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JERK: du sang et du sexe

Sur ce blogue, je me suis imposé une règle. C'est paradoxal,
car ce blogue est précisément pour moi un espace de liberté. Mais la nature
humaine ayant besoin de s'encadrer de contraintes pour prendre son envol, je me
suis promis de ne pas faire ici de véritables critiques de spectacles,
sauf pendant les festivals. Une manière de signifier que la critique à la pièce, c'est l'affaire du journal papier, et que tout le reste,
les prises de positions, les réflexions plus larges, l'accueil de lettres ouvertes
et de paroles engagées, la critique des institutions et de l'écologie du milieu
théâtral, la critique de la critique, bref tout ce qui ne se fait pas dans le
journal papier pour différentes raisons, est l'affaire de mon blogue. Nous ne
sommes pas en plein festival de théâtre, mais je vais faire une exception à ma
règle pour vous parler de JERK, à l'affiche de La Chapelle jusqu'à samedi. Vous
saurez me pardonner j'espère.

 

     

Jerk est un spectacle tout simple, en fait. Mais de cette
apparente simplicité jaillit tout un monde. Une chaise. Un acteur ventriloque
(prodigieux Jonathan Capdeviele). Et des marionnettes. De celles qu'on enfile
comme un gant. Des peluches, au fond, sans mécanisme complexe, sans
articulations, sans fils et sans rien du tout. Des marionnnettes à gaine, représentations
molles et inanimées de corps humains à têtes d'animaux, utilisées pour raconter
des histoires de meurtres en série. Des meurtres réels, perpétrés aux Etats-Unis
par le tueur en série Dean Corll et deux adolescents nommés David Brooks et
Wayne Henley. C'est David qui est là, sur la chaise, en prison, et qui fait
revivre sans cesse ces horribles histoires où s'entremêlent meurtres, tortures,
sexe, sang et fascination pour les personnages de télé américains. Déjà, le
mélange est dérangeant. Les descriptions des meurtres, nés de la plume de
Dennis Cooper, sont gores, explicites, abjectes. Tout à fait dans le bon ton,
dans les règles du genre. Avec le suspense qu'il faut. Mais l'expérience de
spectateur se trouve ailleurs. L'horreur, même sans être grossièrement
soulignée, est démultipliée dans le corps de David, où se rejoignent tout à la
fois les espaces mentaux dérangés du tueur, de ses deux jeunes acolytes et de
leurs victimes.Un vertigineux jeu d'aller-retour entre pulsions de vie et
pulsions de mort, dans une seule et même tête et un seul corps. De plus en plus
ébranlé par l'exercice, du moins c'est ce qu'il veut bien nous faire croire,
David embrasse l'angoisse et pénètre au plus profond de l'horreur dans une incroyable
scène de ventriloquie, macabre et dégoulinante à souhait. Le jeu de Jonathan
Capdeviele donne l'illusion de réel et d'immédiateté tout en soulignant la
distance; il y a ce je ne sais quoi de décalé dans son regard, évoquant
doucement la folie, l'effroi et le pathétique, mais également l'ironie et la
défiance. Jerk va bien au-delà du gore, dans des zones mystérieuses et troubles
de l'humanité. Et comme on n'a pas souvent la chance de visiter ces
territtoires-là sur les scènes québécoises, je ne saurais trop vous encourager à
faire un petit tour à La Chapelle.

Voilà. Mise en scène de Gisèle Vienne. Production DACM (France).
À l'affiche jusqu'à samedi 20 février. Vous pouvez lire aussi les
critiques d'Alexandre Cadieux (Le Devoir) et Alexandre Vigneault (La Presse).

 

Photo couleur: Alain Monot

Photo noir et blanc: Mathilde Darel