BloguesÉnergie et environnement

Pas une goutte de pétrole à Anticosti

Combien de pétrole a-t-on découvert à Anticosti, au juste? Si vous avez suivi l’actualité, vous me parlerez sans doute de 40 milliards de barils, dont 30 sur les lots attribués à Pétrolia. Vous me parlerez peut-être aussi des 400 milliards $ que cela doit rapporter, du problème des redevances, de la fracturation hydraulique….

Mieux vaut oublier tout cela. Parce qu’en réalité, aucun pétrole exploitable n’a formellement été découvert à Anticosti. Aucun. Pas une goutte. Tous les derniers forages de Pétrolia étaient secs. S’il y a du pétrole – et nous le verrons, c’est loin d’être certain – personne ne sait où il se trouve, Pétrolia pas plus que les autres.

Tout cela est écrit noir sur blanc, dans un dossier remis aux actionnaires de Pétrolia, le fameux rapport Sproule, publié en 2011. Mais encore faut-il se donner la peine de le lire. Prenant leurs désirs pour des réalités, journalistes, économistes et politiciens ont confondu un potentiel très théorique pour des ressources confirmées et se sont mis à vendre la peau d’un ours qui, non seulement n’a pas été tué, mais qui en plus n’existe vraisemblablement pas.

Comment se forme le pétrole
Pour comprendre la suite de cette chronique, il faut ouvrir une parenthèse. Pour qu’on trouve du pétrole, il faut que trois conditions soient réunies. D’abord, il faut une accumulation de sédiments riches en matière organique. Ensuite, il faut que ces sédiments séjournent longtemps à une profondeur de 2 200 à 3 800 mètres. Et enfin, il faut un « couvercle » de roche étanche pour retenir le pétrole, qui tend naturellement à s’infiltrer vers la surface.

Le rapport Sproule : pas lu et mal compris
Les chiffres farfelus qui ont été avancés découlent d’une mauvaise lecture d’une étude géologique réalisée en 2011 par Sproule, une firme de Calgary. Cette étude a été correctement réalisée, mais à partir de données limitées. Tout ce que les géologues y constatent, c’est que le sous-sol d’Anticosti renferme des roches avec la teneur voulue en matière organique et que dans le passé, elle a été enfouie à la profondeur voulue pour que la transformation en pétrole ait lieu.

C’est en multipliant cette teneur en matière organique par le volume de roches que l’étude en arrive à cette « meilleure estimation » de 30,9 milliards de barils de pétrole « initialement en place». Mais est-il toujours là? Les forages n’ont encore permis de localiser aucun pétrole. Les auteurs du rapport multiplient les mises en garde : « Il n’existe aucune certitude qu’une partie de ces ressources puisse être découverte (…) Il n’existe aucune certitude qu’une partie de ces ressources puisse être commercialement exploitable. »

Mieux encore : « Cette estimation du pétrole initialement en place a été classée comme ressource non découverte parce que les essais n’ont encore permis de prélever aucun pétrole ou gaz des schistes de Macasty et parce qu’on déduit l’existence de la ressource principalement sur la base d’une interprétation pétrochimique (…) Il est prématuré de spéculer si la formation de Macarty contient ou non des ressources, récupérables ou non. » Les auteurs soulignent plus loin que l’étude « est basée sur l’interprétation et l’extrapolation de données très limitées et non significatives du point de vue statistique. » On ne saurait être plus clair.

D’où vient le mythe des milliards d’Anticosti, alors? Il semble avoir pris forme autour d’une note de l’Institut économique de Montréal, « Les avantages de la production pétrolière au Québec », publiée en avril 2012. L’auteur prend le chiffre de 40 milliards de barils (total combiné pour Pétrolia et Junex) et tient pour acquis qu’au moins 10 % de ce pétrole non-découvert est exploitable. Il multiplie ça par le prix du baril, 100 $, et voilà : 400 milliards de dollars – basés sur du rêve. Journalistes et politiciens ont flairé la bonne affaire et n’ont pas cherché plus loin.

Or, ce chiffre « prudent » de 10 % est grossièrement exagéré et souligne la totale incompétence de l’IÉDM en matière de pétrole. En fait, selon l’ingénieur pétrolier Jean Laherrère, la quantité de pétrole exploitable représente en moyenne 0,5 % seulement du pétrole produit par la roche-mère. Ce chiffre atteint 1,4 % dans les très riches gisements de l’Arabie, mais seulement 1 % pour la mer du Nord, 0,8 % pour le Trias saharien, 0,5 % pour le delta du Niger, 0,4 % pour le Gippsland et 0,2 % pour le bassin de Paris.


Y a-t-il toujours du pétrole à Anticosti?
On me rétorquera que 0,5 % de 40 milliards de barils, ça fait toujours un joli pactole de 20 milliards $. Oui… à condition que le pétrole soit toujours là, quelque part. Or, rien n’est moins certain. En fait, il y a de bonnes raisons de croire que si jamais il y a eu du pétrole à Anticosti, il est depuis longtemps disparu.

J’ai fait relire l’étude Sproule par Bernard Durand, un géologue et géochimiste spécialiste des mécanismes de formation de pétrole et de gaz qui a publié plus de 100 articles scientifiques et six livres en 35 ans de carrière. Il voit deux obstacles majeurs à la présence actuelle de grandes quantités de pétrole à Anticosti.

D’abord, écrit-il, « l’histoire thermique du site montre qu’il y a eu un enfouissement important jusqu’à la fin du Permien. Les hydrocarbures se sont donc surtout formés pendant cet enfouissement, et les gisements ont probablement disparu à cette époque. Le deuxième enfouissement au cours du Crétacé est faible et n’a pu provoquer la formation que d’une quantité beaucoup plus faible d’hydrocarbures. Statistiquement, il est rare d’avoir conservé des gisements importants issus d’une roche-mère ordovicienne ou silurienne pour ces raisons. » Autrement dit, le secteur a connu une forte érosion il y a 250 millions d’années. L’abondant pétrole qui s’y trouvait a donc été perdu… longtemps avant l’apparition des dinosaures!

Et même s’il s’est formé un peu de pétrole depuis, ajoute monsieur Durand, « la figure 4 montre une coupe schématique de la région explorée, qui est monoclinale. Il semble que les réservoirs ne puissent être que de petites dimensions, réservoirs stratigraphiques ou contre failles, pour autant que les failles préexistent à la formation du pétrole. » Bref, le pétrole a pu lentement s’échapper vers la surface en suivant les strates rocheuses en pente douce, qui présentent peu d’obstacles où les hydrocarbures auraient pu s’accumuler. « L’Arabie du Nord » en prend pour son rhume!

La stratégie de Pétrolia
Même si des découvertes importantes paraissent peu probables, de plus petits gisements restent possibles. Le jeu de Pétrolia, comme de toutes les petites entreprises d’exploration, consiste à bien faire valoir ses petites découvertes, pour convaincre ses actionnaires d’investir un peu plus dans la recherche : après tout, le gros lot se trouve peut-être au fond du prochain puits!

Mais en fait, la plupart des entreprises ne trouvent jamais rien d’important et pour les actionnaires, un seul gros lot compense pour dix espoirs déçus. Au Texas, où sévissent des dizaines d’entreprises de ce genre, personne ne ferait attention à Pétrolia. Au Québec, où l’expertise est rare et où il existe des liens entre la recherche minière et l’État, le gouvernement a succombé à la pensée magique et croit être sur le point de décrocher un pactole.

En faisant miroiter ses milliards imaginaires, Pétrolia a su convaincre Québec d’investir dans une exploration aux résultats, en fait, bien incertains. Toute cette aide financière et ces incitatifs fiscaux se justifieraient peut-être, si la ressource était abondante. Mais dans un domaine aussi spéculatif, la vraie ressource à exploiter, c’est la crédulité du gouvernement. Tandis qu’il rêve de ses futurs pétrodollars, les fiscaux-dollars dont il arrose Pétrolia sont bien tangibles, eux.

Sources :
Rapport Sproule
Les avantages de la production pétrolière au Québec (Institut économique de Montréal)