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L’Affiche: Droit de réplique à la polémiste juive Ghila Sroka

Dans ma boîte courriel hier matin, un court message de la polémiste
juive Ghila Sroka, m'invitant à la contacter pour discuter de mon dernier
billet. Ghila Sroka est d'origine israélienne, installée à Montréal depuis plus
de 25 ans, fondatrice et directrice du magazine La Tribune Juive, polémiste et
militante connue pour sa défense acharnée des communautés juives mais également
de toutes les minorités culturelles (y compris les Palestiniens), ainsi que
pour sa lutte contre l'antisémitisme dans la société québécoise. À la table
ronde sur le spectacle L'Affiche, elle a pris parole pour dénoncer le
parti-pris des intervenants invités, tous pro-palestiniens, comme le sont d'ailleurs
de toute évidence l'auteur Philippe Ducros et le documentariste Hugo Latulippe qui animait la discussion.
En lisant mon billet d'il y a deux jours sur ce blogue, elle s'est aussi dite «insultée»
de voir que j'évoquais la table ronde sans mentionner son énergique
intervention et le manque d'équilibre des points de vue représentés.

Or, ai-je précisé à Madame Sroka, mon billet n'était pas un
compte-rendu journalistique de la table ronde, mais bien une réflexion
personnelle sur le spectacle et l'engagement politique de Philippe Ducros,
lequel mène à d'heureuses initiatives comme cette table ronde que j'ai jugée
fort intéressante. Oui, très intéressante, car j'y ai appris, comme bien d'autres
sans doute, beaucoup de choses, même si le point de vue israélien n'y était pas
représenté. «Mais quand on fait une table ronde sur un sujet, réplique Sroka, on
s'assure d'inviter des gens qui représentent les deux parties. Sinon ce n'est
pas une table ronde, c'est un monologue. Je ne comprends pas pourquoi vous ne l'avez
pas mentionné, vous avez fait comme si tout était bien dans cette table ronde
et comme si tout s'était passé dans les règles.» «Bien sûr, ai-je encore
précisé, on invite les deux parties quand on est journaliste et qu'on veut
couvrir le plus objectivement possible un sujet, ou quand on organise une table
ronde à l'université. Mais Philippe Ducros est un artiste qui prend position
par rapport à un sujet politique, et s'il organise une table ronde dans le théâtre
qui accueille son spectacle, il a tout le loisir de choisir des intervenants
qui correspondent à ses propres idées sur la question, s'ils sont en mesure de
faciliter la compréhension des enjeux de la pièce et d'aborder des questions pertinentes
à débattre. Philippe Ducros et la direction de l'Espace Libre ne sont en rien
tenus de refléter la diversité des points de vue dans le choix de leurs
intervenants – ils ne sont pas journalistes. Dans la salle, les spectateurs
étaient certainement en mesure de faire preuve de sens critique.»

Ghila Sroka et moi garderons notre petit différend sur cette
question, mais il est vrai que son intervention pendant la table ronde a été
rapidement écartée, alors qu'elle exprimait un point de vue légitime. J'ai été
mal à l'aise, moi aussi, de voir le président d'Aide Médicale pour la Palestine,
Edmond Omran, faire d'impatients gestes de la main pendant l'intervention de
Madame Sroka, comme pour la faire taire. Je lui donne donc ici un espace pour
préciser quelques points de sa pensée:

  1. «Bruce
    Katz, fondateur de Palestiniens et Juifs Unis pour la Paix, a dit que l'État d'Israël ne doit pas parler au nom de tous les Juifs.
    Mais la vérité c'est que l'Etat d'Israel ne parle pas au nom de tous les
    juifs, il ne parle même pas au nom de tous les Israéliens. Les juifs de la
    diaspora, comme Bruce Katz, ne représentent pas Israel et Israel ne
    réprésente pas les Juifs de la diaspora – et je ne vois pas en quoi les
    Juifs de la Diaspora peuvent se permettre de dicter la marche à suivre à
    Israel. Israël ne doit parler qu'au nom des Israeliens qui y vivent. D'ailleurs
    pour pouvoir voter en Israël il faut absolument être sur les lieux, on ne
    peut pas comme en France voter à distance avec son passeport. J'estime, et
    c'est mon point de vue très personnel, que les Palestiniens doivent parler
    pour eux, et que les Israéliens doivent parler pour eux. On ne doit pas s'ingérer
    là-dedans.»
  1. «Bruce
    Katz appelait au boycott des produits israeliens par les Québécois. Mais
    ce qu'il ne dit pas, c'est que si on pratique le boycott, on privera de
    revenus près de 30 0000 Palestiniens qui sont régulièrement employés en
    Israël. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le président de la Fédération
    des syndicats des travailleurs palestiniens, dans un texte qui vient de
    paraître.»
  1. «Le
    conflit israélo-palestinien n'est pas un conflit si important dans le
    monde. Il faut parler de ce qui se passe en Afrique et en Haïti, et même,
    d'abord, de ce qui se passe ici. Aux funérailles de Gilles Carle en fin de
    semaine, je parlais avec des Amérindiens à qui j'ai raconté comment s'est
    passé cette table ronde, et certains ont manifesté une inquiétude de voir des
    Québécois occupés à défendre la Palestine au lieu se préoccuper de
    leurs propres discriminations envers les communautés amérindiennes. Je me
    dis aussi qu'on devrait faire plus pour les Amérindiens, mais si j'avais
    le culot d'écrire que le peuple canadien occupe les terres des Amérindiens
    depuis 400 ans, je vous prie de croire qu'il faudrait que je fasse mes valises
    et que je quitte le Québec illico. Je peux dire en tout cas que je rêve du
    jour où Philippe Ducros fera une pièce sur les Amérindiens. Mais ne vous
    méprenez pas, j'ai trouvé sa pièce de théâtre absolument magnifique, et je
    vois bien que c'est un jeune homme très intelligent dont je respecte les
    opinions et la liberté de parole. Je l'ai d'ailleurs invité à s'exprimer
    dans les pages de La Tribune Juive

 Qu'en pensez-vous ?

 

Photos tirées de la pièce L'Affiche, mise en scène de Philippe Ducros. Crédit: Frédérico Ciminari