BloguesParathéâtre

Marie-Thérèse Fortin se fâche

Longue absence sur ce blogue. J'ai eu un horaire très occupé, il faut me pardonner.

Je vous propose d'ailleurs un petit retour en arrière. Il y a un peu plus d'un mois, j'écrivais ici que, sur papier, la saison théâtrale ne m'enthousiasmait pas. Et que je me demandais si le Théâtre d'Aujourd'hui respectait bien sa mission cette année. Ce qui m'a valu une rencontre fort animée avec Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d'Aujourd'hui. «Attaquer la mission du théâtre, c'était aller un peu trop loin», m'a-t-elle dit, me demandant de préciser mon propos. Sur le site web de l'institution, l'énoncé de mission précise que «le Théâtre d'Aujourd'hui est un théâtre d'auteurs où le texte dramatique constitue à la fois le point de départ et le centre des projets artistiques. Le Théâtre d'Aujourd'hui se consacre exclusivement à la création, la production et la diffusion de la dramaturgie québécoise et canadienne d'expression française

Petit résumé de notre échange en 4 idées-force, sous forme de dialogue. C'est un peu long pour un blogue, mais je suis certain que vous lirez jusqu'au bout. Vous me direz ce que vous en pensez.

1. DES AUTEURS QUI N'EN SONT PAS TOUT À FAIT

Parathéâtre: À mon avis, la première partie de l'énoncé n'est pas totalement respectée cette année. Peut-on dire que le spectacle de Manon Lussier, Un suaire en saran wrap,  trouve son point de départ dans le texte? Il s'agit plutôt d'un projet de création solo bâti par improvisations sur le plateau et dans lequel le texte n'est pas nécessairement à l'origine des autres éléments scéniques. La comédienne, du moins, me disait en entrevue ne pas se considérer comme une auteure. On pourrait dire la même chose du Théâtre du Sous-Marin Jaune, qui propose une adaptation des essais de Montaigne crée spécialement pour ce spectacle de marionnettes. N'est-il pas important que le seul lieu se consacrant à un véritable théâtre d'auteurs ne perde pas de vue l'idée que le texte soit au centre des productions d'une saison ?

Marie Thérèse Fortin : Au moment de sélectionner ces deux projets, j'ai bel et bien lu de véritables textes dramatiques et reconnu des voix d'auteurs. C'est une question de perception. Le Théâtre d'Aujourd'hui est ancré dans son époque et suit les mutations de la forme dramatique, qui est de plus en plus rarement le fruit du travail d'un auteur en solo et se conjugue de plus en plus avec le travail de répétitions. N'est-ce pas ainsi que travaille Wajdi Mouawad, dont on ne remet pourtant pas en question la qualité des textes ?

2. MENER LA DRAMATURGIE QUÉBÉCOISE VERS LE HAUT

Parathéâtre: Rien n'indique dans l'énoncé de mission que le Théâtre d'Aujourd'hui doit se consacrer aux auteurs les plus influents ou à ceux qui propulsent la création dramatique québécoise vers les plus hauts sommets. Mais dans mon interprétation de la chose, on ne se consacre pas à la dramaturgie québécoise sans avoir le souci de la remettre en question et de favoriser son élévation. Il ne s'agit pas là d'une attaque en règle contre les auteurs de cette saison, qui font tous un travail honnête et sensible, mais je constate que les auteurs les plus soucieux de renouveler la forme dramatique ne sont pas créés au Théâtre d'Aujourd'hui cette année, à quelques exceptions près.

Marie-Thérèse Fortin: On ne peut pas tous faire du théâtre d'avant-garde. J'ai le souci de donner la parole à des artistes dont je respecte le travail et dont l'écriture m'apparaît de grande qualité, comme Robert Claing, Lise Vaillancourt et Jennifer Tremblay, dont vous ne pouvez pas juger le travail avant d'avoir lu leurs textes. Je crois aussi que la mission du Théâtre est de donner un nouveau souffle au répertoire québécois. C'est ce que je fais avec la comédie musicale Belles-Sœurs cette année. Je sais que ce projet ne plaira pas à tout le monde, qu'on remettra en question la nature artistique de ce choix et qu'on m'accusera de répondre plutôt à des exigences de commercialisation. Mais je crois profondément que ce spectacle fera découvrir cette œuvre-phare de notre dramaturgie à un tout nouveau public, plus jeune, qui ne connaît malheureusement rien de notre histoire théâtrale.

3.  LA DIASPORA DES AUTEURS QUÉBÉCOIS

Marie-Thérèse Fortin : Je trouve que votre commentaire ne prend pas en considération une tonne de facteurs inhérents au travail de directeur artistique et aux contraintes imposées à une institution comme le Théâtre d'Aujourd'hui. Il y a des spectacles, comme le nouveau texte de Wajdi Mouawad que vous citez dans votre billet (Ciels), qu'il n'est tout simplement pas possible de présenter pour des raisons techniques et financières. Et puis croyez-vous que je ne suis pas en dialogue constant avec la plupart des auteurs québécois et que je ne garde pas un œil sur l'ensemble de la création? Il y a des textes, comme la plus récente pièce de Sébastien Harrison, que j'ai reçue et que j'ai réorientée vers le Théâtre Jean Duceppe parce que je considérais qu'elle y correspondait mieux. Je ne parle pas à tout le monde, mais je suis en contact avec plusieurs autres directeurs artistiques et nous travaillons souvent de pair. Tous les textes québécois ne sont pas destinés au Théâtre d'Aujourd'hui.

Parathéâtre : Certes. Il ne fallait pas prendre mon commentaire pour ce qu'il n'est pas – il s'agit d'un regard porté sur une seule saison, et qui ne doit pas nécessairement être projeté sur les saisons antérieures ou futures. Mais n'est-il pas du devoir de l'institution de récupérer les textes et les auteurs les plus intéressants même si les autres théâtres s'y intéressent? Ne faudrait-il pas insister pour que le Théâtre d'Aujourd'hui demeure le lieu de l'excellence de la dramaturgie québécoise, le reflet de ce qui se fait de mieux chez nous, le théâtre où l'on se rendrait en premier lieu pour découvrir des textes québécois? Cette année, on est plutôt portés vers La Chapelle, le TNM ou l'Espace Libre. Prenons un exemple précis. L'Affiche, spectacle de Philippe Ducros, ce jeune auteur dont on vante partout les mérites et dont le texte fera grand bruit, sera présenté à l'Espace Libre. Il y a pourtant là un texte de qualité, centré sur la parole d'un auteur, et qu'on aurait pu s'attendre à retrouver au Théâtre d'Aujourd'hui.

Marie-Thérèse Fortin: Il y a des propos qu'en tant que directrice artistique je ne peux pas assumer. Je considère que mon rôle doit aller jusque là, et la pièce de Philippe Ducros traite d'une réalité complexe, le conflit israélo-palestinien, à travers une prise de position que je ne suis pas capable d'endosser.

Parathéâtre: Vraiment? Le rôle d'un directeur artistique n'est-il pas plutôt de militer pour la liberté de prise de parole des artistes et de permettre l'expression de plusieurs discours lorsqu'ils sont portés par une démarche artistique forte? Vous croyez que les spectateurs interprètent que les prises de position des auteurs sont nécessairement celles des directeurs artistiques qui les ont programmés ? C'est un peu fort.

Marie-Thérèse Fortin : Vous seriez surpris de voir à quel point la plupart des gens font ce lien entre le propos d'une pièce et l'institution qui la présente. Je crois vraiment que mes choix en tant que directrice artistique ne sont pas dissociés de mon rôle de citoyenne et de l'inscription du Théâtre d'Aujourd'hui dans sa société.

4. LA QUESTION DU PUBLIC

Marie-Thérèse Fortin: Il ne faut pas négliger la question du public, le dialogue que nous tentons d'entretenir avec notre public.

Parathéâtre: C'est une question très complexe. Doit-on, en effet, toujours s'adresser à un public précis? J'ai tendance à croire, de façon peut-être bien naïve, que les artistes les plus intéressants sont ceux qui créent en toute liberté, sans craindre que le public ne les suive pas, sans prendre le public pour des imbéciles et sans se censurer. Vous programmez vous-mêmes les spectacles de Christian Lapointe, qui est à mon avis ce genre d'artiste déterminé à créer sans réduire son propos ou son esthétique à ce qu'il sait que le public veut voir. Il gagne d'ailleurs toujours de plus en plus d'adeptes et d'estime. Il s'est engagé dans une démarche à long terme, et même si ses salles ne sont pas pleines, il est de plus en plus incontournable. Non ?

Marie-Thérèse Fortin : Effectivement, j'accueille toujours Christian Lapointe avec joie, mais je ne vous cacherai pas que je suis moi-même très ambivalente face à son travail. Le Théâtre d'Aujourd'hui ne peut pas se consacrer totalement à ce genre de créations. Christian Lapointe me trouble et je suis toujours secouée par ses spectacles, que je suis loin d'être certaine d'aimer. Et, très honnêtement, je ne suis pas certaine que cette posture d'artiste affranchi et libre pourra perdurer. Combien de temps restera-t-il dans cet état d'esprit? Je ne sais pas. Je dois me soucier de développement de public, car la posture contraire n'est pas viable. Mais c'est effectivement une question complexe, qui dépasse notre propos actuel.

Parathéâtre : Effectivement. On y reviendra une prochaine fois, peut-être…