La chute du prix du pétrole, à l’automne 2014, a amené plusieurs analystes à conclure que le pic pétrolier était plus loin que jamais, que le monde nageait dans des surplus de pétrole. S’il est vrai que la production de carburants liquides est plus élevée que jamais, une analyse plus fine montre que la part des véritables produits pétroliers diminue tranquillement depuis 2005.
Le premier tableau montre la production mondiale de pétrole et de distillats, qui a atteint les 78 millions de barils par jour (Mbj) en 2014, après avoir longtemps plafonné autour de 74 millions. Mais en y regardant de plus près, la part du pétrole et des distillats (en bleu) reste stable à environ 73 Mbj depuis 2005. La différence est comblée par le brut synthétique canadien (à savoir, en jaune, le bitume de l’Alberta) dont la production est passée d’environ 1 à 2 Mbj depuis 2005 et par le pétrole de roche-mère (en noir), passé de rien à environ 2 Mbj lui aussi.
En dépit des énormes investissements consentis par l’industrie pétrolière, la production de pétrole conventionnel reste donc stable depuis 2005, alors qu’elle croissait de 2 % par année dans les années 1990 et même de 10 % dans les années 1950! Cette apparente stabilité masque toutefois un autre déclin : de 2005 à 2013, la part du brut léger de qualité serait passée de 69 à 63 Mbj environ. La différence serait comblée par du pétrole lourd de mauvaise qualité, que les pétrolières se résignent de plus en plus à exploiter.
Le second tableau montre la production de tous les carburants liquides, une statistique fourre-tout composée à 21 % de produits non pétroliers, dont le bitume de l’Alberta (en jaune), le pétrole de roche-mère (en noir), les gains de raffinage (en violet), le gaz naturel liquéfié (en orange) et les biocarburants (en vert). Le total, après avoir plafonné entre 2004 et 2010, a atteint plus de 93 Mbj au milieu de 2014, et près de 96 Mbj en juin 2015.
Ce tableau, qui semble indiquer une forte hausse, est toutefois trompeur. Comme on le peut le voir, la part du pétrole conventionnel y est stable. Certains carburants, comme le gaz naturel liquéfié, ne sont pas un réel substitut au pétrole dans la plupart des usages et à volume égal, ne représentent que 70 % de l’énergie du pétrole. Les gains de raffinage, qui reflètent le fait que le pétrole gagne en volume lorsqu’il est distillé, ne représentent en fait aucune énergie utilisable. La production de biocarburants, sous nos latitudes, consomme autant d’énergie qu’elle en produit : leur apport net à l’énergie disponible est donc négligeable.
Il faut retenir deux choses du deuxième tableau. D’une part, qu’en dépit des statistiques gonflées dont on l’entoure, la production de pétrole reste stable. D’autre part, que les autres carburants, contrairement au pétrole qu’ils sont censés remplacer, offrent un taux de retour énergétique faible ou négligeable.
Le troisième tableau, enfin, propose un aperçu plus détaillé de l’évolution des autres carburants liquides. On notera l’importance qu’ont pris les gains de raffinage depuis 20 ans (ce qui dénote le recours à des pétroles lourds de moindre qualité). On notera aussi que la production de bitume en Alberta ne progresse que lentement, en raison des gigantesques investissements nécessaires. On voit bien l’apparition du pétrole de schiste depuis 2008, mais aussi son faible poids dans l’ensemble. Quant aux biocarburants, ils connaissent une progression rapide, mais il n’est pas toujours évident qu’ils représentent une offre nette d’énergie.
Que retenir de tout ceci? D’abord, qu’en dépit des sommes colossales investies depuis dix ans, la production de pétrole ne progresse plus. Ensuite, que les carburants alternatifs sont longs et coûteux à déployer. Et enfin, qu’en raison de leur faible taux de retour énergétique, la contribution nette de ces carburants au mix énergétique mondial n’est pas aussi importante qu’on pourrait le croire. En somme, au terme de dix ans d’efforts, l’industrie n’a pas réussi à relancer la production pétrolière, mais elle a réussi, tant bien que mal, à atténuer les effets de sa stagnation.
Source :
Euan Mearns, Global Oil and Other Liquid Fuels Production Update, sur le blogue Energy Matters
Une question : 63 mbj d’ou ça vient (source ?)
Et pourquoi n’avoir pas pris le dernier travail de Mearns ?
Je vous mets le lien : http://euanmearns.com/a-new-peak-in-conventional-crude-oil-production/
Dernière chose : le NGL est utilisé come carburant
Désolé du délai de réponse, votre commentaire m’a échappé. Pour la source des 63 Mb/j, je ne l’ai plus et ça m’agace, j’aimerais moi-même la retrouver. Je sais que le chiffre est correct parce que je l’ai noté en faisant la recherche pour mon texte dans «Sortir le Québec du pétrole», mais j’aurais dû noter l’endroit où je l’ai trouvé. Mea culpa! Quant au dernier travail de Mearns, il a dû m’échapper, dommage. Quant au NGL, oui, peut être utilisé comma carburant, c’est vrai, mais à ma connaissance il sert plus souvent comme intrant industriel ou comme moyen de transporter le gas sur de longues distances, à la manière du pétrole.
Merci beaucoup, c’est très intéressant tout cela!
Mais voilà que les prix des produits pétroliers ont chuté de moitié depuis juin 2014 dû à la faible demande et au surplus ainsi engendré. Or, l’exploitation des hydrocarbures demande un prix beaucoup plus élevé parce que difficiles à extraire et l’industrie commence à essuyer de lourdes pertes (http://tinyurl.com/pm5o687). Il semble probable que cela ira en empirant d’ici la fin 2015. Si jamais l’économie repart (en partie peut-être à cause de cette chute de prix), est-ce que les producteurs seront en mesure de repartir la machine à temps? Est-ce que les banques voudront investir une deuxième fois dans cette industrie financièrement risquée des pétroles de roche-mère? Bref, assistera-t-on à l’éclatement de la bulle des pétroles dits de shiste ou bien tout continuera à rouler « Business as usual »?
Désolé pour le délai de réponse, j’étais en vacances. Vous posez d’excellentes questions, auxquelles j’aimerais moi-même avoir une réponse définitive. Mon sentiment (et c’est aussi celui de nombreux analystes) c’est que les faibles prix actuels, qui provoquent une chute massive des investissements en exploration et en production, auront des conséquences importantes à moyen terme (dans 3 à 5 ans environ). La production sera sûrement insuffisante, exerçant une forte pression sur les prix. Quant aux banques, je crois que leur réaction dépendra de la conjoncture. Quelques petites entreprises pétrolières ont déjà été mises en faillite aux USA depuis le début de l’année, signe que les banques sont frileuses. Mais dans quelques années, avec une pénurie de pétrole et des prix à la hausse, les banques pourraient bien y voir un investissement rentable à nouveau.