe shakespearien, cette collaboration entre Jérémie Niel et Catherine Gaudet est un des moments attendus de la saison. Dans ce huis-clos pervers et mélancolique, un couple magnétique, formé de Clara Furey et Francis Ducharme, incarne, entre danse et théâtre, ce qu’il reste des amours sublimés à l’ère du 2.0. Un rendez-vous avec la puissance d’une intimité exposée dans toute sa fureur du 13 au 17 janvier. Une autre belle surprise de cette saison est la reprise du Germinal de Halory Goerger et Antoine Defoort du 3 au 6 Février 2016, succès incontesté de l’édition 2014 du FTA. Cette fable philosophique complètement folle et totalement jubilatoire signée par le duo franco-belge plaide pour de nouvelles utopies à vivre ou à créer.

 

Francis Ducharme et Clara Furey jouent Romeo et Juliette
Francis Ducharme et Clara Furey jouent Romeo et Juliette

 

Les frimas de février amèneront la 10e édition de Temps d’Images, vitrine vibrante et allumée qui fusionne les arts vivants et les arts numériques. Le couple Jaco Van Dormael et Michel-Anne De Mey -qui avait alors marqué le cœur et l’esprit avec leur inoubliable Kiss & Cry– revient du 18 au 21 février avec Cold Blood, un nouveau spectacle polymorphe entre danse, cinéma, musique, théâtre et bricolages ingénieux. Tout aussi onirique, mais plus incisif, leur spectacle raconte l’histoire d’un petit garçon devenu homme et de sa confrontation universelle à la société et à ses dysfonctionnements. Dans cette zone qui oscille du rêve à la réalité, naissent des univers poétiques et magiques au fil d’un voyage dans le merveilleux, de l’infiniment petit au grand tout qui nous enveloppe.

Tous les détails de la programmation de Temps d’Images seront dévoilés en décembre.

Tout en restant au plus près de l’humain, Nous voilà rendus d’Anne Marie Ouellet -qui avait brossé le portrait de l’adolescence dans Impatience– s’intéresse ici à la vieillesse et à la sagesse de cette génération invisible. Rencontrées dans un CHSLD par le biais d’ateliers de théâtre et musique, les personnes âgées se livrent dans une simplicité magnifiée et désarmante. Condensé de vies, impressionniste et émouvant, Nous voilà rendus est une ode au souvenir de ce qui a été mais aussi de ce qui s’en vient pour chacun d’entre nous. À voir du 2 au 5 mars.

Robert Lepage / Crédit: Julie Perreault
Robert Lepage / Crédit: Julie Perreault

Finalement, la saison 2015-2016 s’achèvera en grand avec Quills, le coup de maître de Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Oeuvre troublante sur la liberté d’expression du célèbre auteur américain Doug Wright, Quills met en scène le marquis de Sade qui, prisonnier de l’asile de Charenton en France, continue à faire publier ses récits érotiques envers et contre tout. L’enfant terrible du théâtre québécois rencontre l’auteur le plus sulfureux des derniers siècles dans une création atypique où Robert Lepage se métamorphose en personnage diabolique. À découvrir absolument du 16 mars au 9 avril !