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La critique n’existe pas, ou la ténacité d’un mythe

La critique de théâtre : quel engagement pour quel milieu? C'est la question qu'a posée Sylvain Schryburt à des critiques et des artistes lors d'une table ronde à Ottawa le 11 février dernier (je sais, je suis en retard, et pas très assidu sur le blogue ces jours-ci. Pardon).

Brigitte Haentjens, avec la verve qu'on lui connaît, a lancé tout de go la phrase incendiaire : «Il n'y a pas de critique sérieuse à Montréal. Personne n'est assez crédible en ce moment chez les critiques de théâtre; il n'y a pas d'interlocuteur valable.»

Le refrain est connu. Olivier Choinière l'a entonné récemment dans une lettre ouverte adressée aux critiques montréalais, et Evelyne de la Chenelière le martèle régulièrement dans ses différentes prises de position. Ils ne sont d'ailleurs pas seuls, même si les autres sont plus discrets. Dans les corridors de l'université, que je fréquente encore sporadiquement, on entend aussi constamment la même chanson. Il y a du vrai dans cette litanie. Il est vrai que trop de médias n'accordent pas à la critique la place qui lui revient et ne choisissent pas leurs critiques avec beaucoup de soins. Il est vrai aussi que depuis Robert Lévesque, trop peu de critiques ont exercé assez longtemps dans les médias de masse pour installer un réel dialogue avec leurs lecteurs et avec les artistes. On pourrait quand même nommer Hervé Guay, qui a quitté Le Devoir récemment, et mon collègue Christian St-Pierre, qui exerce depuis maintenant dix ans, comme d'ailleurs Marie Labrecque au Devoir, qui fait partie du paysage depuis plus longtemps encore. Brigitte Haentjens n'en a pas fait la distinction, mais au fond elle n'a pas tort, car de manière générale, les critiques sont devenus interchangeables et le souci de longévité disparaît. C'est encore pire à la radio et à la télé, mais il faudrait en faire un débat distinct tellement la situation de la critique y est désastreuse.

Or, en posant la question de l'engagement du critique, c'est cette faille-là que la table ronde mettait en lumière. Les critiques abandonnent la partie pour différentes raisons. Soit ils n'en peuvent plus du rythme de vie que cela leur impose (aller voir des spectacles tous les soirs), soit ils s'aperçoivent qu'ils n'ont jamais eu la passion nécessaire à l'exercice de la critique, soit ils sont mutés par leur rédacteur en chef dans une autre section de leur journal, soit ils ne sont tout simplement pas prêts à s'engager, à développer avec la discipline qu'ils ont choisie une relation à long terme. S'engager, ça veut dire emprunter des chemins exigeants, ne jamais laisser sa curiosité diminuer, lire et dévorer tout ce qui passe, ne jamais refuser le dialogue et la réflexion, et surtout, se battre pour contrer le phénomène de disparition de la critique dans les médias, au lieu de s'y soumettre en pleurant sur son sort.

Cet engagement-là existe-t-il quelque part dans l'horizon de la critique de théâtre au Québec? Oui, même s'il se fait discret. Robert Lévesque lui-même pourrait maintenant vous le dire, car il l'a bien constaté en orchestrant un laboratoire de réflexion sur la critique auquel je participe cette année à Ottawa. À écouter mes jeunes collègues, du moins, je sais que certains d'entre eux cherchent de nouvelles manières de manifester leur engagement et surtout, de décloisonner la critique, ou de la sortir de son cadre actuel, trop défini par les lois du marché. C'est une histoire à suivre…

Quoi qu'il en soit, il serait temps que l'on se mette à critiquer la critique de manière plus nuancée. Tout n'est pas merdique dans le travail des critiques de la presse écrite montréalaise, et il y a là des gens qui oeuvrent avec beaucoup de sérieux. C'est le message que désire en tout cas lancer l'Association québécoise des critiques de théâtre, qui se prépare à faire une sortie publique à ce sujet. D'ailleurs, l'association a une nouvelle page facebook très active, que je vous invite à visiter. On y lancera régulièrement des discussions sur les spectacles à l'affiche. Cliquez ici.

Qu'en pensez-vous? Que de la merde la critique montréalaise? Il faudrait faire quoi, à votre avis, pour que ça change?