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30e d’Espace Go: Lise Vaillancourt s’en mêle

Lise  Vaillancourt,
auteure dramatique et actuelle présidente du CEAD, s'est sentie interpellée par
mon désarroi devant l'absence de débat autour de la controverse du 30e
anniversaire d'Espace GO
. Dans l'histoire de cette institution, elle a joué un
rôle très important et désire maintenant ajouter sa voix à celle de Pol
Pelletier et raconter sa perception des événements. Elle affirme aussi qu'Espace
GO ne poursuit pas réellement la mission du Théâtre Expérimental des Femmes, même si la compagnie doit en
préserver l'héritage. Je vous invite à lire au complet la lettre qu'elle vous
adresse aujourd'hui. Elle me dit aussi : «Suite à cette controverse, Carole
Fréchette et moi avons décidé de créer un groupe de réflexion formé d'auteurs
de théâtre afin de débattre entre nous et occuper l'espace public de façon plus
soutenue sur les sujets qui nous préoccupent.
» Voilà qui devient très
intéressant. Il faudra suivre ça de près.

 

21 janvier 2010. Sur
le site web de VOIR, je tombe sur une photo de Pol Pelletier. En ouverture d'un
texte qu'elle a fait parvenir au journal, je lis le mot disparition.
Disparition est un mot qui me fait trembler. Je poursuis ma lecture. Pol
dénonce une fraude intellectuelle grave. Une lettre incendiaire. Pol Pelletier
brûle. Comme d'autres acteurs vont chez leurs agents. Ou à une audition pour
une pub. Pol brûle. Elle parle de Go. Le 30ième anniversaire de Go
est une fraude. Elle parle du 20ième anniversaire de Go. Mais où a
t-elle pris ça? J'ai fondé Go en 1985, rue Clark. Je vais voir sur le web.
Tombe sur ces mots : « Les filles du TEF, demi-sous-sol, la Manufacture
sur Clark. » Oh non! Il va falloir que je fasse une lettre à mon tour. Et moi
qui suis en train d'écrire ma nouvelle pièce. Je rage un moment contre les
sites web qui sont des dérivés de plans de marketing, donc des bouffeurs
d'histoire. Bon, je plonge! Je vais aller chercher ce morceau d'histoire dans
la mer. J'écris ce mot : GO. Ce nom est né de notre jeu de Go auquel nous
nous adonnions parfois, Ginette Noiseux et moi. Un jeu de dames version
japonaise.

Dans
l'histoire du TEF et de l'Espace Go, je fais partie de cette période de
mutation qui se situe entre le moment où nous quittons la Maison Beaujeu au 320
est rue Notre-Dame, et fondons l'Espace Go au 5066 rue Clark. La période de
directorat que j'ai assumé se situe entre 1982 et 1987.

1982-1985

J'arrive
au TEF en juin 1982. Pol Pelletier et Louise Laprade sont encore à la barre.
Nicole Lecavalier vient à peine de quitter. La jeune star de la scénographie de
l'époque, Ginette Noiseux, a joint l'équipe de direction six mois auparavant
durant la production de la magnifique pièce de Jovette Marchessault, La terre est trop courte, Violette Leduc.
Je forme avec Ginette, ce qu'on appellera dans le milieu, la relève de cette
jeune compagnie.

Dès
mon entrée, Pol Pelletier me donne carte blanche pour écrire le premier
spectacle de la saison. J'accepte avec enthousiasme. Au Théâtre Expérimental
des Femmes, le mot d'ordre est de mettre au monde de nouveaux personnages
féminins. Je crée deux personnages de baleines; une grande baleine bleue à
bosse inspirée d'Argan dans Le malade
imaginaire
de Molière et une jeune baleine noire inspirée de Antigone d'Anouilh. C'est avec ces deux
personnages que j'entame l'écriture de Ballade
pour trois baleine
s. Deux baleines se jettent sur le rivage pour mourir,
mais finissent par rouler jusque sous la table d'un bar pour parler. Cette
histoire est racontée par un choeur de 3 ouvrières. Au premier acte, les deux
baleines s'affrontent sur le sens de la vie en buvant des bières. Au deuxième
acte, la fille punkée de l'oracle
vient annoncer la remise à l'eau de la jeune baleine noire par l'équipe
Cousteau. Pol conçoit une mise en scène entre la comédie musicale à trois sous
et la bande dessinée. Ginette, vêtue de noir, debout derrière un plastique
tendu en guise de toile de fond, peint tous les soirs, en direct, des vagues au
rythme des répliques.  Les gens du public
sont assis sur des pliants de plage et moi qui avait cru écrire un grand rôle
pour des actrices que j'admirais telle Patricia Nolin, je finis par jouer cette
baleine, par défaut. En effet à chaque fois que Pol
téléphonait à une comédienne pour lui offrir de jouer une baleine à
bosse, elle se cognait à des silences extrêmement longs et malaisés. Je joue
donc Victoire de la Catastrophe, vêtue d'une robe fourreau, d'un boa à plumes
et de palmes aux pieds. Je partage la scène avec, entre autres, Alice Ronfard
qui, à cette époque, roule des fils électriques au TEF. C'est durant les
représentations de cette comédie loufoque créée le 2 novembre 1982 que je me
joins à la direction artistique.

Entre
les productions, on s'échine dans les ateliers de recherche de Pol sur le jeu;
on mange tous les soirs à la Charade, un resto voisin de notre théâtre, en
arrosant généreusement de vin nos questionnements. Pol pose essentiellement la
question d'une femme sur scène.  Moi qui
suis auteure, je pose évidemment la question de la femme comme sujet dans une
pièce. À cette époque, nous ne nous défonçons pas avec de la coke, mais avec
des exercices de Grotowski – exercices physiques extrêmement éprouvants conçus
pour des acteurs – et des enchaînements de karaté. À mes yeux, nous formons un
quatuor du tonnerre : Pol est metteure en scène, Ginette est scénographe,
Louise est actrice et moi, auteure dramatique.

Fin
de la saison 1982-1983. Nous décidons de quitter la Maison Beaujeu, ce lieu
mythique qui a abrité deux théâtres; le Théâtre Expérimental de Montréal et le
Théâtre Expérimental des Femmes. Pour Ginette et moi, ce lieu appartient aux
fondatrices. Nous avons besoin de déménager pour trouver notre propre lieu. Nous
parlons étude de gestion et plan triennal depuis un an ce qui est un langage
complètement étranger aux fondatrices. Louise Laprade quitte la direction. De
son côté, Pol dit y avoir épuisé toutes les possibilités de mise ne scène, mais
reste à la direction. De 1983 à 1985, la compagnie devient itinérante.

1983-1985

Durant
ces deux années d'itinérance, nous organisons notamment le 3ième
Festival de création de femmes sur l'écriture dramatique pour encourager et
soutenir l'écriture des femmes auteures qui étaient en si petit nombre à cette
époque que nous devrons faire un appel à toutes et ce, à travers tout le
Canada, pour arriver à programmer 6 pièces de théâtre. En 1984, nous produisons
ma pièce Marie-Antoine, opus 1 à la
salle Fred Barry, en hiver, durant une grève d'autobus. L'enfer. Mai 1985,
départ officiel de Pol. Ginette et moi nous retrouvons maintenant seules à la
barre – à cette époque, nous étions seule au pluriel. Nous engageons pour la
première fois dans cette compagnie une administratrice qui aura comme mandat de
nous trouver des salaires – fini le bénévolat – et un théâtre.

1985-1987

Jeannette
Laquerre, la toute première administratrice de la compagnie, nous trouve une
ancienne manufacture, rue Clark. Une petit lieu, un espace ouvert, parfait pour
recevoir une centaine de personnes au rez-de-chaussée. Dans la cave, nous aménagerons
notre bureau et une salle d'essai qui pourra recevoir 60 spectateurs. C'est la
joie!

À cette époque, je suis interpellée par la multidisci­pli­narité et
la performance. Mes amies sont les romancières et performeuses Pauline Harvey
et Geneviève Letarte, Le milieu underground
est extrêmement foisonnant et stimulant. C'est à cette époque que je découvre
la formation musicale Wonder Brass, les toiles de Gigi Perron, Christine
Lajeunesse, Josette Trépanier, les performances de Nathalie Derome et de Sylvie
Laliberté. C'est à cette époque aussi que je vais voir un spectacle de Marie
Chouinard, un des grands moments artistiques de cette décennie. Rapidement,
mon projet théâtral est d'ouvrir la porte aux autres arts. C'est au contact des
artistes visuels, des performer et
des poètes que mon écriture et mon idée du théâtre va se nourrir et grandir.

Nous
nommons le lieu : GO. Seulement GO avec deux voyelles majuscules. GO
devient un lieu de diffusion multidisciplinaire et le lieu de nos créations
théâtrales. Nous prévoyons même faire 
des co-productions. C'est ainsi que GO co-produira avec Nathalie Derome,
son spectacle La paresse. Nous gardons TEF pour démarquer nos créations maison
des nombreuses productions qui seront présentées dans ce théâtre.

Durant
cette première année, nous préparons le 4ième Festival de création
de femmes. Pour ce faire, nous réunissons une dizaine de femmes de tous les
milieux, journalistes, chorégraphes, romancières pour échanger sur le sujet de
ce prochain Festival. Je lance une question : Nos rêves les plus fous?
Pauline Harvey rebondit avec : Une ville, une femme, la nuit. Francine
Pelletier renchérit sur le thème de l'érotisme. Deena Davida propose
d'exploiter à fond la notion de voyeurisme inhérent à notre métier et de
concevoir l'espace en s'inspirant du peep-show. Le fond et la forme sont
trouvés. Nous réunissons 100 femmes artistes de toutes les disciplines autour
du thème de l'érotisme.

L'ouverture
officielle de GO a lieu le 1ier mars 1986 avec ce 4ième  festival de création de
femmes.
Pour l'occasion, toutes les artistes occuperont l'espace en même
temps dans tous les coins et recoins du théâtre durant 4 jours. L'espace est
conçue par Ginette qui crée plusieurs petits lieux clos avec des rideaux de
théâtre. Chaque petit lieu peut recevoir de un à 6 spectateurs pour une
performeuse et, des espaces ouverts pour la peinture en direct, des
installations ou d'autres performances à vue comme Ma cabane érotique au Canada
de et avec Sylvie Laliberté. Je fais la mise en scène de la soirée d'ouverture,
qui réunit des écrivaines, des actrices et des musiciennes. C'est ainsi qu'on
entendra des textes écrits pour l'occasion de France Théorêt, Louise
Desjardins, Suzanne Jacob, Hélène Pedneault, Louky Bersianik ou Nicole Brossard
dits par les Danielle Proulx, Johanne Fontaine, Louise Laprade, Julie Vincent,
Markita Boies et bien d'autres. La musique de la soirée est conçue et jouée par
les neuf musiciennes de Wonde Brass.

Le
Festival se clôt avec La Soirée des murmures, un événement multi-média de 21
installations rassemblant 45 artistes qui performent dans l'espace toutes en
même temps… en murmurant. , Des numéros de dix minutes qui se répètent toute
la soirée devant un public qui lui, déambule librement dans l'espace, d'un lieu
clos à un autre comme dans une foire. Les deux étages sont occupés au grand
complet, incluant les toilettes et notre garage. Durant cet événement, pas
moins de 300 personnes par soir circuleront dans un théâtre de cent places. Un
coup d'envoi magistral.

La
Soirée des murmures sera reprise l'année suivante dans la même période pour
inaugurer la deuxième édition du Festival de théâtre des Amériques en mai1987.

1987-1990

1987, je quitte la direction,
mais continue de siéger au conseil d'administration. De 1987 à 1989, Ginette,
maintenant seule à la barre, désire s'approprier les grands textes classiques.
C'est ainsi qu'elle produira La Tempête
de Shakespeare et L'Annonce faire à Marie
de Claudel, deux spectacles mis en scène magistralement par Alice Ronfard.
Durant cette même période, j'écris Billy
Strauss
. La production de cette pièce, présentée en avril 1990, clôt cette
décennie et trace une frontière très nette qui va créer un avant et un après.
Mai 1990, je quitte ce théâtre qui m'a tant inspiré et que j'ai nourri à mon
tour de 3 pièces. Je retourne à l'écriture en solitaire comme une baleine
retourne à la mer.

Il y a eu le T.E.F fondé en
1979 par un collectif d'actrices, un théâtre né d'une révolte et d'une rupture.
Puis, il y a eu la relève du T.E.F.  qui
arrive à la fin de la création collective et va fonder Go. Le projet
fondamental du TEF était : l'exploration de l'imaginaire féminin. C'est ce
qui s'est poursuivi dans ce premier lieu du théâtre GO .

1990, Go devient Espace Go,
le projet exclusif de Ginette Noiseux. Ce nouveau théâtre se veut dorénavant
une fenêtre ouverte sur l'écriture contemporaine et les textes classiques.
L'actuel Espace Go sera inauguré en janvier 1995, rue Saint-Laurent.

Le
féminisme

Les
acquis du féminisme sont fondamentaux comme toute révolution. Le mouvement
féministe a marqué l'histoire de notre communauté. L'égalité entre les hommes
et les femmes fait partie aujourd'hui des valeurs si chères à la société
québécoise au même titre que la démocratie. C'est une conséquence directe des
luttes féministes. Le féminisme appartient donc aujourd'hui, aux hommes et aux
femmes de la société québécoise. Le TEF y a contribué par son aventure
artistique et intellectuelle sans précédent. Le TEF appartient au domaine
public.

Une histoire aussi formidable n'a pas à retourner aux
fondatrices ou à se refermer sur notre milieu théâtral. Toute cette histoire
doit retourner à la société qui l'a vue naître. Tout ça appartient au domaine
public. Ceci dit, je ne vois pas pourquoi l'actuelle directrice de l'Espace Go
tente de faire des liens compliqués entre ses spectacles et le T.E.F. notamment
avec Sextett. Le seul lien entre Espace Go et le T.E.F., c'est que l'Espace Go
est devenu le gardien de l'histoire du T.E.F. Pour cette raison, il a la
responsabilité de la conserver le plus fidèlement possible de sorte que la
publicité sur une page web  puisse
refléter clairement l'esprit qui animait ce théâtre à l'origine. Pour la suite
du monde. Pour que le 30ième ne se réduise pas à une guerre de
chiffres.

 

Crédit photo: Rolline Laporte