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Savoir encaisser les claques

Pour survivre au métier de critique, il faut un jour apprendre à ne plus se soucier du «que pensera l’artiste» au moment d’écrire une recension de disque ou de concert. Entendons-nous, chaque critique négative doit être pesée, soupesée, et le choix des mots est primordial pour éviter de blesser inutilement; c’est une question de respect. Mais autrement, le «que pensera l’artiste» devient vite un frein à proscrire ne serait-ce que pour éviter la complaisance.

Inversée, l’équation est tout aussi pertinente. En pleine création, l’artiste doit suivre le même cheminement et se foutre raide du «que pensera la critique». Se soucier des étoiles accolées à son disque est non seulement un frein créatif, mais peut grandement nuire à la santé mentale d’un créateur. Plutôt que de s’attarder aux impressions des journalistes, le musicien doit s’assurer d’une chose: donner le meilleur de lui-même dans le but ultime d’être fier de son disque ou de son concert.

Mardi soir, la chanteuse Julie Brunet et les membres de sa formation Grenadine ont mangé une claque. Rien de catastrophique, remarquez. Leur monde tourne encore, et Jérôme Minière continuera d’épauler le groupe à travers la production de son premier album complet. Reste que Grenadine était parmi les favoris pour remporter la présente édition des Francouvertes et que mardi, le combo n’a pas réussi à se qualifier pour les demi-finales.

Julie Brunet n’a pas la langue dans sa poche. Quiconque a suivi ses différents blogues au cours des dernières années sait que la musicienne a un point de vue parfois cynique, mais souvent éclairé, intelligent.

Au lendemain de l’élimination de son groupe aux Francouvertes, elle est y allée d’une longue entrée de blogue lucide et assumée. Dans un discours franc et dépourvu d’agressivité, Brunet y explique qu’elle n’est peut-être pas l’artiste champ gauche que la critique attendait, et que les références plus pop entendues aux Francouvertes sont là pour rester. Tant pis pour la critique, tant pis pour le public des Francouvertes.

«Vous pouvez donc arrêter de m’envoyer des messages de désolation, je ne suis pas désolée et encore moins triste», écrit-elle. «J’ai personnellement donné mon meilleur show à vie, tous projets confondus, et j’inclus là-dedans un paquet de shows: les premiers triomphes français de Cœur de pirate, une tournée mémorable avec Monogrenade et même ma fatidique audition pour le Conservatoire en 98. Je n’ai absolument rien à redire sur la qualité de la performance de mes musiciens. Nous avons monté un show solide, nous avions un concept précis en tête et nous avons travaillé avec acharnement pendant des mois pour y parvenir. Hier soir, tout était exactement comme on le voulait. Ce que vous avez vu, c’est ce qu’on voulait vous montrer. On ne pouvait pas se donner davantage et ça ne pouvait pas être plus proche de l’objectif à atteindre. Et je vais vous le dire carrément: je suis pas mal fière de moi. Je me regarde sur les photos et je repense à ma perfo et j’arrive à peine à croire que je suis cette fille.»

Ça va paraitre idiot, mais cette fille n’a pas besoin de gagner les Francouvertes. Certes, elle ne cracherait pas sur la reconnaissance médiatique et le soutien financier associés à la victoire, mais côté confiance, Julie Brunet a déjà tout le bagage pour se respecter, éviter les compromis et lancer un album fidèle à sa quête artistique toute personnelle. Je connais des gagnants des Francouvertes qui n’ont jamais atteint ce niveau d’assurance et de maturité.

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En 2006, WD-40 se relevait après des années de problèmes financiers et d’abus multiples. Fraîchement ressuscité, le groupe rock montréalais lançait un improbable nouveau disque, St-Panache, et s’apprêtait à prendre d’assaut les planches de la province. Après un concert plus ou moins convainquant au Café Campus, j’écrivais que le défi de WD-40 était maintenant de convaincre un autre public que celui vendu d’avance depuis Les Petites Culottes en 1996. Quelques semaines plus tard, le chanteur Alex Jones – un autre qui n’a pas la langue dans sa poche – m’avait apostrophé en plein FME pour me dire que le vrai défi de WD-40 avait été de régler ses problèmes et réussir à lancer un nouveau disque dont il était fier.

Ce jour là, j’ai encaissé la claque sans broncher.

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Musicaction change son règlement
Le 13 février dernier, je vous parlais dans ce blogue de la règle des trois albums de Musicaction qui empêchait un artiste, comme Fred Fortin, de faire une nouvelle demande de bourse après que le jury de la fondation eut accepté le financement de trois disques différents. Le 8 mars, Musicaction a changé son règlement. Le nombre de projets financés est passé de 3 à 4. Il s’agit bien sûr d’une amélioration qui aurait permis à Fortin et son ancienne maison de disque, C4, de lancer un nouvel album avec plus de moyens, mais le tandem aurait été confronté au même problème quelques années plus tard.

Bref, Musicaction vient de régler le problème à court terme… C’est déjà ça.