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Pétrole : pourquoi le rail prend le relais des pipelines

Le système ferroviaire nord-américain transporte de plus en plus de pétrole brut. En ce moment, il s’en transporte 20 fois plus qu’il y a cinq ans. Depuis la tragédie de Lac-Mégantic, on s’est beaucoup penché sur la sécurité de ce mode de transport, mais beaucoup moins sur les conditions qui ont favorisé un tel essor du rail. Pourquoi le transport par rail a-t-il connu une telle croissance? Ce boom durera-t-il?

L’industrie pétrolière préfère le transport par pipeline. Mais deux facteurs jouent en faveur du rail. D’une part, la production pétrolière américaine se déplace vers de nouveaux gisements à l’avenir incertain, qui ne justifient pas les coûts de construction d’un pipeline. Et de l’autre, le pétrole de la mer du Nord s’épuise rapidement et le pétrole de schiste américain en est un bon substitut.

 

Bakken, la ruée vers l’or noir

La production pétrolière américaine est globalement en déclin depuis 1970. Mais l’explosion du prix du pétrole, en 2008, rend économiquement viable l’exploitation de gisements négligés jusque-là, parce que le pétrole y est difficile d’accès : les fameux schistes pétroliers. Au Québec, on a surtout entendu parler des schistes gaziers. Mais les schistes qui renferment du pétrole deviennent aussi l’objet de forages frénétiques depuis 2009-2010.

L’industrie américaine du pétrole connaît alors une forte croissance. La production totale, qui était d’à peine cinq millions de barils par jour en 2005, atteint 7,4 millions de barils en 2012. Et ce pétrole, il faut le transporter. Le système américain de transport par pipeline est vite saturé, d’autant plus que certaines des nouvelles régions productrices sont loin du réseau existant, en particulier le schiste de Bakken, au Dakota du Nord.

Le Dakota du Nord produisait environ 130 000 barils de pétrole par jour à la fin de 2007; en mai 2013, la production avait bondi à 800 000 barils. Comme la région n’est pas desservie par un pipeline, le rail reste le seul moyen d’exporter le pétrole vers les grandes raffineries du golfe du Mexique et de la côte Atlantique.

Au fait, que représentent au juste ces 800 000 barils? Le train qui a déraillé à Lac-Mégantic contenait environ 48 000 barils de brut. Il faut donc chaque jour plus de 16 convois de ce genre pour livrer le pétrole de Bakken, soit un départ lourdement chargé de brut toutes les 86 minutes.

Le transport par rail présente un grand avantage pour l’industrie pétrolière : il se rend partout et on peut facilement en augmenter la capacité. Par contre, le transport par rail coûte de 10 à 15 $ par baril, contre 5 $ pour le transport par pipeline. On a envisagé la construction d’un pipeline vers Bakken, mais le projet est presque abandonné, notamment parce que les puits de pétrole de la région s’épuisent à un rythme alarmant. La rentabilité du projet est donc très incertaine.

Cours comparatif du Brent et du WTI, 2006-2013. La bande verte représente l'écart entre les deux.

 

Le prix élevé du Brent

Il existe deux prix de référence dans le monde du pétrole : le West Texas Intermediate (WTI) qui s’applique au pétrole américain de densité moyenne et le Brent, qui s’applique au pétrole léger de la mer du Nord. Jusqu’en 2010, les deux prix étaient presque identiques, mais le déclin prononcé de la production en mer du Nord a provoqué une flambée du prix du Brent, qui se vend maintenant environ 15 $ de plus par baril que le WTI.

Il faut aussi savoir que les grandes raffineries du golfe du Mexique sont optimisées pour raffiner du pétrole américain moyen et lourd, tandis que celles de la côte Est, ne fonctionnent bien qu’avec du pétrole léger, qui arrivait traditionnellement par bateau. Ce produit étant devenu rare et cher, l’industrie s’est mise à la recherche de substituts meilleur marché. C’est ainsi que le pétrole du Bakken s’est mis à traverser le continent vers l’est – vers la raffinerie de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, dans le cas du train de Lac-Mégantic. Cette usine raffine 300 000 barils de pétrole par jour, soit l’équivalent d’environ 900 wagons de brut.

Le déclin rapide, depuis dix ans, du pétrole britannique et norvégien dans les importations canadiennes.

 

Et l’avenir?

L’avenir du pétrole de schiste américain reste incertain. Son exploitation est extrêmement coûteuse et, une fois foré, chaque puits s’épuise très rapidement, ce qui nuit à la rentabilité. On pense que la production de Bakken n’augmentera plus beaucoup et qu’elle pourrait retrouver d’ici 2020 son faible niveau de 2007. D’autres gisements de pétrole de schiste prendront peut-être la relève, mais exception faite des schistes de Eagle Ford, au Texas, les résultats sont décevants jusqu’ici.

Par ailleurs, la faiblesse de l’économie européenne a permis au prix du Brent de diminuer un peu. La différence de prix avec le WTI, qui atteignait 23 $ par baril en février dernier, est maintenant de l’ordre de 6 à 10 $ seulement. Le prix élevé du transport par train à travers le continent se justifie encore, mais il n’est pas dit que ce sera toujours le cas.

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Ceci constitue la première chronique de ce nouveau blogue. Je suis actuellement traducteur et rédacteur dans une firme de relations publiques, mais j’ai été journaliste pendant 15 ans, notamment pour l’Agence Science Presse et le magazine Québec Science.

J’ai un intérêt particulier pour les enjeux énergétiques, notamment ceux qui concernent la difficile transition vers une éventuelle économie verte. Mon approche de l’écologie ne cherche pas à culpabiliser ou à moraliser, mais à mieux comprendre la résistance structurelle au changement.