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L’inexorable déclin des grandes pétrolières

Les temps sont durs pour les cinq plus grandes entreprises pétrolières privées du monde. Bien que leurs rapports annuels promettent chaque année une croissance soutenue de la production pétrolière, force est de constater que le flot se tarit un peu plus chaque année. De 2004 à 2012, la production combinée de BP, Total, Chevron, Shell et Exxon a diminué de 25,8 % pour ce qui est du pétrole et de 15 % pour ce qui est du pétrole et du gaz ensemble.

Une partie de ce déclin rapide découle de la vente de la société russe TNK-BP, dont BP a été forcée de se départir en 2012. Cette liquidation lui a fait perdre d’un coup 40 % de sa production. Mais selon les données compilées par le quotidien Le Monde, la production pétrolière combinée de ces cinq grandes entreprises serait passée de 10,760 millions de barils par jour (Mb/j) en 2004 à seulement 7,981 Mb/j en 2012. Même en tenant compte d’une production accrue de gaz naturel, la production totale combinée des « cinq grands » chute en moyenne de 2,1 % par année depuis près d’une décennie.

Résultats par entreprise
ExxonMobil est l’entreprise qui a le moins souffert. Sa production n’a presque pas bougé, passant de 2,5 Mb/j en 1997 à 2,3 en 2011. Ce léger déclin a été plus que compensé par une forte hausse du côté du gaz naturel. Chez BP, la production de pétrole est passée d’un sommet de 2,6 Mb/j en 2005 à 2,2 en 2011 et le gaz a suivi la même tendance. La production de pétrole de Shell décline depuis 1999. Elle atteignait alors 2,5 Mb/j, contre seulement 1,5 Mb/j en 2011. Ce déclin est en partie masqué par une hausse très lente de la production de gaz. Chez Chevron, la production de pétrole a glissé de 1,5 Mb/j en 2004 à 1,2 en 2011. La hausse du côté du gaz n’a pas réussi à combler ce déclin.

Total et la tendance à l’excès d’optimisme
Le lent déclin de la firme française Total (et de ses composantes, Fina et ELF) est particulièrement bien documenté dans une étude récente de l’ingénieur pétrolier Jean Laherrère. La production de pétrole (en vert) aurait atteint son sommet à 1,7 Mb/j en 2004 avant de retomber à 1,3 Mb/j en 2012. La hausse rapide de la production de gaz naturel (en jour) n’a pas suffi pour combler cette perte et la production combinée (en noir) a aussi plafonné en 2004, connaissant un lent déclin par la suite.

Ce qui est intéressant, c’est que le tableau comporte aussi les diverses prévisions de production émises par Total de 1999 à 2012. On constate qu’elles promettent toutes une croissance importante, alors que les chiffres réels indiquent plutôt un déclin marqué. En 2005, Total promettait une croissance de 4 % par année à ses actionnaires; en 2006, elle parlait même de 5 %. L’entreprise a plutôt connu une baisse de production du même ordre.

Cet excès d’optimisme est monnaie courante dans l’industrie, note Laherrère : après tout, il ne faut pas effaroucher les actionnaires. Mais le phénomène donne une image faussée de l’état réel de l’industrie pétrolière. L’Agence internationale de l’énergie (IEA, en anglais) révise chaque année ses prévisions, depuis 2001. L’objectif reste sensiblement le même d’année en année, soit une production totale mondiale de 110 à 120 Mb/j, mais la date où cette cible sera atteinte est sans cesse repoussée.

L’industrie canadienne n’échappe pas à cette tendance. La ligne noire indique la production réelle de pétrole extrait des sables bitumineux jusqu’en 2012 (1,8 Mb/j) et, après cette date, elle représente une projection au rythme annuel de croissance moyen de 2000 à 2011. On voit que les prévisions de l’industrie (lignes colorées) sont toutes avérées beaucoup trop optimistes et qu’elles ne se sont jamais matérialisées.

Cette année encore, l’industrie nous promet des flots de pétrole et des prix à la baisse dans un avenir proche. Parions que ces belles promesses ne ralentiront pas le déclin des cinq « géants » du pétrole. Leur production combinée représentait 13,4 % du total mondial en 2004. Elle n’en représentait plus que 10 % en 2011, et il semble que cette part a encore diminué en 2012. L’avenir de l’industrie se joue ailleurs, dans de grandes entreprises nationalisées et dans de petites sociétés engagées à fond dans des jeux risqués d’exploration et de production de ressources marginales.

Sources :

Total Production by the Top Five Oil Majors Has Fallen by a Quarter Since 2004
IOC’s productions and forecasts: Why are forecasts always too optimistic?
International oil companies’ oil production peaked in 2004 and declined by 2.1 % pa