Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford vient de publier une étude s’intéressant à un sujet peu exploré jusqu’ici, celui de la fracturation hydraulique à faible profondeur, aux États-Unis et au Canada. Le terme recouvre les activités de fracturation menées à moins de 1600 mètres de profondeur. Plus courante qu’on ne le croit, cette pratique menace davantage les eaux souterraines que les forages plus profonds.
L’étude a répertorié pas moins de 44 000 puits ayant subi une fracturation hydraulique entre 2010 et 2013 aux États-Unis et au Canada. De tous ces puits, près de 6 900 (soit 16 % total) ont été fracturés à moins de 1 600 mètres de profondeur. Plus étonnant encore, 2 600 puits de plus (6 %) ont été fracturés à moins de 900 mètres de la surface.
La majeure partie de cette fracturation à faible profondeur a lieu dans les États américains du Texas, de la Californie, de l’Arkansas du Wyoming. Bien que les données n’aient pas été aussi systématiquement analysées au Canada, on y a relevé des cas en Saskatchewan, en Alberta, au Québec, au Manitoba et en Colombie-Britannique, parfois à des profondeurs n’atteignant pas les 500 mètres.
Le chercheur principal, Robert Jackson, s’est dit surpris de ce nombre de puits fracturés à faible profondeur et des quantités de liquide de fracturation en cause. Et ce n’est peut-être que la pointe de l’iceberg. En raison des mauvaises pratiques de divulgation de l’industrie, les données disponibles sous-estiment le nombre réel de cas.
La fracturation, mal contrôlée
Bien que l’industrie pétrolière estime que ses pratiques ne menacent pas les eaux souterraines, plusieurs éléments laissent croire le contraire, du moins pour les puits à faible profondeur. En fait, lorsque la roche se fracture sous l’énorme pression de l’eau qu’on y pompe, les fissures tendent à apparaître là où elle présente le moins de résistance. On rapporte que 70 % des fracturations ne se produisent pas dans la zone ciblée et que 60 % ne libèrent aucun pétrole.
La longueur de ces fissures est difficile à prévoir et à mesurer. Mais on connaît des cas où ces fissures atteignent jusqu’à 556 mètres de longueur, à partir du puits. Autrement dit, une fracturation hydraulique à faible profondeur est parfaitement capable d’ouvrir un chemin vers les eaux souterraines, permettant au pétrole ou au gaz naturel de les contaminer. Plus on fracture près de la surface, plus le risque est important, souligne le chercheur.
Il se peut qu’aux profondeurs habituelles de 2 000 à 3 000 mètres, la technique soit raisonnablement sûre. L’ennui, c’est qu’il n’existe peu ou pas de règles relatives à la profondeur minimale des puits ni au Canada, ni aux États-Unis. En Alberta, il y a eu des cas de fracturation à moins de 200 mètres de profondeur et en Colombie-Britannique, on émet des permis pour forer à moins de 600 mètres.
En juin dernier, l’agence américaine de protection de l’environnement, l’EPA, a publié une étude de 500 pages confirmant la contamination des réserves d’eau souterraine par du liquide de fracturation. L’étude révélait, par exemple, qu’en Pennsylvanie, 25 % des puits échantillonnés étaient contaminés. Des États comme l’Ohio, le Texas et la Virginie Occidentale présentent aussi une foule d’anomalies, y compris des cas où le liquide de fracturation a contaminé l’eau de surface.
Et au Québec?
Plusieurs des 28 forages exploratoires menés dans la vallée du Saint-Laurent entre 2007 et 2010 ont comporté de la fracturation à faible profondeur. Le schiste d’Utica, la strate géologique visée, affleure en surface sur la Rive-Sud du Saint-Laurent et s’enfonce progressivement jusqu’à 2 500 mètres de profondeur jusqu’aux contreforts des Appalaches. Le rapport du BAPE indique que plusieurs fracturations ont eu lieu à une profondeur d’à peine 1 000 mètres.
L’île d’Anticosti présente un profil encore plus alarmant. Le shale de Macasty, que l’on croit receler du pétrole, est situé à 300 mètres de profondeur à peine sur une partie du territoire de l’île. De plus, la roche qui sépare ce shale de la surface est un calcaire très ancien, parsemé de fissures, de crevasses et de rivières souterraines, qui forment un réseau sous la totalité d’Anticosti. Dans ces conditions, la fracturation du shale aurait vite fait de contaminer la totalité des eaux souterraines de l’île.
Sources :
Andrew Nikiforuk, Higher-risk ‘Shallow Fracking’ More Common than Suspected: Study, 29 juillet 2015
Andrew Nikiforuk, US Federal Report Confirms Water Pollution by Fracking, 8 juin 2015
Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Le développement du gaz de schiste au Québec : document technique, 15 septembre 2010
Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse de Philippe Gauthier. J’ajouterais le commentaire suivant: la législation en Allemagne interdit l’emploi de la fracturation hydraulique à moins de 3000 de profondeur. Un seul autre état a formellement adopté aussi une règle de distance verticale, c’est le Québec, qui de façon scandaleuse a fixé à 400m la distance verticale sous la nappe à respecter pour les portions horizontales des forages fracturantes: un règlement qui coïncide parfaitement aux besoins de Pétrolia. J’ai commenté les implications pour Anticosti à ce lien: https://youtu.be/r9bJtG-s0LI
Merci pour ces précisions, Marc. La règle québécoise paraît des plus laxistes, en effet.
oups, voir la profondeur du shale antrim de 600 à 2200 pieds (on divise par 3 pour avoir des m). Il y a des milliers de puits fracturés et pas d’impact en surface.
https://en.wikipedia.org/wiki/Antrim_Shale