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« Pourquoi t’es prof? »

Le cours tire à sa fin. Les étudiants quittent la salle de classe comme à l’habitude, sauf quelques-uns en quête de savoir, de conseils ou d’une oreille rassurante. Puis, une fois ou deux par année, il y a un curieux qui me pose la fatidique question :

– Excuse-moi, j’ai une question sans réel rapport avec la matière. Je suis curieux, pourquoi t’es prof? Avec ton CV, tu pourrais faire plus…

Bien que l’interrogation soit simple, la réponse demande plus d’élaboration. Pourquoi consacre-t-on une partie de sa vie à l’enseignement? Dans les yeux de jeunes pleins d’ambitions, une carrière dans l’enseignement est un frein à la richesse, aux possibilités et au prestige. Pourtant, tout est une question de perception.

Quand on est étudiant, on occupe divers emplois « en attendant ». On n’a pas cette notion de permanence ou d’éternel recommencement. On sait ou l’on croit qu’il y aura une fin. Longtemps, je me suis fait croire être capable d’être attiré par le prestige, le salaire et autres bénéfices connexes à l’emploi. Pourtant, le véritable bonheur était au bout du compte de ne pas rentrer au boulot en attendant avec espoir la fin de la journée. La véritable question à laquelle je devais répondre : À la fin de ma vie, allais-je être amer de mes choix?

Puis, j’ai commencé à enseigner le soir. Les premières fois, il y avait un petit stress. Je me souviens ma première classe à HEC, je tremblais de nervosité. Avec le temps, on s’y habitue et enseigner devient comme faire du vélo. Finalement, enseigner équivaut à donner un spectacle avec le désir de faire connaître et comprendre en trame de fond.

Devant soi, on a des dizaines d’étudiants pleins d’espoir. La jeunesse a la fougue et l’arrogance faisant parfois défaut avec l’avancement en âge. Surtout, les étudiants sont empreints de rêves et d’espoirs. Être professeur, c’est partager quotidiennement sa vie professionnelle avec l’espoir. Dans l’univers du possible, il y a cette matière première en quête de mieux.

Tout en haut de la pyramide des besoins de Maslow, il y a l’accomplissement ou la réalisation. En somme, se sentir accompli et utile à quelque chose.

Avant d’enseigner, j’avais le blues du dimanche soir. Ce sentiment léger de dépression lié au lundi matin et à la quête de la fin de journée. Cette réorientation de carrière m’a apporté cette valorisation.

Connait-on beaucoup d’emplois liés à la quête du savoir? Être payé pour réfléchir, chercher et partager, n’est-ce pas valorisant?

Dans notre société, le milieu du travail est devenu une culture de salaire, de richesse et de quête de matériel. Pour la plupart des comptables professionnels agréés, l’enseignement est ce que Québec Solidaire est au capitalisme : des pôles opposés. Pourtant, j’y ai trouvé une place.

L’enseignement m’a permis de vivre des expériences diverses que je n’aurais pas pu vivre ailleurs. Surtout, l’enseignement est un des rares domaines où l’on a encore le droit d’être un esprit libre. Cette liberté, elle a un prix financier.

Bien sûr, on me demande parfois comment j’ai fait pour aboutir là ? Pourquoi ne pas avoir fait autre chose ?

Cette seconde question dénote un jugement collectif sur le fait de consacrer sa vie au partage du savoir plutôt qu’à la quête de promotions dans le secteur privé.  Pour ma part, la réponse est simple: c’était une des meilleures options pour mon équilibre mental.

Enseigner n’est pas une fin en soi, ce métier permet de développer des aptitudes difficiles à acquérir dans d’autres contextes. Ma carrière est diversifiée : c’est une prémisse importante à toute personne assoiffée de vivre de multiples expériences.

Notre société a dévalorisé l’enseignement. Si bien, qu’on en vient à trouver curieux de s’y consacrer. Conséquemment, un jeune finit par demander à son professeur :

– Pourquoi t’es prof?

Et sa réponse est souvent toute simple :

– Parce que ça me rend heureux.