La fabrication des panneaux solaires photovoltaïques (PV) est une activité industrielle très polluante, mais on considère généralement que cette « dette environnementale » est rapidement remboursée par les économies d’énergie fossiles qui découlent de leur utilisation. Or, nous apprend une étude récente publiée dans Low Tech Magazine, rien n’est moins sûr. La migration de cette industrie vers la Chine a complètement changé la donne et le bilan carbone du PV est largement négatif.
À première vue, les nouvelles semblent excellentes pour l’énergie PV. Le prix des panneaux solaires a baissé de 75 % depuis 2008 et le coût de revient de l’électricité qu’ils produisent devrait arriver à parité avec celle de l’énergie du réseau électrique européen vers 2017. Ceci a généré de l’investissement et la moitié du PV actuellement en production a été installé en 2012-2013 – bien que ceci représente moins de 1 % de toute l’électricité produite dans le monde.
Par ailleurs, les panneaux PV eux-mêmes sont plus efficacement manufacturés qu’avant. Selon les dernières analyses de cycle de vie, qui évaluent l’impact environnemental du produit de sa fabrication à sa mise au rebut, les émissions nettes d’équivalent CO2 ne sont plus que de 30 grammes par kWh d’électricité produite, contre 40 à 50 grammes il y a 10 ans. Selon ces chiffres, le PV serait donc 15 fois moins intensif en carbone qu’une centrale au gaz (450 g/kWh).
Le vrai coût du PV chinois
Mais attention. Bien qu’on attribue souvent la baisse de prix du PV aux économies d’échelle ou à une fabrication plus efficace, on note que les prix ont commencé à baisser vers 2009, quand la production a été délocalisée en Asie. Il y a dix ans, presque toute la production de PV reposait sur l’Europe, le Japon et les États-Unis. Mais en 2013, 87 % de la production mondiale se faisait en Asie, dont 67 % en Chine. La baisse des prix s’explique donc surtout par la faiblesse des salaires en Asie.
Or, le réseau électrique chinois est deux fois plus intensif en carbone et procure 50 % moins d’efficacité énergétique que les réseaux électriques occidentaux. Comme 95 % de l’énergie utilisée pour produire les panneaux est électrique, cela signifie que le PV chinois est plus intensif en énergie et que le temps de remboursement de sa dette environnementale est plus long.
Là où cela devient intéressant, c’est que presque toutes les analyses de cycle de vie du PV datent d’avant cette migration de la production vers l’Asie. Il en résulte donc qu’elles sont toutes obsolètes et trop optimistes sur l’efficacité du solaire photovoltaïque, dont les émissions oscillent désormais autour de… 70 g/kWh. Et encore, cela ne tient pas compte de la faible qualité du PV chinois, qui ne durera peut-être pas les 25 ou 30 ans promis.
La géographie compte!
L’étude constate également qu’en général, les études de cycle de vie reposent sur l’hypothèse d’un ensoleillement de 1 700 kilowatts-heures par mètre carré par année (kWh/m2/année), ce qui correspond à la situation dans le sud de l’Europe ou le sud-ouest des États-Unis.
Est-ce une hypothèse réaliste? On peut en douter. En 2014, l’Allemagne possédait plus de PV que toute l’Europe du Sud réunie et deux fois plus que tous les États-Unis. Or, son ensoleillement n’est que de 900 kWh/m2/année, ce qui fait bondir les émissions sur le cycle de vie à 120 g/kWh. C’est encore moins que les 450 g/kWh d’une centrale à gaz, mais c’est une empreinte carbone que l’on ne peut plus qualifier de négligeable.
Pour ceux que cela intéresse, l’ensoleillement au Québec varie d’environ 1000 à 1300 kWh/m2/année, selon le lieu. Mieux que l’Allemagne, mais beaucoup loin bon que l’Espagne.
L’effet net? Moins que rien!
Bref, dans l’hypothèse plus conforme à la réalité actuelle d’un panneau PV chinois déployé dans un pays à faible ensoleillement, le solaire rembourse sa dette environnementale en quatre ans environ et continuera à produire de l’énergie « gratuite » pendant 20 ans de plus. On pourrait donc supposer que le PV reste un bon choix où qu’on l’installe et c’est vrai si l’on regarde chaque panneau pris isolément.
Mais attention, l’industrie connaît une forte croissance. À un point tel que l’énergie utilisée pour produire les nouveaux panneaux dépasse de loin l’énergie économisée par ceux qui sont déjà installés. On mesure ce « cannibalisme énergétique » par une analyse dynamique du cycle de vie. Ce genre de calcul nous apprend qu’avec une dette environnementale remboursée en quatre ans, l’industrie réduit notre empreinte carbone si sa croissance annuelle est inférieure à 25 %, mais qu’elle l’augmente dans le cas contraire.
Malheureusement, le taux de croissance de l’industrie était de 40 % par année environ entre 1998 et 2008. On pense que pendant cette période seulement, l’industrie a produit des émissions nettes de 800 000 tonnes d’équivalent CO2. Nous n’avons pas de calcul des émissions nettes pour la période allant de 2008 à 2014, mais le bilan s’est sûrement aggravé, parce que le taux de croissance annuel de l’industrie a bondi à 59 %, tandis que son taux de croissance « durable » aurait chuté à 12 %.
Faut-il renoncer à l’énergie solaire?
Il serait exagéré de renoncer complètement à l’énergie solaire, mais il est clair qu’il faut repenser notre approche en la matière. Il faut cesser de penser que le coût environnemental du PV est négligeable et il faut idéalement concentrer son usage dans des pays bien ensoleillés, là où son usage est maximal. Il faut aussi penser davantage en termes de solaire thermique – il est plus simple et moins coûteux de produire de la chaleur que de l’électricité.
À moins de vouloir limiter la croissance annuelle de l’industrie à 12 % – ce qui limiterait fortement son apport global – il faudrait aussi penser à relocaliser la production du PV dans des pays où l’électricité a une faible empreinte carbone, comme le Québec. En combinant une faible empreinte carbone à la production et un déploiement dans des pays bien ensoleillés en remplacement d’une électricité à forte empreinte carbone, on pourrait limiter les émissions nettes à 6 ou 9 g/kWh et soutenir une croissance de l’industrie de 300 à 460 % par année, tout en conservant un bilan carbone positif sur le cycle de vie dynamique.
Une énergie photovoltaïque à empreinte carbone négative est donc théoriquement possible, mais ce n’est pas pour demain : il faudrait ramener la production dans des pays à fort salaire et espérer vendre cette production plus coûteuse à des pays pauvres comme l’Inde ou les États du Moyen-Orient. Il faudra bien des ententes internationales avant d’en arriver là.
Sources :
Kris De Decker How Sustainable is PV Solar Power?, Low Tech Magazine
Philippe Gauthier Photovoltaïque : rendements discutables en Espagne, blogue du journal Voir
Etude et comparaisons solaire PV / gaz intéressantes, qui montrent que les panneaux chinois ne sont pas la panacée en termes de protection de la planète.
Il y a un grand absent dans cette comparaison : le nucléaire, de fabrication essentiellement nationale et qui a une très faible empreinte carbone.
Pourquoi cet oubli majeur ?
Le texte porte essentiellement sur le PV, les comparaisons avec le gaz ne sont là que pour se donner un ordre de grandeur.
En quoi la croissance de l’industrie vient-elle modifier l’efficacité des panneaux solaires? Même si l’industrie croissait à un rythme ridicule (100%, 1000%), ça ne fait que davantage de panneaux qui vont éventuellement « rembourser » leur dette dans quatre ans. À court terme, le bilan en carbone en souffre un peu, mais c’est un investissement pour le futur, non?
Ou alors est-ce qu’on suppose que l’industrie produit tellement vite que les panneaux restent sur les tablettes?
Vous mélangez des dépenses énergétiques réelles avec des économie potentielles. Ce qui compte, c’est qu’année après année, au final, l’industrie émet plus de GES qu’elle ne permet d’en éviter. Ces gaz s’accumulent ne seront pas retirées de l’atmosphère par la suite. Les économies potentielles ne compensent donc pas les émissions réelles.
Est-ce vraiment ce qui compte? Parce que c’est le genre d’argument qui pourrait être poussé jusqu’à de drôles de conclusions. Le développement de l’hydro-électricité au Québec n’a pas non plus « retiré de gaz à effet de serre de l’atmosphère »; est-ce à dire qu’il aurait été préférable de s’en abstenir?
À l’époque énergivore où nous vivons, je n’arrive pas à croire qu’un panneau solaire qui produit davantage d’énergie (pour une même génération de GES) que la plupart des autres méthodes soit une mauvaise chose.
Le problème ne se pose pas dans le domaine de l’hydroélectricité, un peu parce que la croissance de l’industrie a été plutôt lente, et beaucoup parce qu’un barrage produit beaucoup, beaucoup d’énergie par rapport à l’énergie investie pour le construire. Ce n’est pas le cas du PV, auquel beaucoup d’études récentes attribuent un taux de retour énergétique très bas en situation réelle (de 1,6 à 6:1). Autrement dit, il faut polluer beaucoup, tout de suite, pour produire des panneaux solaires et plus l’industrie grossit, plus elle pollue à grande échelle. Les économies sont à long terme et relativement incertaines, puisque souvent, dans la vraie vie, le PV s’ajoute aux carburants fossiles plutôt que de s’y substituer.
Bonjour,
A prendre des moyennes et des généralités, on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres.
Yngli a annoncé depuis longtemps des effort sur le sujet:
http://www.enerzine.com/1/15500+yingli-solar—impact-carbone-des-modules-inferieur-de-40-pct-a-la-moyenne+.html
Vous avez des études pour prouver que le PV chinois est de moins bonne qualité?
Chez nous ,il y a eu deux sinistres seriels (defaut sur panneaux), tous les deux …Allemands..
C’est pas pour faire de la pub aux chinois, mais pour freiner les généralités faciles.
Cdt
G.Thommy
Il n’y a pas d’études systématiques encore pour «prouver» que le PV chinois est de moins bonne qualité, mais c’est ce que rapportent certains observateurs et compte tenu du niveau général de l’assurance-qualité en Chine, cela n’aurait rien de très surprenant. Aucune production n’est bien sûr à l’abri des défauts, mais la course aux plus bas prix et aux économies de matériaux tend à aggraver les problèmes de qualité.
les chinois ont compris depuis longtemps en PV que leur pire ennemi était leur image de marque. on leur a demandé de faire de l’outillage low cost et reproché ensuite de faire de la daube!
En PV ils ne pouvaient s’aligner que sur une production de qualité, car les temps de retour financier sont longs et la confiance est nécessaire….. et ils ont su faire.
malgré ça, je ne pose que de l’européen pour des raisons sociales.
Il faut être conscient que sur les process industriels qui évoluent assez vite car le marché est « jeune », les etudes ont toujours un train de retard, c’est visible dans l’étude « low tech », si vous lisez les références et les dates . il y a même une étude récente (2014) qui se base sur des résultats de .2011. ce qui est beaucoup dans ce domaine.
Commentaires intéressants.
Sur la jeunesse du marché, je suis toujours un peu partagé. Car si le marché est jeune, la technologie, elle, a déjà 60 ans et l’industrie, 40. C’est un milieu qui change vite, mais les nouveautés portent souvent sur des gains assez modestes; j’ai l’impression que la plupart des grandes percées sont déjà derrière nous, les meilleurs panneaux ne sont d’ailleurs pas très loin de la limite théorique de cette technologie.