Chaque jour, environ 100 000 barils de pétrole brut transitent par Montréal par chemin de fer. Ces convois pétroliers, dont la longueur peut dépasser un kilomètre et une centaine de wagons-citernes, traversent des quartiers densément peuplés avant de continuer leur route vers le Bas du fleuve ou l’Estrie. Bien que l’attention du public se soit quelque peu relâchée, il n’est pas exagéré de dire que de véritables « bombes roulantes » traversent nos villes. La terrible tragédie de Lac-Mégantic n’est qu’un pâle reflet de ce qui pourrait arriver en milieu urbain.
Rares autrefois, les convois pétroliers se multiplient au Canada. Ils sont rapidement passés de 500 wagons par année en 2009 à 140 000 en 2013 et 40 % d’entre eux traversent Montréal et le Québec. De plus, le brut qu’ils transportent, celui du Dakota du Nord en particulier, est bourré de matières volatiles qui le rendent particulièrement explosif. Ces substances pourraient être neutralisées à la source par un procédé de stabilisation, mais l’industrie pétrolière s’y refuse.
La renversante puissance des « bombes roulantes »
Le pétrole brut qui traverse chaque jour Montréal est donc non seulement abondant, mais très instable et particulièrement susceptible d’exploser en cas d’accident. L’image d’une bombe roulante n’est donc pas exagérée. Mais comment quantifier cette puissance explosive? J’ai eu l’idée de calculer l’équivalent, en quantité de dynamite, d’un convoi pétrolier moyen. Les résultats sont étonnants.
Prenons comme exemple un convoi typique comprenant 100 wagons de type DOT-111, d’une capacité de 113 000 litres chacun, soit 11,3 millions de litres de pétrole brut au total. L’énergie chimique que renferment les diverses composantes du brut varie de 36 à 26 millions de joules par litre. Comme le brut du Dakota du Nord est plutôt léger, admettons une valeur moyenne de 32 MJ par litre. En multipliant par 11,3 millions de litres, on obtient une énergie totale de 361,6 millions de MJ.
Combien de dynamite cela représente-t-il? L’énergie chimique d’un kilo de TNT est de 4,6 MJ, soit 4 600 MJ par tonne. En divisant les 361,6 millions de MJ de notre convoi typique par cette valeur, il apparaît qu’il possède autant d’énergie que 78 609 tonnes de dynamite.
Poussons l’exercice plus loin : selon les estimations les plus courantes, la puissance de la bombe atomique d’Hiroshima était d’environ 15 000 tonnes de TNT. Chaque jour, l’île de Montréal est donc traversée par des convois pétroliers contenant cinq fois plus d’énergie qu’une bombe atomique!
Cartographie des quartiers vulnérables
Bien sûr, un convoi pétrolier ne représente pas exactement la même menace qu’une bombe atomique. Alors que la bombe atomique libère toute son énergie en quelques secondes, avec des températures inouïes et une onde de choc extrêmement brutale, le convoi brûle pendant des jours, libérant peu à peu son énergie. À Lac-Mégantic, 5 400 000 litres de pétrole – l’équivalent énergétique de 37 565 tonnes de TNT – ont mis 40 heures à brûler. Mais la chaleur a initialement fait reculer les pompiers et les flammes étaient visibles de l’espace.
On estime qu’environ 50 000 Québécois habitent à moins de 100 mètres d’un chemin de fer parcouru par les convois pétroliers, principalement dans les villes de Montréal, Longueuil, Saint-Hyacinthe, Drummondville et Sherbrooke. Sur l’île de Montréal, les trains arrivant de Vaudreuil-Dorion se dirigent soit vers les raffineries de l’est par Mont-Royal et Ahuntsic, soit vers le pont Victoria et la rive-sud en traversant Saint-Henri et Pointe-Saint-Charles.
Dans le reste du Québec, les convois suivent l’axe de la route 116 vers Saint-Hyacinthe, puis celui de l’autoroute 20 vers Lévis, Kamouraska et le Nouveau-Brunswick. Deux trajets secondaires, longeant les rivières Magog et Saint-François, se rejoignent à Sherbrooke. Si un accident survenait au parc Jacques-Cartier, par exemple, le pétrole en flammes pourrait couvrir le Lac des Nations et descendre en cascades dans la gorge de la rivière Magog, en plein centre-ville. Un véritable cauchemar.
Dans les zones densément peuplées, le danger ne se limite pas aux immeubles situés à proximité immédiate du chemin de fer. À Lac-Mégantic, on a observé que le pétrole enflammé avait envahi le réseau d’égouts. Du feu sortait des grilles d’égout et même des cuvettes, dans les maisons. Ce phénomène pourrait propager les incendies en milieu urbain et mettre le feu aux voitures stationnées dans les rues, compliquant d’autant l’évacuation des résidents.
Une nouvelle réglementation qui ne règle rien
Depuis le début de l’année, l’Amérique du Nord a déjà connu cinq graves accidents de convois pétroliers, sans compter les incidents mineurs. L’un d’entre eux a même nécessité l’évacuation d’une petite ville du Dakota du Nord. Compte tenu de l’importance de la menace, on pourrait imaginer que ce transport est strictement réglementé. Or, il n’en est rien. Les nouvelles normes nord-américaines, adoptées le 1er mai, protègent mieux les intérêts des compagnies ferroviaires que ceux des citoyens.
L’un des oublis, nous l’avons déjà noté, concerne la stabilisation des matières volatiles contenues dans le pétrole brut. Les gouvernements ont renoncé à imposer ce traitement préliminaire du pétrole, qui l’empêcherait d’exploser si facilement en cas d’accident. L’industrie invoque « le besoin de faire plus de recherche » dans ce secteur, mais les techniques sont en fait connues depuis longtemps – et non appliquées.
Autre concession à l’industrie, les systèmes actuels de freins pneumatiques seront autorisés sur les trains transportant les matières les plus inflammables (groupe 1) jusqu’en 2021 et sur les autres (groupes 2 et 3) jusqu’en 2023. Cette technologie date essentiellement du XIXe siècle et c’est une panne de l’un de ces systèmes qui a entraîné la tragédie de Lac-Mégantic. Les freins à commande électronique, plus sûrs, ne seront pas obligatoires avant six ans.
Enfin, les vieux wagons-citernes DOT-111, qui représentent 70 % de la flotte et dont la résistance aux impacts est notoirement insuffisante, pourront continuer à transporter sans restriction les matières du groupe 1 jusqu’au 1er janvier 2018 et celles du groupe 2 jusqu’au 1er mai 2023. Même après cette date, ils pourront continuer à transporter les matières les plus volatiles pourvu qu’un train ne comporte pas plus de 19 de ces wagons à la file, ou que le train au complet ne comporte pas plus de wagons. Les nouveaux wagons les plus sécuritaires, répondant à la norme CPS-1232, ne seront partout obligatoires que le 1er mai 2025. Autrement dit, les vieux wagons-citernes sont encore avec nous pour des années.
David Turnbull, porte-parole de l’organisme Oil Change International, critique vivement la nouvelle politique : « La réglementation que l’on vient d’annoncer montre une fois de plus à quel point les politiques rédigées par et pour les grandes pétrolières sont dangereuses pour nos communautés et notre climat. Ces règlements peu vigoureux permettent à l’industrie de continuer à mettre les communautés en danger avec des bombes roulantes qui facilitent l’expansion quel que soit le prix de l’industrie pétrolière. »
Sources :
Justin Mikulka, New Oil-By-Rail Regulations Are Big Win for Oil and Rail Industries, Won’t Stop “Bomb Trains”
Karel Mayrand, Exportation de pétrole sur le Saint-Laurent : Over our Dead Bodies!
Oil Train Blast Zone (carte interactive des chemins de fer parcourus par les convois pétroliers)
Oil Change International, Obama Administration Leaves Explosive Oil Trains on the Rails for Years
500 wagons par jour ou par année? Il me semble que le trafic est passé de 500 wagons à 140 000 wagons par année et non par jour…
Bien vu, je viens de corriger le texte. Merci! On a beau se relire, il se glisse toujours une erreur quelque part.
De rien!
Vos chiffres sont inexacts. Déjà en 1999, l’Ultratrain faisait la navette entre St-Romuald, sur la rive-sud de Québec pour alimenter les raffineries de Montréal-Est en pétrole. Il a déraillé à St-Hilaire et il était composé de 61 wagons citerne. L’Ultratrain faisait déjà la navette 2 fois par semaine, ce qui nous donne, juste pour ce train 6344 wagons par année.
Désolé, mais votre chiffre de 500 wagons par année en 2009, c’est de la foutaise.
http://www.tsb.gc.ca/fra/rapports-reports/rail/1999/r99h0010/r99h0010.asp
Oui, vous avez raison pour les 500 wagons en 2009. On m’a fait remarquer, dans une correspondance privée, que ce chiffre avancé par l’Association ferroviaire a beaucoup circulé, mais que selon Statistique Canada, le véritable chiffre était plutôt de 90,000 wagons en 2009. Et depuis ces derniers mois, nous serions passé de 140,000 à 160,000 wagons sur une base annuelle.
Quant à l’Ultratrain, ce n’est pas mon propos. J’essaie d’attirer l’attention sur le problème dans sa globalité, pas de déterminer la trafic exact sur tel ou tel tronçon.
Il manque à cette carte le trajet des convois passant par Boucherville, Varennes, Verchères, Contrecoeur et finalement jusqu’au quai à Sorel-Tracy.
C’est vrai. La carte n’est peut-être pas tout à fait à jour.
Votre article ne semble pas tenir compte des 2 ultra-trains de Ultramar qui font la navette Lévis-Montréal-est tous les jours !
Je n’en fais pas spécifiquement mention, mais le trajet est sur la carte. Il est difficile d’obtenir de l’information précise sur ces trains: les entreprises ne communiquent pas ces transports à l’avance et la quantités transportées semblent fluctuer en fonction des prix et des besoins de l’industrie. Les convois vers Sorel, par exemple, ont été suspendus lorsque les pétroliers ont cessé de venir chercher le brut. Ces transports maritimes ont-ils repris depuis? Les médias n’en ont guère parlé.
C’est un des aspects cruciaux du problème: les citoyens sont mal informés, les villes aussi. Et les plans de sécurité civile, quand ils existent, ne sont pas toujours publics. On ne sait pas très bien ce qui roule sur les rails et notre capacité d’intervention en cas de problème reste limitée.
Faites un peu de recherche. L’Ultratrain en 1999 était composé de 61 wagons et faisait la navette entre St-Romuald et Montréal-Est au moins deux fois par semaine. Ça nous donne 6344 wagons par année uniquement pour ce train. http://www.tsb.gc.ca/fra/rapports-reports/rail/1999/r99h0010/r99h0010.asp
On n’a pas encore trouvé de pétrole et on pense déjà au nombre de puits à forer sur l’île, sans même faire une analyse coût-bénéfice rigoureuse… http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2015/05/21/001-anticosti-ile-petrole-forage-hypotheses-quebec.shtml
Je pense qu’il n’est pas dans l’intérêt des promoteurs de faire une telle analyse. Un calcul, même sommaire, permet de déterminer que l,exercice ne sera pas rentable. En fait, la rentabilité était déjà bien incertaines dans les plaines faciles d’accès du Dakota du Nord. À Anticosti, avec un port à produire, des routes à construire, des installations pour le traitement des eaux usées à aménager, de l’hébergement à bâtir, un relief accidenté, le prix augmentent de façon astronomique.
Au Dakota du Nord, le forage de chaque puits, avec la facturation associée. revenait à environ 8 millions de dollars. À Anticosti, compte tenu de l’éloignement et de toutes les infrastructures à construire, on parle peut-être de 12 millions par puits. Ou même 15. Et tu multiplies ça par 6500 puits, creusés dans un schiste asses peu propice. (le Macasty est apparenté aux schistes d’Utica, exploités sans succès et avec grosse perte en Ohio).