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L’essoufflement des réserves pétrolières mondiales

Combien de pétrole nous reste-t-il à exploiter, au juste? Jean Laherrère a récemment repris les calculs qu’il avait faits en 1998 pour « The End of Cheap Oil », un article de la revue Scientific American resté célèbre. Pour cet ingénieur pétrolier qui a travaillé 37 ans chez Total avant de devenir un consultant de réputation internationale, les chiffres sont clairs : les réserves s’épuisent rapidement. Dans à peine 30 ans, la production mondiale de pétrole aura déjà chuté de 40 %.

Ces résultats contredisent ceux des économistes, qui prédisent en général une croissance infinie. « Les économistes, explique Jean Laherrère, se fient seulement aux énoncés de réserves émis par le Oil & Gas Journal, l’EIA, la firme BP et l’OPEP, qui sont erronés; ils n’ont pas accès aux données techniques confidentielles. Les économistes qui négligent le pic pétrolier ne font pas d’erreur de calcul, mais ils calculent à partir des mauvaises données! »

Les statistiques gouvernementales, tout comme les énoncés financiers des entreprises pétrolières, se fondent sur les ressources récupérables probables, des données préliminaires qui sont souvent trop optimistes, ou gonflées pour faire saliver les actionnaires. Jean Laherrère, en raison de sa position privilégiée, a eu accès aux données confidentielles sur les réserves prouvées.

Il s’en est servi pour construire ce tableau. La courbe verte montre l’état des réserves prouvées et leur évolution en fonction de certaines grandes découvertes historiques. Les autres courbes montrent les réserves probables, selon les statistiques officielles : les réserves mondiales totales en rouge, celles des pays de l’OPEP en mauve et celles des producteurs non membres de l’OPEP en bleu.

Alors que les données gouvernementales montrent une rassurante progression, la courbe verte des réserves prouvées montre un déclin marqué depuis 1980. Les réserves mondiales ne dépasseraient plus les 800 Gb (milliards de barils), alors qu’il y en avait 2 200 Gb à l’origine. Nous aurons donc déjà brûlé près des deux tiers de notre pétrole. Comme nous le consommons au rythme de 26 Gb par année, les réserves actuelles représentent donc en principe que 30 ans de consommation.

En pratique, les nouvelles découvertes aident un peu. Mais les découvertes prouvées ne représentent que la moitié de la production. De plus, un puits de pétrole n’est pas comme une baignoire, qui se vide à vitesse constante. Il est plutôt comme une éponge imbibée, dont le liquide s’écoule de plus en plus lentement. Le débit d’un puits conventionnel diminue de 5 % par année en moyenne, de sorte que la production décline sans cesse, même quand il reste beaucoup de pétrole sous terre.

Le véritable enjeu consiste donc à maintenir le rythme de production malgré l’épuisement des réserves et la baisse de débit des puits existants. Et nous allons y échouer, selon Laherrère. La production mondiale totale (la ligne brune), qui plafonne depuis 2005 à environ 26 Gb par année, va bientôt se mettre à diminuer, pour n’atteindre que 15 Mb dans 30 ans et 7,5 Mb dans 50 ans. Même si l’ingénieur pétrolier ne s’avance pas sur ce point, on peut aussi s’attendre à une explosion du prix de l’or noir.

Il ne faut pas chercher de solution du côté du pétrole de schiste. En dépit des énormes ressources dont les médias font état, les ressources actuellement prouvées ne représentent guère que neuf mois de consommation mondiale. De plus, la recherche dans ce domaine a connu quelques échecs retentissants qui ont refroidi l’ardeur des pétrolières.

L’impact du pétrole lourd

Les chiffres de Laherrère ne tiennent toutefois pas compte du pétrole extralourd, notamment des sables bitumineux, dont il existe deux grands gisements dans le monde, l’un en Alberta (175 Gb) et l’autre au Venezuela (200 Gb). Ces ressources sont extrêmement coûteuses à exploiter et après des dizaines de milliards de dollars d’investissement, la production canadienne n’atteint que 1,8 million de barils par jour (soit environ 650 Mb par année). Quant aux sables vénézuéliens, ils sont enfouis à plus de 1 500 mètres de profondeur et il n’est pas évident que leur exploitation sera un jour rentable.

Ce pétrole extralourd est représenté sur quatre courbes à part, dont la plus importante est la noire, qui représente la production mondiale totale. Selon le consultant, celle-ci augmentera lentement jusqu’à atteindre environ 6 Gb par année, vers… 2070. Cette production s’ajoutera alors à environ 6 Gb de pétrole conventionnel (moyen et léger), pour un total de 12 Gb. Soit environ 60 % moins de pétrole qu’aujourd’hui – ou un retour au niveau de production de 1965.

La seule différence, c’est que nous étions 3,3 milliards en 1965. Nous serons au moins trois fois plus nombreux en 2070. Nos sociétés pourront-elles s’adapter à ce monde presque à sec? Que deviendront l’industrie et les transports? Le prix astronomique du pétrole restant tuera-t-il dans l’oeuf tout début de croissance économique, comme cela semble être le cas depuis 2008? On ne peut plus nier la réalité. Il faut maintenant s’y préparer… ou la subir, avec tout ce que cela implique.

 

Rapport  de Jean Laherrère  (technique, 39 pages en anglais) :

http://aspofrance.viabloga.com/files/JL_2013_oilgasprodforecasts.pdf